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L'oncle Mustapha se tut. Il connaissait l'obstination de son frère et surtout l'histoire de la chèvre. L'histoire de la chèvre était connue de toute la famille, et même des lointaines connaissances. C'était un épisode assez caractéristique de la mauvaise foi et de l'esprit de contradiction du vieux Hafez. Un jour qu'il se promenait dans ses terres, en compagnie d'un cousin, le vieux Hafez - qui avait à cette époque une cinquantaine d'années - s'arrêta au milieu d'un champ et avisa une forme noire au sommet d'une ondulation de terrain. L'objet était assez éloigné, et ni l'un ni l'autre n'était en mesure de dire exactement de quoi il s'agissait. « C'est une chèvre », dit tout à coup le vieux Hafez. « C'est un milan », répondit le cousin. Le vieux Hafez le traita d'aveugle et persista dans son idée. Au bout d'un moment, comme ils étaient en train de discuter, l'objet du litige s'envola dans les airs et se perdit à l'horizon. « Tu as vu, c'était un milan », s'écria le cousin triomphant. Le vieux Hafez rétorqua sans se troubler le moins du monde : « C'était une chèvre, même si elle s'est envolée ». Devant cette aberration, le cousin s'éloigna indigné, et resta pour toujours fâché avec lui.
Afficher en entierC'était l'heure sacrée de la sieste ; la maison était silencieuse, comme enfouie au fond même du silence. Parfois, un bruit de vaisselle, imperceptible, étouffé, s'incrustait dans l'atmosphère immobile, semblait un cri perdu à travers l'épaisseur du sommeil. Rafik, étendu sur son lit, ne dormait pas. Les yeux grands ouverts das la pénombre, il veillait avec un soin méticuleux, s'épuisait dans une lutte inégale contre la torpeur. Il était dans l'attente de Haga Zohra, l'entremetteuse, dont les manigances risquaient de noyer toute la maison dans un irréparable désordre.
Afficher en entierIl se sentait plus léger, comme poussé par une force tranquille et tendre qui semblait avoir pris possession de son destin. D'avoir saisi cette vérité élémentaire cachée au fond de la vie - la volonté du moindre effort - le remplissait d'orgueil et de gratitude. Il avait l'impression de voguer au-dessus d'une humanité croupissante qui n'avait pas encore découvert sa véritable nature. La sottise des hommes était incommensurable. Qu'avaient-ils besoin de se démener, toujours hargneux et mécontents, lorsque l'unique sagesse résidait justement dans une attitude nonchalante et passive. C'était pourtant si simple. Le moindre mendiant aurait compris cela !
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