Extraits

Une ombre bougea derrière Un-Œil. La gorge d’Haleth se serra. L’homme à la gauche d’Un-Œil s’affaissa en avant. Haleth aperçut le reflet pâle d’une lame, disparu l’instant d’après.

— Cours, Un-Œil ! cria-t-il. Cours !

Autour de lui, la nervosité s’était emparée de tous les hommes. Ils scrutaient la forêt, pour tenter de percer l’impénétrable. Le sol autour d’eux était toujours traître et glissant, mais ils devraient s’en contenter. Les troncs d’arbres, les lianes et les branches épaisses allaient gêner les mouvements d’épées. Et le cercle était trop réduit. Haleth comprenait sans mal leur hésitation. Mais malgré cela…

— Ecartez les rangs. Laissez un peu de place aux mages et aux archers. N’attendez pas mon ordre pour tirer ou lâcher vos sortilèges. Allez. De l’espace. De l’espace pour se battre !

Haleth avança de deux grandes enjambées, en faisant signe à ceux qui se trouvaient à sa gauche et à sa droite de le suivre.

— Ils sont combien ? demanda l’un d’eux.

— J’ai l’air d’un voyant ?

Un-Œil et son acolyte rejoignirent en courant le cercle approximatif. Les survivants du flanc gauche et de l’arrière-garde firent de même. Dix-sept hommes en tout. Trois équipés d’arcs. Deux mages. On entendait les frottements des pieds qui cherchaient un appui solide sur le sol. Des jurons étouffés, des voix réclamant un peu d’espace. Le murmure de sortilèges en train d’être formés.

Pourtant, autour d’eux, à l’exception des bruits humides de la pluie torrentielle, la forêt s’était tue

Chapitre premier

Ce n’est que dans l’harmonie que nous construirons. Ce n’est que dans la confiance que nous accomplirons notre destinée.

Ils avaient été suivis durant les cinq derniers kilomètres de leur approche. Sildaan les avait sentis, mais elle n’arrivait pas à les voir. Ceux qui l’accompagnaient étaient totalement inconscients du danger. Ils n’avaient aucune idée du risque qu’ils couraient. Typique des hommes. Des étrangers. Bouffis d’orgueil, convaincus de leur force et de leur puissance. Ignorants. Et s’ils étaient encore en vie, c’est parce qu’elle les accompagnait.

Pourtant, elle avait remis son sort entre leurs mains. Elle soupira pour elle-même. À présent qu’ils émergeaient du sanctuaire de la forêt des pluies pour contempler la majesté du temple d’Yniss à Aryndeneth, sa décision lui semblait tout à fait ridicule.

L’immense dôme vert et or du temple s’élevait à plus de soixante mètres. Il avait été érigé au sommet d’une structure circulaire en pierre. Le dôme comme les parois étaient percés de multiples fenêtres de verre coloré qui diffusaient une lumière de toutes les nuances de l’arc-en-ciel. Sur chaque bloc était gravé un symbole représentant les dons d’Yniss, qu’il s’agisse de la lumière, de l’eau, des animaux, des végétaux ou des minéraux. De grandes portes en bois cerclées de fer surplombaient un chemin sculpté dans la roche. La piste traversait un amphithéâtre de pierre grandiose avant de s’enfoncer dans la forêt.

C’était sur ce chemin qu’ils progressaient. Trente hommes regroupés derrière Sildaan, les yeux écarquillés et bouche bée à la vue du temple. Ils mirent un certain temps à remarquer ceux qui se tenaient devant, debout sur l’esplanade naturelle.

Neuf TaiGethen. Trois cellules des guerriers d’élite d’Yniss, le père des elfes. Le groupe qui les avait suivis à la trace venait de rejoindre les deux autres. Ils avaient peint leurs visages en vert et brun pour les camoufler et arboraient des vêtements imitant les couleurs du sol de la forêt des pluies. À l’ombre des arbres, ils étaient tout simplement invisibles.

Sildaan ne s’était jamais trouvée confrontée à eux par le passé. Leur immobilité était troublante. Leurs regards implacables transperçaient l’armure de son courage. Des épées étaient glissées dans leurs fourreaux dorsaux. Les bourses contenant les jaqrui, redoutables projectiles en forme de croissant, étaient fermées. Peut-être était-ce la raison pour laquelle les humains ne semblaient pas inquiets. Sildaan ressentit de la pitié devant une telle ignorance. Un TaiGethen n’avait pas besoin d’armes tranchantes pour tuer.

— Arrêtez-vous, prêtresse Sildaan, ordonna Myriin. Ils ne profaneront pas ce temple.

Sildaan sentit la première lame de culpabilité s’enfoncer dans son âme. Elle rassembla son courage. Ce qu’ils étaient venus faire devait être fait. Elle se cramponnait à cette certitude comme si celle-ci risquait de lui échapper pour exploser au-dessus de la cime des arbres, en même temps que sa détermination.

Spoiler(cliquez pour révéler)- Nous avons la forêt des pluies et nous savons qu'elle est indomptable. Les humains de le comprendront jamais et c'est l'une des raisons qui font qu'ils échoueront.

Spoiler(cliquez pour révéler)Takaar posa une main sur le torse du mage et le repoussa d'un pas. Puis il plaça l'autre main sur son visage. Le feu engloutit la tête de l'homme. Un mélange tourbillonnant de brun et de vert tacheté de gris. Les cris de l’humain furent aussi déchirants que brefs.

Takaar retira sa main et l'examina, bouche bée, lèvres tremblantes.

Spoiler(cliquez pour révéler)Des centaines, des milliers d'elfes avaient été sauvés. La destruction du musée en avait attiré d'autres, qui avaient forcé leurs portes et leurs fenêtres pour se joindre à l’exode. Les questions étaient devenues inutiles. Un seul regard sur le visage des hommes apportait la réponse. Quiconque resterait ici serait condamné.

Spoiler(cliquez pour révéler)Auum courait en compagnie des cellules filant vers le musée, Pelyn avait promis à Methian d'essayer d'aider les Gyaliens. Et ce malgré ce qui était arrivé au jeune Al-Arynaar tombé entre leurs mains quelques jours auparavant. Ce n'était pas le moment, avait annoncé Grafyrre, de se laisser troubler par une animosité entre lignées. Les elfes s'en prendront aux elfes plus tard ; c'était leur droit. Mais ce n'était pas celui des humains.

- Il s'agissait d'agitateurs, de problèmes à régler. Ceux qui restent à présent ne désirent que la paix. Pourquoi voudrais-je les voir mort ?

- Parce que ce ne sont que des elfes et que le moment décisif est venu de nous assurer la victoire et leur soumission.

Cette fois, Spoiler(cliquez pour révéler)Garan se retourna, surpris par le mépris qu'il ressentait pour Spoiler(cliquez pour révéler)Keller. Un mépris mêlé à de la pitié face à un jugement aussi peu perspicace.

- J'avais une meilleure opinion de toi mais tu n'es qu'un laquais au service des seigneurs mages.

Les visages se tournaient vers le ciel mais ceux qui les avaient vus n'étaient déjà plus en mesure de les arrêter, sans parler de les suivre. Marack effectuait un saut périlleux à côté de lui, Spoiler(cliquez pour révéler)Takaar un autre de ses plongeons horizontaux, sauvage et gracieux. Grafyrre et Merrat se déplaçaient main dans la main, prenant appui sur leurs pieds gauches respectifs dans un équilibre parfait.

Auum atterrit. Le porteur du casque émit un grognement et se baissa sous la brève sensation de poids mais Auum était déjà reparti. C'était comme courir sur la boue engloutissante de l'embouchure d'Orra à l'extrémité du fleuve Ix, ou sur les sables mouvants du côté de Palynt. Des pas rapides, avec un minimum de poids sur chaque pied et le corps tout entier penché très en avant. En sautant d'un appui à l'autre sans jamais chercher à se propulser vers l'avant. Olmaat avait l'habitude de dire que ce n'était guère plus qu'une chute maîtrisée.

[...]

Les TaiGethen survolaient les têtes de leurs ennemis comme la dernière brume soufflée à la surface de l'océan. Perçue et disparue aussi sec.

[...]

Il sélectionna son point d'atterrissage, redressa son corps et frappa des deux pieds la tête de sa dernière cible. Le mage s'écroula sous son poids. Auum se laissa tomber, roula sur lui-même et se redressa dans un même mouvement.

- [...] Dis quelque chose. Mais ne lui tape pas la tête contre le sol.

Pelyn fit la grimace.

- Je vais tâcher d'éviter.

- Et fais preuve de tact, ajouta Katyett.

- Peut-être que arriveras-tu à le calmer. Ma tentative n'a pas été très réussie, dit Katyett.

- Qu'est-ce que tu as fait ? Tu l'as frappé ?

- Non, je lui ai crié dessus en lui tapant la tête contre le sol.