Vous utilisez un bloqueur de publicité

Cher Lecteur,

Nous avons détecté que vous utilisez un bloqueur de publicités (AdBlock) pendant votre navigation sur notre site. Bien que nous comprenions les raisons qui peuvent vous pousser à utiliser ces outils, nous tenons à préciser que notre plateforme se finance principalement grâce à des publicités.

Ces publicités, soigneusement sélectionnées, sont principalement axées sur la littérature et l'art. Elles ne sont pas intrusives et peuvent même vous offrir des opportunités intéressantes dans ces domaines. En bloquant ces publicités, vous limitez nos ressources et risquez de manquer des offres pertinentes.

Afin de pouvoir continuer à naviguer et profiter de nos contenus, nous vous demandons de bien vouloir désactiver votre bloqueur de publicités pour notre site. Cela nous permettra de continuer à vous fournir un contenu de qualité et vous de rester connecté aux dernières nouvelles et tendances de la littérature et de l'art.

Pour continuer à accéder à notre contenu, veuillez désactiver votre bloqueur de publicités et cliquer sur le bouton ci-dessous pour recharger la page.

Recharger la page

Nous vous remercions pour votre compréhension et votre soutien.

Cordialement,

L'équipe BookNode

P.S : Si vous souhaitez profiter d'une navigation sans publicité, nous vous proposons notre option Premium. Avec cette offre, vous pourrez parcourir notre contenu de manière illimitée, sans aucune publicité. Pour découvrir plus sur notre offre Premium et prendre un abonnement, cliquez ici.

Livres
714 546
Membres
1 012 755

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode

Les Chroniques d'Andallum, Tome 2 : Au crépuscule du changement



Résumé

Complots. Trahisons. Morts. C'est ce qui reste de la capitale suite au passage des Rebelles. Clara doit désormais recoller les morceaux et tenter de reconstruire ce qui peut encore être sauvé. Ses amis ne lui rendent toutefois pas la tâche facile... Will doit confronter ses choix et accepter de vivre avec sa nouvelle destinée. Ash est tourmenté par ses démons et la menace grandissante de l'Armée blanche. Enfin il y a Sora, prisonnière du camp ennemi, qui ignore que sa vie est sur le point de prendre un nouveau tournant. Une guerre se profile à l'horizon, qu'ils soient prêts ou non à l'affronter

Afficher en entier

Classement en biblio - 8 lecteurs

extrait

CHAPITRE 1

BRUIT

Sora n’arrivait plus à dormir sans entendre le bruit. Elle l’appelait ainsi, car ce son n’était rien de plus que l’écho des hélices tournoyant continuellement dans le système d’aération au-dessus de sa tête.

Le bruit était désormais synonyme de réconfort, la seule chose qui l’empêchait de paniquer lorsqu’elle se mettait à trop penser. Divaguer s’avérait dangereux. De même que rêver. Car ses songes lui donnaient de l’espoir — lui faisait croire qu’il existait une lueur de liberté dans cette prison grise et sombre.

Lorsque le cœur de Sora se mettait à battre la chamade, lorsque sa respiration se coinçait dans le creux de sa gorge au point de rendre ses poumons douloureux, la jeune femme se concentrait sur le bruit régulier des hélices. Elle comptait alors jusqu’à cinq : une seconde pour une pensée positive, un rêve d’échappatoire illusoire. Parce qu’au fond, Sora savait qu’elle ne quitterait jamais ce bunker. Comment le pourrait-elle ? La Tatch ne faisait pas le poids face à ses ravisseurs.

Mais même le bruit pouvait se montrer faillible. Dans les rares moments où ses pensées négatives refusaient de la quitter, Sora choisissait de se concentrer sur la respiration d’Alyssa Rawley, qui, par son sourire empreint de douceur, parvenait toujours à la réconforter dans les pires moments.

— Ton petit-déjeuner, lui signala Allie en lui apportant son plateau.

Sur celui-ci se trouvaient deux œufs tournés, trois tranches de bacons croustillantes ainsi qu’une crêpe aux bleuets, si Sora se fiait à l’odeur. La jeune femme saliva devant la nourriture qui se trouvait sous ses yeux, mais s’empressa de secouer la tête avec agacement.

— Je n’ai pas faim, mentit la Tatch.

Sora avait décidé de ne pas se plier aux Rebelles — une organisation regroupant pour la plupart des Oramas exilés de leur cité, Andallum. Elle avait l’intention de combattre et de leur faire comprendre qu’ils ne la contrôlaient pas.

Pas totalement.

— Tu n’as presque rien avalé depuis que tu es arrivée ici, lui rappela durement Allie. Tu vas être malade si tu continues !

— Je ne vais pas les laisser gagner.

Allie déposa le plateau sur la table se trouvant entre leurs lits respectifs puis alla s’asseoir aux côtés de Sora en se laissant tomber sur le lit. Le matelas couina sous le poids de la jeune Amogathi, qui laissa un soupir de soulagement quitter sa gorge. Malgré ses nombreuses séances d’entraînement, Allie éprouvait encore de la difficulté à rester debout sur sa jambe artificielle.

— Ce n’est pas une question de gagnant ou de perdant, Sora. Tu as besoin de te nourrir pour reprendre des forces. Pour combattre. Alors, cesse de faire l’enfant et mange ton repas. S’il te plait.

L’Amogathi s’empara de l’une des tranches de bacon qu’elle fit défiler sous le nez de Sora avec une lueur d’amusement dans les yeux.

— Regarde comme ça a l’air délicieux…

— Ça doit être fatigant d’être toujours aussi optimiste.

— Ce serait mieux que je boude dans mon coin comme toi, peut-être ?

Sora pinça les lèvres, consciente que défouler sa frustration sur Allie ne servirait à rien. En fait, la jeune femme appréciait les efforts de sa partenaire de chambre qui, au fond, essayait tout simplement de l’encourager. Allie n’abandonnait jamais ; elle était une fonceuse. Elle demeurait aussi naïve à ses heures, mais Sora songea que cela lui conférait un charme qui l’empêchait de rester en colère contre elle trop longtemps.

— Tu ne devrais pas être aussi gentille avec moi, soupira Sora. Je veux dire, tu m’entends parler ? Je ne le mérite même pas.

— Je ne suis pas de cet avis.

Un sourire se dessina sur les lèvres d’Allie, qui lui tendit le morceau de viande cuite qu’elle tenait toujours du bout des doigts.

— Mange, je t’en prie.

Sora contempla la nourriture un long moment, hésitante, avant d’accepter ce que lui tendait sa voisine. La première bouchée fit taire le grondement sourd qui s’élevait dans son ventre affamé.

Sa grève de la faim pouvait encore attendre.

— Je savais que tu pouvais te montrer raisonnable, lança Allie, dont le regard brillait de satisfaction.

Cette dernière se hissa hors du lit en appuyant avec énergie sur sa jambe gauche et en se donnant un élan vers l’avant. Presque aussitôt, la douleur altéra son visage, et elle retomba vers l’arrière en poussant une complainte étouffée. Même les nombreuses séances de rééducation et les calmants ne pouvaient pas faire disparaître la souffrance qui ravageait son corps depuis l’accident.

— Est-ce que ça va ? murmura Sora en s’approchant d’Allie.

L’Amogathi serra les paupières et se concentra sur le mal qui se propageait à l’intérieur de son organisme. Sora tentait de ne pas s’inquiéter, de rester à sa place, mais il était de plus en plus difficile de détourner le regard lorsqu’elle la voyait tomber ou l’entendait se lamenter. L’empathie que ressentait Sora envers Allie la déstabilisait toujours un peu. Elle n’avait pas l’habitude de se faire du souci pour les autres de cette façon, particulièrement au sujet d’une étrangère.

Alors qu’avec Allie… c’était différent.

Le pire, dans tout cela ? Sora savait qu’elle possédait les capacités nécessaires pour aider sa partenaire de chambre. Un rapide coup d’œil à la prothèse installée par les Rebelles suffisait à lui faire comprendre que l’objet se trouvait en fait mal ajusté au moignon résultant de l’amputation de sa jambe. Sora sentait qu’avec les bonnes ressources, elle pouvait l’aider.

— Honnêtement, j’ai déjà été mieux, répondit Allie en grimaçant.

— Je suis désolée.

Une ombre d’appréciation traversa les yeux de l’Amogathi, que Sora ne pouvait s’empêcher d’admirer : d’un bleu rappelant un chaud ciel d’été sans nuages, ceux-ci tiraient parfois vers le vert. Des prunelles que j’ai déjà vues auparavant, songea la Tatch avec contrariété.

Elle n’était pas stupide. Sora se doutait de l’existence d’un lien entre l’accident que venait de vivre Allie et la crise de Will lors du bal de Yule, bien que la nature exacte de cette connexion entre eux demeurait un mystère dans son esprit. Sora se rappelait dans les moindres détails la célébration du solstice d’hiver : la façon dont Will avait été victime d’une étrange transe émotionnelle lui ayant presque coûté la vie et la manière dont il avait hurlé le nom d’Allie durant des heures. La jeune femme se souvenait d’avoir aperçu le visage de sa voisine dans l’esprit du garçon.

Il existait un lien entre les deux Amogathis qu’elle ne parvenait pas à comprendre. Sora préférait ne pas le lui mentionner — pas tout de suite. Elle voulait avant tout apprendre à mieux connaître Allie. Mais attendre s’avéra plus difficile qu’elle l’avait cru au départ, son impatience et sa curiosité l’empêchant de penser à autre chose depuis son arrivée dans le bunker des Rebelles.

— Tu ne m’as jamais expliqué ce qui s’était passé exactement, hésita Sora en désignant du menton la prothèse. Tu aimerais le faire ?

— C’est trop difficile.

Allie se racla la gorge avant d’ajouter :

— J’aurais dû mourir, Sora. C’est un miracle que je sois ici, et non au fond de cette rivière glaciale. Je devais mourir, insista-t-elle en massant lentement sa jambe. Ils ne comprennent même pas comment j’ai pu survivre aussi longtemps sous l’eau — moi non plus, d’ailleurs.

— Tu as eu un accident de voiture ?

Sora croqua un second morceau de bacon dans l’espoir d’encourager Allie à continuer son récit. Elle se doutait que manger lui ferait plaisir. Ce fut le cas, puisqu’un faible sourire fendit son visage pâle.

— Ça t’intéresse vraiment ?

— Si ce n’était pas le cas, je ne te poserais pas de questions là-dessus.

L’Amogathi ferma les paupières, comme si cela l’aidait à se rappeler les détails. Sora ne souhaitait pas la brusquer, mais c’est avec difficulté qu’elle arrivait à contenir le fourmillement familier d’anticipation qui grouillait dans son ventre. Elle connaîtrait enfin la vérité sur ce qui était arrivé à Allie ! Ou du moins, elle pourrait rassembler les morceaux de ce casse-tête mystérieux.

— Je me souviens de la tempête. Il neigeait beaucoup, ce soir-là. Je savais que prendre la voiture n’était pas prudent, mais je voulais rentrer à temps chez mes parents pour les Fêtes. J’ai… j’ai perdu le contrôle. Sur le pont. Et la voiture est tombée dans la rivière.

Lorsqu’Allie ouvrit à nouveau les yeux, ceux-ci baignaient dans une déstabilisante tristesse qui donna à Sora l’impression de recevoir un coup de poignard en plein ventre ; sa respiration se rompit et elle eut l’impression qu’elle pourrait se mettre à pleurer. Parce qu’imaginer Allie seule et blessée au fond de cette rivière l’angoissait pour une raison qu’elle ne pouvait pas réellement s’expliquer. Cette fille était une étrangère ! L’empathie que ressentait la Tatch à son égard n’avait aucun sens. Et pourtant…

— Mes parents avaient tellement hâte de me voir. Et aujourd’hui, ils doivent croire que je suis morte.

Dans un élan de compassion qui l’étonna elle-même, Sora étira le bras afin de s’emparer de la main d’Allie. La détresse de la jeune femme faisait ressortir un côté de sa personnalité dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Un éclair de surprise traversa le visage de l’Amogathi. Cette dernière la fixa de nombreuses secondes avant de resserrer son emprise sur la paume de la Tatch.

— Tout s’est passé si vite. Ce que je me rappelle le plus, c’est le froid. Paralysant. Presque douloureux. J’ai combattu longtemps contre le courant, mais ça n’a pas été suffisant.

— Tu t’es noyée…

Allie acquiesça.

— Mais tu n’es pas morte, insista Sora en fronçant les sourcils.

— Il y avait une chaleur… Ici, ajouta-t-elle en désignant sa poitrine de sa main libre. Comme si on m’avait placée sous les rayons du soleil. J’ignore comment, mais d’une certaine façon, le froid de l’eau ne m’a pas affecté. Et ensuite un animal m’a sorti de l’eau. Je crois qu’ils appellent ça un Spiner.

Les rayons du soleil ? Allie voulait sans doute faire référence aux lampes utilisées par Ash pour maintenir Will au chaud. La vérité foudroya Sora et lui fit enfin prendre conscience de la puissance du lien qui unissait les deux Amogathis — une connexion d’une telle intensité que Will avait vécu l’accident de la jeune femme à des milliers de kilomètres sous terre.

C’était impressionnant. Effrayant, certes, mais absolument fascinant.

La soudaine pâleur d’Allie lui indiqua que mentionner cet évènement la plongeait dans une profonde détresse émotionnelle. Sora secoua la tête, agacée par le fait qu’elle n’ait pas compris plus tôt que la jeune femme vivait encore avec un certain trouble post-traumatique lié à son accident. Après tout, la jeune femme avait vu et vécu la détresse de Clara après la mort d’Alexis. Elle aurait dû faire preuve de plus de précaution en la questionnant.

— Ça va aller. Tu le sais, ça, Allie, n’est-ce pas ? Tu es en sécurité ici. Enfin, je veux dire qu’il n’y a aucun risque que tu te noies à nouveau.

Elle opina d’un mouvement de la tête.

— Je le sais. C’est juste que parfois…

— Tu ne peux pas t’empêcher de revivre cette nuit, la coupa Sora. Tu as l’impression que tes souvenirs viennent te hanter et que tu dois revivre l’accident comme s’il venait de se produire. Je comprends.

La nuit, Sora entendait souvent sa voisine de lit pleurer ou hurler si intensément que même le bruit de la ventilation ne parvenait pas à le masquer ou à le lui faire oublier. Et toutes les fois, le ventre de Sora se nouait d’inquiétude.

— Exactement. Surtout que ça ne fait que quatre mois, maintenant, et…

— Ne cherche pas à t’excuser ! Ce que tu ressens est normal, insista l’Américaine d’un ton décidé. Que ce soit aujourd’hui, dans 6 mois ou dans 10 ans, tu as le droit de vivre ces émotions.

Une vague de soulagement s’empara des traits d’Allie.

— Comment sais-tu tout ça ?

— Mon amie a déjà vécu quelque chose de traumatisant, comme ton accident. Même aujourd’hui, je ne crois pas qu’elle s’en soit remise.

Malgré le lien empathique puissant qu’elle partageait avec sa Varanyans, c’était la première fois qu’elle ressentait une connexion aussi intense avec une autre personne — un désir incontrôlable de vouloir l’aider et de la rendre heureuse.

Ce constat troublait Sora et, dans un sens, l’intimidait aussi. C’est pourquoi la jeune femme se concentra sur ses pensées négatives, sur la petite voix dans sa tête qui lui rappelait qu’elle devait se méfier, et mentionna le nom de la personne qui hantait ses cauchemars :

— Will.

La panique transforma le visage jusqu’alors plus calme de l’Amogathi ; malgré les efforts qu’elle déployait visiblement, elle ne parvint pas à masquer les émotions qui la submergeaient. Elle connaissait donc le traître.

— Will ?

— Willem Cassidy. C’est à cause de lui que tu es encore en vie. Vous êtes liés, tous les deux.

Allie écarquilla les yeux.

— Comment est-ce que tu sais ça ?

Un rire sarcastique s’échappa des lèvres de Sora.

— Parce que la vie est étrange, affirma-t-elle. Par je ne sais quel miracle, il s’avère que j’étais avec lui lors de ton accident. C’est mon ami Ash qui a été capable de vous maintenir en vie tous les deux.

Voyant la panique envahir chaque parcelle du corps de la jeune femme, qui ignorait quoi dire pour se justifier, Sora fit preuve de compassion en ajoutant d’un ton plus détendu :

— Arrête de t’en faire. Tu n’as pas à m’expliquer quoi que ce soit.

Sora voulait connaître la vérité, mais pas au détriment de la santé psychologique d’Allie, qui était visiblement angoissée à la mention du chaman.

— Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tu ne l’apprécies pas ?

Sora se contenta de hocher la tête ; l’Amogathi n’aurait pas pu viser plus juste. Elle détestait le Rebelle au point où le seul fait d’y penser suffisait à la faire bouillir de rage et à lui donner des envies de meurtre.

— C’est le moins qu’on puisse dire.

— Tu es en colère, comprit Allie.

— Il a causé beaucoup de morts, ton Will. Y compris celle de ma petite sœur.

La manière dont Romy était morte durant l’invasion de la capitale par les Rebelles demeurait un souvenir qui resterait à jamais gravé dans sa mémoire.

C’était ça, le problème avec la mort : elle prenait qui elle voulait quand elle le voulait. Il n’y avait pas de justice làdedans, pas d’explications raisonnables.

Sora aurait tout donné pour que le sort ne tombe pas sur sa petite sœur, tout fait pour avoir un peu plus de temps avec elle et modifier la façon dont elle avait choisi de traiter ses demi-sœurs durant toutes ces dernières années. Sora savait qu’elle s’était montrée méchante avec Romy. Parfois même cruelle. Vivre avec les regrets devait sans doute être l’un des pires fardeaux au monde.

Stupide. Égoïste. Méchante. Tous des qualificatifs pouvant la décrire à cause de son comportement. Sora avait passé tant d’années à passer sa colère sur Romy et Hazel… Mais au fond, c’était leur père qui méritait sa rancœur. Lui, le grand et noble Ezra Van Asten, qui l’avait abandonnée dès sa naissance chez les humains.

Désormais, il était trop tard. La Tatch ne pourrait jamais faire comprendre à sa sœur à quel point elle l’aimait. Les Rebelles s’étaient assurés de lui enlever cette chance pour toujours.

— Soraya…

— Au fond, Will ne faisait que suivre les ordres de ses précieux amis, l’interrompit-elle en désignant d’un mouvement de la main le bunker.

— Tu dois te tromper. Will ne ferait jamais ça.

Allie dégagea sa main pour la replier contre sa poitrine, prête à tout pour se convaincre que Will ne représentait pas l’ennemi ici.

— Il doit avoir une bonne raison ; sinon…

— Peut-être, mais ça ne ramènera pas ma sœur.

Cette conversation faisait écho aux paroles échangées entre Sora et Clara à peine quelques mois plus tôt. Clara Inver. Sa fidèle et loyale protectrice. La Tatch pouvait mentir aux autres, mais pas à elle-même : sa Varanyans lui manquait. Leur séparation devenait un réel supplice. C’était la première fois que Sora se retrouvait séparée de Clara pour une aussi longue période de temps. Au début, la jeune femme avait cru que sa protectrice ressentirait sa détresse et qu’elle finirait par venir la délivrer de cette prison. Mais Clara n’était jamais venue la chercher. Alors, Sora était seule, désormais.

Allie sembla vouloir ajouter quelque chose au sujet de Will lorsque la porte de leur chambre commune s’ouvrit. Un homme et une femme la franchirent. Connaissant la procédure, Allie regagna son lit aussi vite que le lui permettait sa prothèse. Sora, pour sa part, se glissa près du mur et écarta ses mains de chaque côté de sa tête. Sa vie entre ces murs n’évoquait rien de plus qu’une série d’actions routinières, désormais.

Ils l’amenèrent d’abord aux douches, lui accordant cinq minutes sous une eau tiède, ni plus ni moins. Sora tenta de profiter au maximum de ce temps réduit, mais ne parvint au final qu’à laver sa tignasse noire et à passer son corps sous un savon dur et sec dont se dégageait une désagréable odeur de lait de chèvre. Enfilant la tenue que lui tendirent les Rebelles — une chemise rappelant celle des hôpitaux ainsi qu’un short gris —, Sora s’apprêtait à rejoindre sa chambre lorsque la femme l’arrêta en disant :

— Pas aujourd’hui. Quelqu’un veut te voir.

Sora dévisagea la Rebelle d’un air intrigué.

— J’ai droit à des visites ? Je ne savais pas que j’étais aussi importante.

Un soupir s’échappa de la bouche de l’Oramas lorsqu’elle répondit :

— Très drôle. Maintenant, avance.

Sora secoua la tête, amusée par son propre sens de l’humour et par l’attitude rabat-joie de l’inconnue, puis accepta de la suivre vers une pièce d’un blanc immaculé. À l’intérieur de celle-ci se trouvait une seconde femme. Cette dernière était installée sur un siège en bois avec une boisson chaude à la main. Une délicieuse flagrance s’en échappait — du chocolat, peut-être ?

L’étrangère avait de longs cheveux bruns tirant presque sur le noir ; sa peau mate, quant à elle, était un peu plus foncée que celle de Clara, et ses grands yeux foncés observaient Sora avec attention. La Tatch, prudente, attrapa un des biscuits sablés qui se trouvaient sur la table et l’avala devant la mine étonnée de l’inconnue. La femme semblait déstabilisée. Bien. Car dans leur monde, être prévisible pouvait être synonyme de mort.

— Quoi ? Je n’ai pas le droit de prendre l’un de vos biscuits ? Je crois que c’est la moindre des choses, puisque vous me retenez ici contre mon gré.

Le biscuit était assez mauvais, mais Sora ne dédaigna pas la dose de sucre qui commençait déjà à infiltrer son corps.

— Tu n’es clairement pas la fille de ton père. L’impertinence n’est pas une qualité qui t’a été transmise par Ezra.

Sora haussa les sourcils.

— Vous savez qui je suis.

— Bien sûr, Soraya.

Cette dernière alla s’asseoir devant la chaise de l’inconnue.

— Mais moi, j’ignore qui vous êtes.

Sora porta de nouveau un biscuit à sa bouche avant d’ajouter d’un ton teinté d’un faux respect, comme l’aurait apprécié son père :

— À qui ai-je l’honneur ?

— Je suis Naveah.

— Naveah… Vous êtes la sœur du Commandant Odan Fairfox.

Une idée traversa l’esprit de Sora, qui ajouta :

— Vos soldats ont tué votre frère, vous le saviez ? Enfin, ce n’est pas comme si ça vous importait, j’imagine. Je sais que les Rebelles n’ont pas de cœur.

Comme tout le monde à Andallum, Sora connaissait l’histoire de la fameuse Naveah Fairfox. Fille de la chamane Makena, Naveah avait perdu l’amour de sa vie, un Oramas, ainsi que leur bébé à naître dans un horrible assassinat orchestré par son propre père. Les rumeurs racontaient que Naveah avait ensuite choisi de vivre en exil à l’Atlantide et que plus personne n’avait entendu parler d’elle.

— Nous ne sommes pas responsables de la mort d’Odan. Il y avait quelque chose d’étrange dans sa voix, quelque chose de glacial. La mort de son frère l’affectait, sans quoi elle n’aurait pas pris la peine de monter sa garde ainsi et de faire autant d’efforts pour paraître immuable. Cette pensée intrigua Sora. Cela signifiait que derrière ses grands airs, Naveah éprouvait encore un attachement pour sa famille et pour son ancienne vie.

— C’est ce que vos tueurs vous ont dit ? enchaîna Sora.

Elle poussa un soupir, délibérément provocante.

— Naveah Fairfox, répéta-t-elle plus lentement. Je m’étais toujours demandé ce qu’il était advenu de vous. Votre histoire est célèbre, là d’où je viens. Les Amogathis tentent de ne pas en discuter, mais comme c’est le cas avec toute chose à Andallum, rien ne reste caché bien longtemps.

Elle cessa de parler un instant, laissant ses paroles faire leur effet.

— Ça ne vous fait rien, d’entendre tout ça à propos de votre famille ?

Naveah la fixa longuement. Elle semblait perdue dans ses pensées.

— C’est ici que se trouve ma famille.

— Je parle des enfants de votre frère. Vous savez, Ariane et Fabien ? Maintenant orphelins à cause de vous. Leur mère a été la protégée de mon père. La toute première Tatch élue Sheef de l’Ordre de son histoire. Mais comme tous les autres, vous l’avez tuée.

Cela l’amena à penser à Michael O’Rey, le mari d’Ariane. Personne ne savait exactement ce qui lui était arrivé. Certains parlaient d’un suicide. D’autres mentionnaient un assassinat perpétré par l’Armée blanche, un regroupement de fanatiques amogathis ayant décidé d’opter pour des méthodes plus radicales pour mettre un terme à cette guerre. Une guerre provoquée par les Rebelles lorsqu’ils avaient fait exploser la mythique île de l’Atlantide.

Sora déglutit, ravalant sa colère.

En fait, elle comprenait la cause de leur rébellion. Elle savait que leur société se montrait problématique et que les Oramas méritaient leur liberté. Mais le prix de cette liberté lui semblait trop grand à payer pour appuyer les Rebelles dans leurs idées radicales.

Le regard de Sora s’attarda à nouveau sur Naveah. Elle voulait lui faire du mal et trouver sa faiblesse, ou du moins essayer de lui faire éprouver du regret ou même de la tristesse. Quelqu’un devait payer pour la mort de sa sœur Romy et d’Alexis. Toutefois, Naveah demeura impassible. Sa passivité enrageait Sora plus qu’autre chose.

— Le Concenat a vraiment une forte influence sur toi, souleva l’Amogathi. Tu ne sais même plus comment discerner la vérité du mensonge.

— Contrairement à vos soldats ? lança Sora, irritée. La dernière fois que j’ai parlé à Will Cassidy, il semblait plus que convaincu que vous n’étiez pas responsable de la destruction de l’Atlantide.

La mention de Will provoqua une étrange réaction chez Naveah, dont le masque de froideur s’affaissa assez longtemps pour laisser transparaître sa nervosité et son malaise.

— Mais je peux comprendre, continua Sora sur le même ton accusateur. S’il avait su la vérité, Will n’aurait sans doute jamais accepté de travailler pour les gens qui ont tué sa mère et son frère.

— Mariella et Isaac sont les malheureuses victimes d’une guerre engendrée par les actions des Amogathis, se défendit Naveah.

Sora secoua la tête.

— Vraiment ? C’est votre excuse pour mieux dormir la nuit ? Avouez-le, Naveah. Avouez que vous avez tué tous ces gens. Will connait la vérité, maintenant. C’est trop tard : vous l’avez perdu.

Aussitôt, Naveah se leva. L’air déserta ses poumons alors que Sora observait la chef des Rebelles traverser la pièce. Elle avait réussi à lui faire perdre le contrôle de ses émotions. Parfait.

— Je voulais faire ta connaissance, Soraya Adair, reprit Naveah d’une voix plus détachée qu’à l’habitude. Comprendre qui était la fille du grand Ezra Van Asten. Sa fille mi-humaine. Je voulais te donner une chance. Mais tu portes visiblement en toi l’arrogance des soldats de l’Ordre.

Sora lui décocha un sourire ironique. Elle savait qu’elle jouait avec le feu, mais ne pouvait pas s’en empêcher.

— Ma petite sœur a été tuée par l’un de vos soldats. Alors non, je ne serais jamais l’une des vôtres. Mais merci pour l’offre.

Les grands yeux noirs de Naveah laissèrent brièvement paraître une lueur de compassion.

— Je l’ignorais.

Naveah détourna la tête.

— Ton père est une bonne personne. J’ai toujours apprécié sa gentillesse. Il était proche de ma mère, tu le savais ? reprit-elle dans un soupir lui donnant l’air étrangement sincère. Pour ce que ça vaut, Soraya, je suis désolée d’apprendre la mort de ta sœur.

— Est-ce que vous allez me tuer ?

La question s’était échappée de ses lèvres sans qu’elle puisse la retenir.

— Ce n’est pas dans mes souhaits d’annoncer à Ezra Van Asten le décès d’un autre de ses enfants ou encore d’en porter le sang sur mes mains. Alors, j’imagine que seul l’avenir nous le dira.

Sora laissa filer un moment, absorbant ce que venait de lui dire la Rebelle.

— Vous avez l’intention de le dire à Alyssa ? Ce qu’elle est ?

— Ce qu’elle est ?

— L’origine de sa connexion avec Will. Leur lien, c’est la chose la plus puissante que j’aie jamais vue. Plus fort encore que l’Unification.

Naveah ouvrit alors la porte, faisant entrer l’un de ses soldats dans la pièce. Un étrange rictus venait de se glisser sur son visage lorsqu’elle répondit :

— Oh… je le sais.

Afficher en entier

Ajoutez votre commentaire

Ajoutez votre commentaire

Commentaires récents


Activité récente

Editeurs

Les chiffres

lecteurs 8
Commentaires 0
extraits 1
Evaluations 2
Note globale 7.5 / 10

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode