Extraits

Britannicus, mon général, avait quitté l’avant de notre colonne à peine quelques instants plus tôt pour houspiller nos retardataires et, en faisant volter ma monture, j’avisai à environ trente pas de là son panache cramoisi tandis qu’il s’efforçait de maîtriser son cheval récalcitrant. Immédiatement à son aplomb, les parois grouillaient d’hommes vêtus de peaux de bête qui s’apprêtaient à sauter, alors je fouettai mon cheval apeuré pour l’inciter à bondir par-dessus les soldats, et me donner l’espace nécessaire à une résistance efficace.

Les trois hommes avec qui je m’entretenais furent réduits sous mes yeux à l’état de bouillie sanglante par un imposant rocher paraissant surgi de nulle part. Ils ne virent même pas la mort arriver. Je ne doute pas qu’il en soit allé de même pour ceux qui succombèrent au cours de cette première minute apocalyptique. Je fus pour ma part pétrifié par la soudaineté de l’attaque. Au début, il ne me vint même pas à l’esprit que c’en était une, car cela faisait plus d’une semaine que nous n’avions pas aperçu le moindre ennemi, et nous ne pensions pas nous heurter à une présence hostile, si haut dans la montagne.

Dieu sait que tomber dans un traquenard n’est jamais une partie de plaisir, mais celui qui nous avait été tendu ce jour-là figure parmi les pires que j’ai connus durant toutes mes années de service. Les païens semblaient tout droit sortis de la roche. On les aurait cru mi-hommes mi-chèvres sauvages, ces créatures féroces et terrifiantes qui nous prirent totalement par surprise dans un défilé d’altitude, en plein cœur de la boursouflure montagneuse qui parcourt la Bretagne.

Il est aussi des fois où je songe à ma vie de soldat avec, au cœur, une hilarité teintée de circonspection. Je me souviens des bévues et du chaos, toutes les petites failles et fragilités de l’humain que fait resurgir la vie militaire, et l’alternative pour moi est claire : je puis soit en rire, soit en pleurer.

Je fête aujourd’hui mon soixante-septième anniversaire, par une chaude journée d’été de l’an de grâce 410, si l’on en croit le nouveau système par lequel les chrétiens mesurent l’écoulement du temps. Le poids des ans est bien là, je le sais. Soixante-sept étés ont vieilli mes os. Mais mon esprit n’a pas suivi le déclin de mon corps.