Les Éternels, Tome 5 : Empathie

Le lendemain, Emma donna rendez-vous à Stella dans le pavillon Moi et les autres et elle lui apporta un paquet.

— C’est pour toi, lui apprit-elle. De Jules.

En tant que campeuse, Stella ne recevait son courrier qu’une fois tous les trois jours. Ce devait être différent pour les moniteurs. Elle défit l’emballage de papier brun et un mot tomba au sol.

Un vacarme épouvantable retentissait au vingtième étage ce matin. Monsieur Menzies a dû entrer dans ta chambre forte. Il semblerait que ta mère t’envoie ceci. Une chance que ce coffret était chez nous et pas dans une banque. Ç’aurait été la panique.

Jules

Stella rit en imaginant la scène.

En mourant, sa mère, qui avait été un puissant ange guerrier, lui avait légué tous ses instruments angéliques. Avec l’aide de monsieur Menzies, le directeur de l’Académie, Stella les avait cachés à différents endroits, dont l’étage des coffres-forts de l’école.

Elle défit l’emballage et devint extrêmement émue en voyant le petit coffret argenté. Elle passa doucement ses doigts sur la gravure.

Sa mère lui avait également légué un certain nombre de coffrets barrés, que Stella parvenait à ouvrir seulement lorsqu’elle avait développé les qualités inscrites sur le couvercle. Elle souleva celui-ci et découvrit un carton plié en deux.

Ma très chère Plume,

Que je suis fière de toi ! Si tu reçois ce coffret, c’est que tu as su développer un don angélique précieux, celui de la compréhension d’autrui. La compassion qui se trouvait déjà en toi a atteint un nouveau sommet.

Je te lègue mon Veritas Audite. Placé derrière ton oreille, il te permettra d’entendre la pensée de l’autre au-delà des paroles prononcées. Utilise-le judicieusement. Ce qui n’est pas dit n’est pas toujours bon à entendre !

Maman, qui t’aimera pour l’éternité !

Les yeux remplis de larmes, Stella regarda au fond du coffret. Sur un lit de velours mauve, un objet en forme de C gisait. L’adolescente le prit et le posa derrière son oreille.

Emma l’observait avec curiosité. Sans que son amie ouvrît la bouche, Stella l’entendit dire :

— Ça doit venir de sa mère ! Je me demande ce que c’est.

— C’est un instrument angélique parce que j’ai développé le don d’empathie, lui expliqua-t-elle gentiment.

— C’est vraiment super ! répondit Emmanuelle.

Presque simultanément, Stella entendit aussi :

— Wow ! Je ne suis pas étonnée. Elle a tellement de talent. Le sait-elle ? Sûrement pas. Un grand ange, c’est ça qu’elle est en train de devenir.

Stella enleva l’appareil et prit son amie dans ses bras. Emmanuelle avait le cœur le plus pur qu’elle connût. Il faudrait qu’elle trouve bientôt un moment pour le lui dire sans qu’elle ait l’air d’avoir lu dans ses pensées.

La journée de vendredi et celle du samedi s’écoulèrent à toute vitesse et la petite pièce de théâtre fut un succès. Victoria, assise juste derrière IDFX dans l’assistance, l’aida, sans qu’il s’en rendît compte, à garder son calme lorsqu’il assista aux scènes où figurait le personnage de Sharpie. Celui-ci était présent et souriait dans son coin en voyant les campeurs imiter les farces qu’il avait faites de son vivant.

Le matin même, Stella avait eu la confirmation que son travail auprès de son ange temporaire était terminé. Un autre éternel allait le contacter pour lui confier régulièrement de petites missions, en attendant que ceux dont il prenait déjà soin n’aient plus besoin de lui. Sharpie avait reçu une formation accélérée par rapport aux autres anges temporaires. Au dire de Jules, il était remarquable !

La journée finit avec un immense bivouac où, pour la première fois, Emma fit entendre sa magnifique voix avec Qui peut faire de la voile sans vent et Partons, la mer est belle. Elle eut presque autant de succès que Victoria avec son violon. Les adolescents eurent la permission de se coucher à minuit, ce dont ils profitèrent, s’échangeant mille promesses de s’écrire, de se suivre sur les réseaux sociaux et d’essayer de revenir l’an prochain.

Stella entendit Julia promettre à Maude de l’inviter à passer une fin de semaine chez elle avant la fin de l’été, et les deux filles décidèrent déjà de fêter l’Halloween ensemble.

— Tu vas voir, dans mon quartier, c’est quelque chose, lui confia Julia. Tu auras des bonbons jusqu’à Noël.

Discrètement, Stella s’éloigna un peu et mit le Veritas Audite derrière son oreille. Mathis s’approcha d’elle.

— Tu m’écriras, n’est-ce pas ?

Il la regardait d’un air suppliant.

— J’espère qu’elle m’écrira ! entendit Stella au même moment. Moi, en tout cas, je le ferai et j’insisterai pour qu’elle revienne l’an prochain et pour qu’on se voie dans l’année. Si seulement j’osais lui demander de sortir avec moi !

Stella réfléchit à toute vitesse. Elle savait qu’elle ne pourrait pas revoir Mathis. Elle devait anéantir ses espoirs.

— Bien sûr que je t’écrirai, lui assura-t-elle, mais mon copain n’aimera peut-être pas beaucoup ça.

— Ahhh ! Je le savais. C’était impossible qu’elle soit célibataire.

Il prononça pourtant :

— Oh ! Tu as un chum ? Ouais… je comprends. Essaie quand même, OK ?

Puis, le campeur regarda par-dessus l’épaule droite de Stella.

— Au moins, je ne serai pas le seul à être déçu !

L’adolescente tourna la tête et vit Raphaël arriver près d’eux.

— Vivement qu’on parte d’ici et que Mathis la laisse tranquille, songea son meilleur ami.

Toutefois, il demanda à voix haute à Stella :

— Tu m’accordes une minute ? J’aimerais te parler.

Stella approuva d’un signe de tête et Mathis s’éloigna en ronchonnant dans sa tête. Raphaël l’amena s’asseoir près du feu de camp.

— Elle doit être triste de partir, pensa-t-il.

Stella observa les campeurs et les moniteurs. Oui. Elle était triste. Très triste même. Elle savait qu’elle devait leur faire ses adieux pour toujours. C’était cruel.

— Tu n’aurais pas pu bien exécuter ton travail si tu ne les avais pas aimés, lui rappela Raphaël pendant que des larmes coulaient sur les joues de la jeune fille— C’était pourtant mon intention, chuchota Stella. Évaluer l’endroit froidement, sans m’investir émotionnellement, et repartir à l’Académie ensuite.

— Ce n’est pas dans notre nature. Nous sommes nés pour aimer les humains autant que pour les aider.

— C’est vrai, mais j’éprouve de la peine à leur dire adieu sans arrêt.

— Elle a tellement raison ! Mais je suis là, moi ! Et je resterai là. Toujours ! Elle pourra toujours compter sur moi. J’en fais le serment.

Stella retira son oreillette d’un coup. Sa mère avait raison. Tout ne devait pas être entendu.

— Une chance que nous nous avons ! prononça tout simplement Raphaël.

— Oui, une chance que nous nous avons ! approuva-t-elle.

Les deux apprentis éternels observèrent toutes ces personnes qu’ils avaient appris à aimer.

— Nous continuerons à veiller sur eux, décida Stella.

— Aussi longtemps qu’ils vivront, poursuivit Raphaël.

FIN

(Du livre)