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Nolan poussa un petit soupir, puis gagna la cambuse qu’ils avaient aménagée en dortoir pour hommes. Keb s’était déjà allongé, prenant un peu de repos avant la suite des événements, comme il le faisait dès qu’il en avait l’occasion. Le novice remarqua la pile de grimoires que le Wallatte avait posée sur la couchette d’Amanón…

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La détresse du grand-père était d’autant plus poignante que, par son sacrifice, Niss avait réussi à leur sauver la vie à tous. C’est en projetant son esprit dans le corps du Zü, et en semant la pagaille dans les rangs de leurs ennemis, que la jeune fille avait donné aux héritiers la diversion indispensable à une résistance armée… Elle-même avait abattu plusieurs adversaires, et aurait pu continuer encore, si Zuïa n’avait soudain posé son regard mortel sur l’assassin possédé. Juste avant que ce dernier ne s’écroule, en portant les mains à son crâne.

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Bowbaq aurait voulu se montrer plus fort, à la hauteur de ses compagnons, ces enfants, mais il n’y parvenait pas. Il devait souvent ravaler un sanglot, se frotter les yeux, avant de s’essuyer la main dans une barbe en broussaille… Posé contre sa poitrine, le corps de sa petite-fille était toujours aussi inerte. Niss était si légère, si fluette ; et pourtant, comme elle pesait sur la tristesse du géant !

Le grand-père n’arrivait pas à croire au drame, et semblait donc le redécouvrir à chaque instant qui passait. Comment la vie pouvait-elle être aussi cruelle ? Après la disparition de l’ensemble des membres de sa famille, Bowbaq avait trouvé un peu de réconfort, un peu d’espoir, à travers la guérison de Niss… pour finalement la voir repartir dans le Rêve, cet univers étrange où son âme pourrait errer jusqu’à son dernier jour. Car, en dehors de son absence totale de réaction, la jeune fille était en parfaite forme physique : seul son esprit avait été traumatisé, par la mort qu’elle avait vécu à travers un corps d’emprunt. Le corps d’un tueur Zü.

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Aujourd’hui, pourtant, la gargote baignait dans une animation inhabituelle. Une foule d’une cinquantaine de personnes était rassemblée devant la façade, discutant d’un avis qui y était placardé, tandis qu’au moins autant de gens s’étaient tassés dans l’auberge, parlant fort et agitant les bras… Interloqué, Drud se fraya un chemin jusqu’à l’affiche et s’efforça de la déchiffrer. Mais il ne connaissait son alphabet que depuis peu, et l’exercice lui parut affreusement compliqué… Alors qu’il choisissait de tendre l’oreille et de se mêler des conversations, il reconnut l’un de ses amis, Mandrin, parmi les badauds. En jouant des coudes, il parvint à se glisser jusqu’au jeune homme, apprenti chez un maître potier. Lui qui était si calme, d’habitude, paraissait aujourd’hui bien excité !

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Là était d’ailleurs un autre point étonnant. Ce mortel semblait n’avoir aucune haine, pour qui que ce soit. Tout juste craignait-il une attaque des Züu, en gardant à l’esprit que les tueurs rouges étaient victimes, également, d’un conditionnement entretenu depuis leur plus jeune âge… De même, Yan ne me redoutait pas comme il aurait dû le faire. Il avait senti mon désarroi devant la trahison de Saat. Il me voyait comme un enfant du jal, injustement arraché, trop tôt, à la protection des jardins…

Ce mortel ressentait de la compassion pour moi.

Pour cela, je fus plusieurs fois sur le point de quitter ma forme invisible, d’étirer mes griffes et de transpercer chacun de ses organes. Alors qu’il déambulait à quelques pas de moi, ou qu’il dormait d’un sommeil sans rêve, j’étais rongé par l’envie de lui arracher les membres, de lui briser les os, de l’ouvrir comme un fruit mûr et de mettre ses chairs à nu… Pourtant, les jours passaient sans que je n’agisse.

Par la volonté des hommes, je suis Celui-qui-Vainc. Ceux qui ne se soumettent pas à ma puissance doivent être détruits. Voilà la règle qui gouverne mon esprit… Or, ce Yan que j’avais blessé à plusieurs reprises, et qui voyait tous ses proches menacés par ma seule existence, ne se considérait pas comme mon ennemi. Et le trouble que j’en ressentais ne débouchait sur aucune décision.

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Aucun enfant, dieu ou démon, n’avait quitté le Jal dans les huit derniers siècles. C’est ce que m’ont appris mes « alliés », ou plutôt, les éternels qui se sont déjà soumis à ma puissance. Chacun d’eux songeait même à la fin de notre expansion, lorsque j’ai soudain fait mon apparition… Les Grands Doyens, surtout. Eux se souvenaient d’une ère où de nouvelles divinités éclosaient à chaque lune, et ils se satisfaisaient plutôt de cette accalmie, je me réjouis de les contrarier par ma seule existence ! Les créatures de Dara et de Karu sont ennemies par nature : tout ce qui peut nuire à Hamsa, Eurydis et consorts me procure un plaisir féroce.

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Je sais par quelles étapes ma cadette va passer, avant d’aboutir enfin à une condition supérieure. On n’accède pas à la puissance éternelle sans souffrances… à moins que les règles de Dara ne soient différentes, ce dont je doute. J’ai quelques souvenirs de ces jardins ennuyeux, où le vieux Nol l’Étrange règne en tyran depuis les premiers jours. En réalité, l’ordre qui est imposé là-bas peut se révéler tout aussi cruel que le chaos qui baigne les fosses. Surtout pour une enfant qui n’a pas grandi parmi les siens, comme elle l’aurait dû.

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Che’b’ree contemplait l’objet avec un mélange de crainte, de respect et de mélancolie. Cent fois déjà, elle avait décidé de s’en débarrasser, de le faire convoyer à l’autre bout du monde, ou de le plonger dans le feu de la terre jusqu’à ce qu’il n’en reste rien… Mais jamais elle n’avait pu s’y résoudre. Avec son pendentif, l’objet était certainement son plus grand trésor.

Malheureusement, c’était aussi le plus dangereux.

Il suffisait que Sombre apprenne son existence pour condamner la reine wallatte à une mort certaine. Elle risquait beaucoup en le conservant plus longtemps ; tout comme elle perdrait un atout inestimable en s’en dépossédant… Le choix avait été difficile, pendant toutes ces années. Mais il était beaucoup plus simple depuis que Keb s’était rallié aux héritiers. L’objet représentait pratiquement le seul espoir de Chebree de voir revenir son fils. Dès lors, il n’était pas question de s’en éloigner de plus de quelques lieues.

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Lentement, j’avançai jusqu’au cadavre de Saat. Il était toujours assis sur son trône, la bouche ouverte en une grimace de plainte éternelle. Aucun mortel n’avait osé y toucher. Même la vermine avait évité de mordre à sa dépouille desséchée, horriblement ridée, et finalement rattrapée par le temps. À hauteur de son cœur éteint, on discernait encore la morsure d’une épée… L’arme, elle, n’était plus là. Emmenée, probablement, par ces héritiers dont la lignée pourrait causer ma perte.

D’une poussée du pied, je jetai à terre la momie qui m’avait créé. L’inclinaison que prit la mâchoire de la silhouette étendue m’apparut sarcastique, et bien trop familière. Alors, je laissai libre cours à ma colère, déchirant os et peaux de la dépouille jusqu’à ne plus pouvoir reconnaître leur origine humaine.

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Malheureusement pour le sorcier, nous avons rejoint le monde des hommes avant que je ne sois tout à fait abouti. Les dizaines de milliers de guerriers et d’esclaves qu’il poussa à m’adorer achevèrent, eux, de construire ma pensée. Leurs prières et supplications m’ouvrirent grand les yeux sur la réalité ; tandis que Saat commençait à prendre des décisions surprenantes. Comme celle de reporter l’exécution de Lana, l’une des damnées héritières qui pouvaient causer ma perte. Et ceci, alors même qu’elle portait un enfant des plus dangereux !

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