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Alvin ne bougeait pas, il attendait.

« Alvin Miller, crois-tu en un Dieu indivisible, sans corps ni passions ? Le grand Créateur non créé, dont le centre est partout mais la circonférence nulle part ? »

L’enfant parut y réfléchir un instant avant de répondre : « J’trouve que ç’a aucun sens.

— Ça n’est pas supposé avoir du sens pour un esprit charnel, dit Thrower. Je te demande seulement si tu crois dans Celui qui siège au sommet d’un trône sans sommet ; l’Être qui existe par Lui-même, si grand qu’Il emplit l’univers mais si pénétrant qu’Il vit dans ton cœur.

— Comment il peut s’asseoir au sommet de quelque chose qu’a pas de sommet ? Comment quelque chose d’aussi grand peut tenir dans mon cœur ? »

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Evidemment, ça n’arrangeait rien que la Bible donne sans arrêt envie de rire à Alvin, tout le temps au mauvais moment. C’est ce que Mesure lui avait dit, la fois où il s’était enfui de l’école pour se cacher chez David jusqu’à ce que son frère le retrouve juste avant le dîner. « Si t’évitais d’rigoler quand il lit la Bible, tu t’ferais moins taper d’ssus. »

Mais ça donnait vraiment envie de rire. Quand Jonathan tirait toutes ses flèches en l’air et qu’elles manquaient leur cible. Quand Jéroboam ne tirait pas assez de flèches par sa fenêtre. Quand Pharaon n’arrêtait pas d’imaginer des ruses pour empêcher les Hébreux de partir. Quand Samson, le benêt, disait son secret à Dalila qui l’avait déjà trahi par deux fois.

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Même s’il parvenait le plus souvent à garder un visage impassible pendant la classe, et donc à recevoir moins de raclées, le dimanche restait l’épreuve la plus terrible de toutes parce que, cloué à son banc inconfortable, il devait écouter le révérend Thrower alors que la moitié du temps il se retenait d’éclater de rire à se rouler par terre, et que l’autre moitié ça le démangeait de se lever pour crier : « Jamais j’ai entendu une grande personne dire une chose aussi bête ! »

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Ah oui, pensa Thrower. Le gamin a bel et bien eu affaire au Diable.

« Tu l’as vu, mon enfant ?

— Il ressemble à quoi, vot’ diable ? souffla le garçon.

— Ce n’est pas mon diable, dit Thrower. Et si tu avais bien écouté au culte, tu le saurais, parce que je l’ai souvent décrit. En guise de cheveux, le Diable a des cornes de taureau. En guise de mains, le Diable a des pattes d’ours. Il a les sabots d’un bouc, et sa voix ressemble au rugissement d’un lion dévorant. »

À la stupéfaction de Thrower, le gamin sourit, puis un rire agita silencieusement sa poitrine. « Et vous nous traitez, nous aut’, de superstitieux ! »

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La Reine sanglante

La petite Peggy faisait très attention avec les œufs. Elle farfouillait dans la paille avec la main jusqu’à ce que ses doigts cognent contre un objet dur et lourd. Le caca de poule, elle s’en fichait pas mal. Après tout, quand des voyageurs avec des bébés logeaient à l’auberge, maman ne plissait jamais le nez devant leurs langes, et pourtant c’était quelquefois dégoûtant. Alors, du caca de poule, même humide, gluant et qui collait aux doigts, elle s’en fichait pas mal, la petite Peggy. Elle écartait la paille, refermait la main sur l’œuf et le sortait délicatement du pondoir. Et ce, perchée sur un tabouret branlant, dressée sur la pointe des pieds, le bras tendu très loin au-dessus de sa tête. Maman la trouvait trop jeune pour ramasser les œufs, mais la petite Peggy tenait à lui montrer qu’elle n’était pas si petite que ça. Tous les jours, elle visitait tous les pondoirs et ramassait tous les œufs, jusqu’au dernier. Parfaitement.

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Comme le disait son propre proverbe : « La citerne contient, la fontaine se répand. » S’il ne racontait pas ses histoires, elles prenaient l’humidité et le moisi, elles s’étiolaient en lui ; tandis qu’en les diffusant il les conservait fraîches et convaincantes.

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« C’est quoi vot’ talent, monsieur ? demanda la femme. À vot’ façon de parler, vous m’avez l’air d’avoir de l’instruction. Vous seriez pas maître d’école, dites-moi ?

— Mon talent est dans mon nom, dit-il. Mot-pour-mot. J’ai un talent pour les histoires.

— Pour les inventer ? On appelle ça mentir, par chez nous. » Plus la femme cherchait à venir en aide à Mot-pour-mot, plus son mari était désagréable.

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« La plupart des pasteurs ne laissent pas de traces lumineuses sur ce qu’ils touchent. Seuls de rares élus atteignent à suffisamment de sainteté. »

Mais ce n’était pas à lui-même que songeait le pasteur. « Maintenant vous en avez assez dit, fit-il. Je sais que vous êtes un imposteur. Sortez de mon église.

— Je ne suis pas un imposteur. Je peux me tromper, mais je ne mens jamais.

— Et moi, je ne crois jamais qui prétend ne jamais mentir.

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