Les fantômes du mur païen

D’un geste vif et alerte, Fabian essuya le dernier verre. Il le regarda dans la lumière, le faisant miroiter, et le rangea sur l’étagère à côté des autres. Il jeta un œil satisfait vers la salle de restaurant. Elle était pleine. Et pourtant, le sort, ou une malédiction infernale, semblait s’acharner sur le mont Sainte-Odile. Il y avait quelques années de cela, un avion s’était empalé sur le sommet. Fabian conservait le souvenir de tous ces corps carbonisés, rôtis dans la carlingue ou éjectés sur le manteau neigeux. Puis, trois jours auparavant, cet abominable massacre… Malgré cela, les touristes restaient fidèles. Le mont Sainte-Odile demeurait l’endroit le plus fréquenté d’Alsace. Quotidiennement, le monastère drainait son flot de visiteurs. Ils descendaient des autobus, parcouraient l’abbaye au galop en mitraillant les murs, posaient un genou à terre dans la basilique, repartaient bien vite vers d’autres aventures. Certains, ravis de côtoyer Dieu de si près dans un décor aussi grandiose, choisissaient de passer la soirée au restaurant. Fabian les accueillait dans sa winstub. Il proposait une solide choucroute pour les plus affamés, des flammekueches pour les estomacs d’oiseau. A l’intérieur, inspirée par la solennité des lieux, régnait une ambiance feutrée, vaguement recueillie, agréable. Les clients quittaient le mont Sainte-Odile repus, âme et portefeuille plus légers.