Les Disparus du Laogaï

Fin juillet 1953, la signature de l'armistice achevait sur le papier la guerre des Chinois et des Coréens contre les Américains. L'URSS, considérée comme la grande soeur de la République Populaire de Chine, venait de perdre son grand leader Staline. Cette nouvelle atténuait la joie de la victoire.

Des soldats traînaient partout dans les rues de Pékin. Il pleuvait dru. Le docteur Kou Liang s'était réveillé en sursaut. On frappait à la porte. Un jeune garçon lui avait délivré un message de la part des policiers du Gonganbu, la Sécurité publique. Il était réquisitionné pour donner son avis sur des décès survenus au 22 de la rue Dazhalan - près de la porte Qianmen et des décombres de la vieille enceinte démolie pour permettre la circulation vers l'antique coeur tartare de la ville. Kou s'était saisi du sac de cuir d'origine occidentale contenant les outils de sa profession et juré entre ses dents en ouvrant un immense parapluie noir maintes fois réparé. Certes, cette pluie était une aubaine pour les champs assoiffés autour de Pékin, mais se mouiller le dos à la descente du kang n'était pas ce dont il avait rêvé. Sautillant pour éviter les flaques formées par l'orage dans la terre battue des ruelles, le docteur Kou eut aussitôt le bas de son pantalon trempé et crotté. Ses sourcils se tortillaient comme des vers sur une pomme car la rue Dazhalan, située au coeur d'un ancien quartier de courtisanes, avait encore mauvaise réputation même si le socialisme avait déclaré la prostitution illégale.

Kou serrait sa veste matelassée et décolorée sur son corps maigre. Malgré l'orage, les ruelles étaient encombrées et, levant haut le parapluie, il doubla un groupe de militaires menant un cheval attelé à une charrette à bras, sans se rendre compte que ceux-ci prenaient la même direction que lui. Il leva la tête, chercha les numéros du regard. 22. C'était une maison qu'il connaissait pour s'y être déjà rendu. Une de ces rares habitations à étage, comme on en voyait dans le quartier. Un crépi lépreux recouvrait la façade de briques grises. Kou referma le riflard, le secoua et entra dans le couloir obscur, se dirigeant vers le rectangle de lumière au fond. Le bruit de cataracte augmenta à nouveau. Il déboucha sur une cour carrée, plantée d'un arbre stoïque sous le déluge. L'aile gauche avait aussi un étage et arborait un balustre à la laque rouge écaillée. Deux policiers en uniforme encadraient l'entrée de l'aile en dansant d'un pied sur l'autre, collés au mur comme deux affiches pour éviter la pluie. Kou trottina vers eux.