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Léonora se mit à rire. En le regardant bien en face, sa fille se mit à rire tout haut. Il se demanda comment elle l’osait. Il entendit aussi de l’amusement derrière lui, l’un des hommes qui les gardaient.
Puis, comme il avait toujours été retors, il comprit. Et la stupéfaction l’envahit, avant même que Léonora ne reprît la parole.
« Si vous désirez vous adresser à la Fille Aînée, je crains que vous ne deviez vous adresser à moi, père. Je vous ai dit de vous asseoir. Capitaine, je vous prie, asseyez-le. »
Il était ébranlé, inutile de le nier. Mais un homme, n’importe quel homme, il pouvait s’en accommoder. Il se retourna vers le capitaine. « Si vous essayez de m’obliger à faire quoi que ce soit contre mon gré, vous devrez me tuer. Parce que je ne lui obéirai pas. Voulez-vous voir votre nom entaché de meurtre devant le Patriarche et devant le Dieu ? »
Le capitaine hésita. Mais, à son plus grand dam, Érigio Valéri comprit que c’était seulement une pause tactique. L’homme dégaina et, du plat de sa lame, frappa d’un coup expert et dur le creux des genoux d’Érigio – une manœuvre qu’il connaissait bien ; on ne peut rester debout ainsi frappé par quelqu’un qui sait ce qu’il fait. Il se retrouva à genoux.
« Ma dame, est-il acceptable qu’il s’agenouille ? »
Il s’adressait à sa fille, qui était, d’une manière ou d’une autre, la Fille Aînée du lieu, l’autorité dans cette pièce, et qui murmurait, posément : « Je serai satisfaite de le voir à genoux devant moi. Merci, Capitaine. »
Il y eut un mouvement dans les ombres. Une vieille femme desséchée s’avança, appuyée sur une canne. Elle était de grande taille, avec des cheveux blancs sous un bonnet de velours violet à reflets rouges ; ses joues étaient maquillées de rouge, elle portait un lourd collier d’or et des bagues à
plusieurs doigts, quelque vaine tentative de sophistication, se dit-il ; des tenancières de bordel, à Mylasia ou à Rhodias, avaient cette allure.
La vieille s’arrêta près de Léonora. « Je suppose, dit-elle d’une voix claire et froide, que vous désirez me voir siéger en jugement de cet homme ?
— Oui, dit Léonora. J’en serai reconnaissante.
— Vous ? Me juger ? » s’écria Érigio. Il perdait son sang-froid; cela arrivait. D’habitude, on en était effrayé autour de lui. Il se redressa, en ignorant la douleur (il y excellait) : « Se moque-t-on de Jad ? Une vieille haridelle déguisée est amenée pour…»
Il s’écroula en avant sur ses genoux, avec une exclamation étranglée, car le plat de la lame avait frappé de nouveau, plus fort et exactement au même endroit.
Derrière lui, la voix de l’homme s’éleva : « Quoique vous puissiez être, quel que soit votre rang, vous n’êtes rien devant elle. Prosternez-vous, le front au sol.
— Quoi ? Jamais ! Pourquoi ? »
Ce fut sa fille qui répondit : « Parce que vous êtes en la présence de l’Impératrice Eudoxia de Sarance, veuve d’un empereur et mère d’un autre. Et votre juge ce matin. Compte tenu de ce dernier détail, père, il serait peut-être avisé de lui rendre hommage. »
Afficher en entierDanica se releva.
Elle avait conscience de tous les mouvements individuels que cela impliquait. De son souffle, dehors, dedans. Tico était près d’elle. Elle tendit lentement une main, toucha la tête de son chien.
Elle avait pris une flèche dans le cœur, à courte portée, et elle se relevait. La déesse chasseresse avait quitté le monde, n’avait jamais existé, enseignaient les prêtres. Un conte pour enfants, pour les ignorants crédules, disaient-ils. Pour les foyers de village les nuits d’hiver. Et pourtant, elle se relevait.
Elle avait terriblement mal. Chaque souffle était douloureux. Elle respirait. La flèche reposait dans l’herbe près d’elle. Danica se pencha avec précaution pour la ramasser. Elle la contempla. Il y avait du sang dessus, mais seulement un peu. Sur la pointe.
Elle était debout. Vivante. Elle regarda le peintre, Péro Villani, qui avait tout vu. Il avait la bouche béante. Le visage livide. Il semblait sur le point de s’agenouiller ou de s’effondrer. Elle éprouvait la même sensation. Elle respirait à petits coups, ça faisait trop mal, sinon. Il y avait davantage de lumière, mais c’était sûrement une illusion, la confusion. Ce genre de choses.
Afficher en entierC'était une douce nuit, l'une des premières d'un printemps froid. Peu de vent. Elle n'aurait jamais pu mettre ses projets à exécution sur une mer agitée. Elle laissa tomber sa cape de ses épaules et leva les yeux vers les étoiles. Plus jeune, au village, quand elle dormait dehors derrière la maison certaines chaudes nuits d'été, elle s'endormait en essayant de les compter. Les nombres se succédaient à l'infini, de toute évidence. Les étoiles aussi. Elle n'était pas loin de comprendre pourquoi les asharites les vénéraient. A ceci près qu'il fallait renier Jad pour en arriver là. Comment s'y résoudre?
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