Les femmes naissent en montagne

Eudoxie enfantait pour la neuvième fois. Sur son visage se lisait l’affolement. Non loin d’elle, Auguste feuilletait Adieu de Balzac. Quoiqu’il fût soucieux de son épouse, il était contrarié qu’elle gémît autant. Impossible de lire dans ces conditions. Il referma le court roman, ordonna à son fils aîné :

— Va chercher la Toinette !

Hippolyte s’exécuta sans un mot ; il percevait la gravité de la situation. Jamais dans sa mémoire sa mère ne s’était plainte autant. Et les quelques lamentations, quand elles se produisaient, étaient passées sous silence comme ces pensées honteuses dont on ne parle pas de peur qu’elles ne se manifestent.

À son arrivée, Antoinette tapa ses sabots sur le sol pour en faire tomber la neige. Elle entra dans le pêle, l’unique pièce chauffée où se trouvaient la femme en couches et ses petits.

— Que les miochons sortent ! commanda-t-elle.

Les enfants les plus âgés emmenèrent les plus jeunes dans les chalets d’alentour. Voyant qu’Auguste restait sur sa chaise, Eudoxie tendit une main désespérée dans sa direction, le faisant s’approcher d’un pas pesant. Elle s’accrocha à lui comme s’il pouvait être d’un quelconque soutien, mais ses hurlements de louve eurent raison de son courage. Il sortit à son tour dans la neige.

Au moment où Antoinette avait le plus besoin d’aide, elle n’en trouva aucune d’utile, hormis en la personne épuisée d’Eudoxie dont l’enfant arrivait trop tôt, et par le siège. Antoinette appuya sur le ventre de sa belle-sœur. En vain. Elle la tourna sur le côté, la leva pour aider le travail. La future mère se tordit de douleur et perdit connaissance. Cédant à la panique, Antoinette la gifla. Les cheveux trempés de sueur, Eudoxie revint à elle, roula des yeux terrifiés. Tout son corps s’arc-bouta. Pourquoi diable ce bébé refusait-il de sortir ? Elle poussa un cri animal d’où émanait toute la détresse des femelles humaines.

Eudoxie implora le Seigneur – elle aspirait à la délivrance, quel qu’en fût le prix. Miséricordieux de nature, Il l’exauça. Après tout, il s’agissait d’une bonne chrétienne. Et ce lundi de décembre 1910, elle rendit l’âme en donnant naissance à Angèle.