Les Fantômes de Maiden Lane, Tome 3,5 : Epilogue

[Traduction personnelle]

Epilogue de « Désirs enfouis »

Novembre 1740

Greenwich, Angleterre

Le problème quand on est sœur cadette, se dit Silence Rivers, c'est que l'on reste toujours une sœur cadette.

Et une sœur aînée sait toujours tout.

- C'est un garçon, a déclaré Tempérance, la sœur aînée en question, avec une grande confiance.

Ils se détendaient confortablement ensemble dans le salon de Windward House, juste à l'extérieur de Greenwich. Silence avait récemment rénové la pièce dans de beaux tons bleus marins, verts et dorés. Elle aimait à penser que si l'on plissait les yeux, on pouvait s'imaginer sur une île grecque en regardant la mer Méditerranée - ou ce à quoi elle pensait que la Méditerranée pouvait ressembler, car bien sûr, elle ne l'avait jamais vraiment vue.

- Je ne comprends pas comment tu peux le savoir, objecta Silence, tout en versant à sa sœur une autre tasse de thé étrangement fin.

Tempérance prit le plat de thé et pencha la tête, examinant la petite bosse sous la robe de soirée en soie jaune de Silence.

- Certainement un garçon. Tu le portes légèrement à gauche.

Silence regardait son abdomen avec mépris. Pour autant qu'elle puisse en juger, «il» se situait assez symétriquement sur sa personne.

- Qu'est-ce que ça veut dire?

- Nell Jones jure que les filles se penchent vers la droite et les garçons - Tempérance pris une gorgée de thé - vers la gauche.

- Je ne pense pas qu'il — ou elle — penche à gauche ou à droite, rétorqua Silence. En outre, Nell Jones n'a pas d'enfants à elle.

- Oui, mais elle en connaissait plusieurs, euh… ladies qui en ont eu. Tu sais, dans sa vie précédente… Temperance fit un signe de la main pour indiquer la vie antérieure de Nell, qui, malheureusement, avait été celle d'une actrice itinérante tombée au plus bas et alors contrainte de vendre son corps. Heureusement, cette partie de la vie de Nell était désormais passée et elle gagnait maintenant sa vie en tant que femme respectueuse à l’Orphelinat de St. Giles. Leur défunt père avait fondé cet Orphelinat, que Tempérance et Silence ont dirigé chacune avant leurs mariages respectifs.

- Hmm, murmura Silence sans conviction, tout en regardant le plateau de thé partiellement démoli. Toutes ces jolies petites tartes au lait caillé au citron ont déjà disparu. Penses-tu que je devrais sonner pour en avoir plus ?

- Eh bien, tu manges pour deux maintenant, dit Tempérance. Mieux vaut que Cook nous en envoie un peu plus, et qu’elle ajoute une autre demi-douzaine de ces petits gâteau divins."

- Bonne idée. Silence sonna la petite cloche près du plateau et donna des ordres à la femme de chambre qui partit rapidement. Plus de thé en attendant ?

- S'il te plaît. Tempérance reposa son assiette. Je ne me souviens pas en avoir déjà goûté d’aussi bon. D'où l'obtenez-vous ?

- Oh, eh bien ... Murmura le silence vaguement – se sentant un peu coupablement. La vérité était que Michael, son mari, ramenait à la maison le thé - et d'autres luxes bizarres - à intervalles réguliers. Considérant son ancienne profession de pirate, elle n'était pas sûre de vouloir savoir d'où venait le thé.

C'était, après tout, terriblement bon.

Heureusement, Tempérance avait encore d'autres questions en tête.

- N'es-tu pas du tout curieuse de savoir si c'est un garçon ou une fille ?

- Eh bien, naturellement, dit Silence. Mais comme il n'y a aucun moyen de le savoir, je dois juste attendre d’avoir la surprise, n'est-ce pas?

- Oh, je ne peux pas croire que j'ai oublié ! S'exclama Tempérance, se penchant avec impatience sur le canapé. Verity ne jure que par une aiguille en argent sur un fil de soie, tenue devant le ventre de la mère.

- Vraiment ? Silence plissa son nez avec doute. Elle respectait et aimait leur sœur aînée, mais Verity était sujette à d'étranges superstitions.

- Vraiment, dit Tempérance de manière décisive. C'est assez scientifique. Si l'aiguille tourne dans le sens horaire, c'est un garçon. Si ça tourne dans le sens antihoraire, c'est une fille. Verity l'a exécutée sur moi et l'aiguille a prédit une fille - et deux mois plus tard, ma chère Annalise est née.

Eh bien, cela semblait remettre les choses dans une perspective différente.

Silence regarda vaguement autour de son salon.

- Mon sac de couture est ici quelque part. Je crois l'avoir laissé sur la table là-bas.

Elle se tourna pour désigner une table d'appoint en marbre doré à travers la pièce près de la porte. Elle était nue, à l'exception d'une horloge et d'un vase en albâtre.

- Etrange.

Elle se leva pour mieux voir et aperçut immédiatement son sac étendu sous la table, avec ses soies dans un désordre emmêlé.

- Oh Seigneur, marmonna Silence.

Au même moment Tempérance dit :

- C'est terriblement calme.

Silence échangea un regard alarmé avec sa sœur, puis tous deux se précipitèrent vers un paravent oriental doré posé à côté de la table qui cachait un coin du salon.

Silence s'arrêta net lorsqu'elle contourna le paravent. Là, assise par terre, se trouvait sa fille adoptive, Mary Darling, âgée de quatre ans. À côté d'elle, Annalise, qui venait d'avoir deux ans, était à califourchon sur un énorme bouledogue. Lad, le bouledogue, gisait étendu sur le côté, apparemment content d'être un cheval de bataille pour le tout-petit.

Mais ce n'est pas cette scène qui poussa Tempérance à haleter derrière elle. Les cheveux fins et foncés d'Annalise, anciennement mi-longs, n'étaient plus désormais que mi-longs d'un côté. Les cheveux de l’autre côté avaient été coupés presque jusqu’à son cuir chevelu. Des mèches de cheveux noirs raides mélangées à des boucles noires gisaient sur le sol.

Silence se pencha sur sa fille et remarqua alors que les cheveux autour de son visage avaient également été coupés.

- Mary Darling !

Mary Darling cacha immédiatement ses mains derrière son dos et écarquilla ses grands yeux sombres.

- Maman?

- Que s'est-il passé?

Silence n’eut pas eu besoin du bruit sourd de la queue frétillante de Lad pour savoir qui se tenait derrière eux à la porte. Elle se retourna, se sentant comme si elle devait elle aussi cacher ses mains derrière son dos.

Michael se tenait dans l'embrasure de la porte, les sourcils levés. Comme toujours son cœur fit un petit bond à sa vue, même dans des circonstances aussi difficiles. À côté de Michael se trouvait Lord Caire, le mari plutôt intimidant de Tempérance.

- Papa ! Kien ! Cria Annalise, frappant l'épaule de Lad avec excitation.

Les yeux de Lord Caire se tournèrent vers sa fille, tondue comme un mouton par un berger particulièrement incompétent, et son visage devint complètement vide.

Oh Seigneur. La première visite de Tempérance et Caire se passait si bien.

Dans le silence atroce qui s'ensuivit, Silence chercha quelque chose à dire. Avant qu’elle ne trouve que dire, Michael s'avança. Il prit sa fille dans ses bras, extirpa habilement les ciseaux de broderie des mains de Mary, les posa sur la table et se tourna doucement vers Caire.

- Alors ce brandy ?

Caire inclina la tête sans parler. En fait, il semblait pincer ses lèvres assez fermement. Sans un mot, il ramassa sa propre fille, suivant son hôte dans la pièce.

En sortant, Silence pouvait entendre la voix de baryton de Michael parler à leur fille.

- Maintenant, Mary, chérie, n’ai-je pas dit que vous ne pouviez pas couper les cheveux de vos invités? D'autres parties, peut-être…

Et puis deux voix masculines éclatèrent de rire.

Silence étouffa son exaspération et regarda sa sœur.

Tempérance roula des yeux.

- Des bêtes! Les hommes trouvent les choses les plus étranges amusantes.

- En effet. Silence, désespérée, se pencha pour ramasser les petites mèches de cheveux. Je suis vraiment désolé.

- Elle ne s'était jamais fait couper les cheveux. Tempérance accepta les cheveux de sa fille et pendant un moment le cœur de Silence se serra tandis que les yeux de sa sœur devenaient humides. Puis Tempérance s'éclaira.

- Oh! Mais j'ai vu l'autre jour les casquettes les plus adorables pour petites filles sur Bond Street.

Et Silence poussa un soupir de soulagement.

# # #

Plus tard dans la nuit, Silence était allongée dans le lit alors qu'elle regardait son mari se déshabiller. Elle avait découvert assez tôt dans leur mariage que Michael préférait dormir nu, une découverte à la fois surprenante et excitante. Elle ne pouvait pas vraiment se résoudre à faire de même et portait toujours une chemise - bien quasiment chaque nuit elle ait été sommairement arrachée de son corps et jetée au sol par son mari.

- Ca repoussera assez tôt, déclara Michael en jetant sa culotte sur une chaise.

- Mais je ne comprends pas pourquoi Mary les a coupé en premier lieu? Dit plaintivement Silence. Et faire ça à sa pauvre cousine !

- Elle a dit qu'elle voulait que ses cheveux correspondent aux miens. Michael eut un sourire narquois et enleva ses sous-vêtements - ce qui la distraya pendant un instant. Il se dirigea vers leur lit, magnifiquement nu. Je pense que la coupe d'Annalise était juste pour s’amuser.

- Je dois parler à Mary Darling de ce qu'elle considère comme amusant, déclara Silence d'un ton sombre.

Michael monta dans le lit sans répondre, sa chaleur la réchauffant plus que des couvertures ou une chemise.

- Tes cheveux longs me manquent.

Elle tendit la main et passa ses doigts dans ses mèches noires. Il s'était rasé la tête pour mieux s'adapter à la perruque blanche que portait le constructeur naval Michael Rivers, mais elle avait été tellement horrifiée que maintenant il laissait pousser ses cheveux noirs juste assez longtemps pour que les boucles apparaissent.

- J'ai plutôt aimé tes rebondissements de pirate sauvage.

- Et maintenant ? demanda-t-il, se glissant dans les draps. Il tira sur le ruban bleu qui attachait sa chemise devant sa poitrine. Est-ce la seule chose que vous aimiez chez moi en tant que pirate ?

- Eh bien, non, haleta-t-elle alors qu'il se penchait pour l'embrasser dans le cou. Une pensée traversa son esprit, et pendant un instant elle faillit la perdre sous l’assaut de ses lèvres. Mais elle fit un effort héroïque et le repoussa afin de voir son visage.

- Est-ce que ça te manque de ne plus être un pirate ? Est-ce que la vie que tu avais avant notre mariage te manques ?

Elle regarda sa bouche sensuelle s'étirer en un sourire indulgent.

- Non, chérie. J'ai tout ce dont j'ai besoin et ce que je veux dans cette vie ici. Enfin, ici et là-haut. Il leva les yeux au plafond. La nurserie de Mary Darling se trouvait à l'étage supérieur. Il baissa le regard, réfléchissant. Ne pense jamais que je regrette quoi que ce soit, Silence, mon amour.

Elle lui sourit timidement. Sa grossesse l'avait rendue un peu larmoyante aux moments les plus étranges.

- Je ne regrette rien non plus.

- Même pas de vivre cachés ?

Cela avait certainement été difficile, surtout au début. Michael avait été condamné à mort pour piratage, ils avaient donc été forcés de vivre très discrètement à Greenwich en tant que M. et Mme Rivers. Pendant des mois, Silence n'avait échangé que la correspondance la plus précautionneuse avec sa famille. Ce n'est que l'année dernière que Michael l'avait laissée rendre visite à Tempérance – et alors seulement déguisée. Mais maintenant, deux ans après l’incendie qui avait détruit l’extravagant palais londonien de Mickey O'Connor, la fureur de son évasion de la potence avait finalement disparue. Mickey le Charmeur le pirate était présumé mort dans la fournaise du palais, sa renommée passant dans la légende.

Elle le regarda maintenant, encadrant son cher visage, et répondit avec honnêteté.

- Non. Je ne regrette même pas la cachette. Cela valait largement la peine pour être avec vous. Être une famille avec Mary Darling et toi.

- Votre bonheur est la lanterne qui éclaire ma vie, lui chuchota-t-il en l'embrassant, ses lèvres chaudes séparant sans effort les siennes.

Il fallut un long moment avant qu'elle ne puisse respirer correctement.

- J'ai vraiment apprécié de pouvoir enfin inviter ma sœur chez moi.

- Vous avez passé un bon moment, alors? demanda-t-il, blottissant son nez derrière son oreille.

- Mmm. Elle ferma les yeux, avant de se souvenir de quelque chose qu’elle voulait lui demander. Michael ?

- Oui ? Il mordillait la peau juste en dessous de son oreille et la sensation lui donnait envie de se tortiller. Tempérance a dit qu'il devait y avoir un rassemblement à la maison ce Noël. Tous les dames du Comité seront là avec leurs familles. Pensez-vous que nous pourrions y assister ?

Il leva la tête, fronçant légèrement les sourcils.

- Tu connais bien le danger.

- Oui. Elle se mordit la lèvre avec regret. Oh, tu as tout à fait raison. Je n'aurais pas dû demander.

Il mordilla en guise de réprimande sa lèvre inférieure.

- Laisse-moi réfléchir, ma douce. Je pourrais peut-être trouver un moyen.

Elle enroula ses bras autour de son cou et rayonna.

- Bien sûr que tu peux. Tu es le pirate le plus intelligent que je connaisse.

Il grogna et retira vite sa chemise tout en l'embrassant le long de son corps.

- Tempérance dit que ce sera un garçon, dit Silence rêveusement en portant une attention particulière à son ventre. Cela te plairait-il ?

- Que ce soit un garçon ou une fille, je serai content, fut la réponse murmurée.

- Eh bien, si c'est un garçon, je voudrais l'appeler Concord, d'après mon frère. Cela t’irait-il ? Elle fronça légèrement les sourcils. Ce serait aussi bien que ce soit un garçon, je n’ai pas vraiment la moindre idée pour la nommer si c’est une fille.

Mais Michael en eu finalement assez de tout ce bavardage et, comme il venait d'atteindre les boucles sous son petit ventre rebondit, Silence se tût…

C'est ainsi que quatre mois plus tard, Concordia Tempérance Rivers vint au monde avec ce nom inhabituel.