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— J’aimerais tellement être assortie à ma robe ! Juste une mèche. Allez, mamaaan, ça n’a jamais fait de mal

à personne !

Rachel Halcomb pressa deux doigts contre sa tempe ;

la migraine menaçait. Chaque année, le jour du bal de printemps organisé par le lycée de Los Lobos, c’était la folie au salon de coiffure où elle travaillait. Les adolescentes défilaient sous les peignes et les bombes de laque afin d’être sur leur trente et un pour la soirée. Le fait qu’elles se déplacent en bande ne la dérangeait nullement, mais les gloussements et les cris suraigus commençaient

à devenir difficiles à supporter.

Lily, sa cliente, mourait d’envie d’une mèche du même violet que sa robe de bal. Elle avait de longs cheveux ondulés, d’une magnifique teinte auburn. Rachel en connaissait qui auraient payé très cher pour obtenir cette couleur. Lily, elle, avait simplement tiré le bon numéro.

La mère de la jeune fille se mordilla la lèvre.

— Je ne sais pas…, répondit-elle, l’air dubitatif. Ton père risque d’en faire une jaunisse.

— Ce ne sont pas ses cheveux. Et ça rendra trop bien sur les photos ! S’il te plaît, maman… Aaron m’a demandé d’aller au bal avec lui. Tu te rends compte de ce que ça veut dire ? Il faut que je sois parfaite ! Ça ne fait que trois mois qu’on habite ici. Je dois faire bonne impression. Je t’en supplie…

Ah, le fameux « j’ai été invitée par le plus génial des garçons », combiné à l’imparable « je suis la petite nouvelle de l’école » ! Lily ne lui laissait aucune chance. Même si Rachel n’avait jamais eu affaire à cette tactique en particulier, elle savait à quel point les enfants pouvaient se montrer persuasifs. Son fils n’avait que onze ans, mais il était déjà expert quand il s’agissait de la pousser à

capituler. Elle ne se rappelait pas avoir été aussi douée

à ce jeu-là au même âge.

Lily se tourna vers elle.

— Vous pouvez utiliser une couleur qui part au shampooing, non ? Quelque chose de temporaire ?

— Il faut quelques lavages, mais, en effet, ça part au shampooing.

— Tu vois ! claironna l’adolescente, triomphante.

— Bon, c’est bien parce que tu y vas avec Aaron…, grommela sa mère.

Lily poussa un hurlement de joie et se jeta à son cou.

Rachel, de son côté, se promit que, dès qu’elle aurait une minute à elle, elle s’éclipserait dans la salle de pause pour avaler non pas un, mais deux comprimés d’ibuprofène.

Avec le plus gigantesque des thés glacés. Elle sourit. Elle et ses rêves de grandeur…

Lily alla enfiler une cape. Sa mère eut un haussement d’épaules.

— Je n’aurais sans doute pas dû céder. J’ai parfois du mal à lui dire non.

— Surtout un jour comme aujourd’hui, répondit Rachel en désignant du menton les adolescentes attroupées à

chaque station du salon.

Il y avait de tout et de rien, au niveau des tenues.

Certaines d’entre elles étaient en jean et T-shirt. D’autres en peignoir, ou une cape sur les épaules. D’autres encore exhibaient déjà les robes qu’elles porteraient ce soir-là.

— Et puis, elle va au bal avec Aaron, ajouta-t-elle.

La femme éclata de rire.

— Quand j’avais son âge, le mien s’appelait Rusty. Il était beau comme un dieu, soupira-t-elle. Je me demande ce qu’il est devenu.

— Moi, c’était Greg.

— Ha, ha ! Laissez-moi deviner : le capitaine de l’équipe de football ?

— Ça va de soi !

— Et maintenant ?

— Il est pompier à Los Lobos.

— Vous êtes restés en contact ?

— Je l’ai épousé.

La mère de Lily n’eut pas le loisir de poser davantage de questions, car sa fille refit son apparition et se précipita

à toutes jambes dans le fauteuil.

— Je suis prête ! Ça va être trop top !

Elle sourit à Rachel.

— Vous allez me faire un smoky eye, hein ?

— Comme tu me l’as demandé. J’ai un mauve profond et un gris-violet, rien que pour toi.

— Tope là ! fit Lily en levant la main. Vous êtes la meilleure, Rachel. Merci.

— Je suis là pour ça.

Deux heures plus tard, Lily avait sa mèche violette, les cheveux relevés en une coiffure élégante, et un maquillage smoky à faire pâlir un mannequin de Victoria’s Secret.

L’adolescente aux joues roses avait à présent l’air d’une it girl.

Sa mère prit quelques photos avec son téléphone, avant de fourrer quelques billets dans la main de Rachel.

— Elle est magnifique. Merci pour tout.

— Mais de rien. La prochaine fois que tu passeras par là, Lily, apporte-moi des photos de toi avec Aaron !

— C’est promis !

Rachel attendit que mère et fille aient quitté le salon pour compter le pourboire. La femme s’était montrée généreuse, ce qui faisait toujours plaisir. Elle n’était jamais plus heureuse que lorsque ses clientes — et leurs mères — repartaient satisfaites. Si l’une de ces excentriques super-millionnaires pouvait passer la porte du salon, tomber en extase devant son travail et lui laisser un pourboire de quelques milliers de dollars, ce serait fantastique ! Cela lui permettrait de rembourser son emprunt immobilier un peu plus rapidement, et de cesser de s’inquiéter de son manque de fonds de secours. En attendant, Josh avait besoin d’un gant pour le base-ball, et le drôle de couinement qu’émettait sa voiture semblait du genre à coûter cher.

La mère de Lily lui aurait sans doute répondu d’en parler à Greg. C’est à cela que sert un mari.

A ce détail près que Greg et elle n’étaient plus mariés.

Le garçon le plus cool du lycée, le capitaine de l’équipe de football, le roi du bal l’avait en effet épousée. Seulement, quelques semaines à peine avant qu’ils ne fêtent leurs dix ans de mariage, il l’avait trompée, et elle avait demandé

le divorce. A trente-trois ans, elle se retrouvait dans la position la moins enviable du monde : seule, avec un enfant sur le point de faire sa crise d’adolescence. Tous les smoky eyes et toutes les jolies couleurs du monde ne pouvaient rendre cette situation plus agréable.

Elle finit de nettoyer son espace et se retira quelques minutes en salle de pause, en attendant ses dernières clientes : un double rendez-vous pour des jumelles de seize ans, qui souhaitaient des coiffures « identiques mais différentes » pour le bal. Elle se saisit de la boîte qu’elle conservait dans son casier, et en sortit deux comprimés d’ibuprofène.

Comme elle les avalait, la sonnerie de son téléphone lui signala qu’elle avait reçu un message. Elle jeta un coup d’œil à l’écran.

Salut, toi. Toby est d’accord pour garder les garçons jeudi soir. Profitons-en pour faire un truc. Une soirée entre filles. La réponse que tu cherches est « oui ».

Rachel réfléchit à l’invitation. Si elle écoutait la voix de la raison, elle suivrait le conseil de son amie et accepterait.

Ne serait-ce que pour briser un peu la routine. Se faire belle et passer un moment avec Lena. Voilà une éternité

qu’elle ne s’accordait plus rien de ce genre.

Hélas, plusieurs jours de lessive étaient en attente, et elle avait pris du retard dans tout le reste des corvées qui maintenaient son quotidien à peu près à flot. Et puis, quel intérêt ? Elles iraient boire un verre dans un bar près de la jetée, et après ? Lena était mariée, heureuse en ménage, et ne sortait pas pour rencontrer des hommes.

Quant à elle, elle pourrait profiter de son célibat pour faire les yeux doux à qui le voulait bien, mais elle n’en avait vraiment pas l’énergie. Jamais une seconde à elle…

Sa conception d’un bon moment, c’étaient une grasse matinée et un petit déjeuner préparé par quelqu’un d’autre. Mais il n’y avait personne d’autre. Son fils avait besoin d’elle, et elle mettait un point d’honneur à être là pour lui. A s’occuper de tout.

Quand son père était mort soudainement, elle n’avait que neuf ans, et elle était l’aînée de trois filles. Elle se rappelait encore sa mère, accroupie à sa hauteur, les yeux embués de larmes.

« S’il te plaît, Rachel. J’ai besoin que tu sois une bonne fille. Tu vas devoir m’aider à m’occuper de Sienna et

Courtney. Tu peux faire ça pour moi ? Est-ce que tu y arriveras ? »

Absolument terrifiée, et se demandant ce que le futur leur réservait, elle aurait voulu rétorquer qu’elle n’était qu’une enfant, et que, non, elle n’y arriverait pas. Mais elle n’avait rien dit et fait de son mieux pour être sur tous les fronts. Vingt-quatre ans plus tard, rien n’avait changé.

Baissant de nouveau les yeux sur son téléphone, elle se décida à répondre.

Tu ne veux pas plutôt venir prendre un verre de vin

à la maison ? Je te ferai des sandwichs au beurre de cacahuète.

Si je viens, c’est pour une soirée vin fromage. J’apporte le fromage.

Parfait. A quelle heure tu veux que je dépose Josh ?

Disons 19 heures. Ça marche ?

Rachel lui envoya l’émoticône « pouce levé », puis enferma son téléphone dans son casier. Enfin un peu d’animation dans sa vie ! Une sortie un jeudi soir… Ma parole, redevenait-elle une personne normale ?

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Lorsqu’elle en aurait terminé avec ses cours de marketing, il ne lui manquerait plus que deux semestres pour valider son diplôme. Enfin !

Joyce profita de ce que la verseuse était restée sur la table pour se resservir une tasse de café.

— Quinn arrive la semaine prochaine.

Courtney sourit.

— C’est vrai ? Parce que ça ne fait que quinze jours que tu me le rabâches tous les matins ! Je n’étais plus très sûre de la date. Tu es certaine que c’est la semaine prochaine ? Des fois que j’oublie…

— Je suis une vieille dame. J’ai tout à fait le droit d’avoir hâte de revoir mon petit-fils.

— Bien entendu. D’ailleurs, nous en frémissons tous d’impatience !

Un demi-sourire se dessina sur les lèvres de Joyce.

— Vous êtes bien impertinente, ce matin, jeune fille !

— N’est-ce pas ? Ce sont les abeilles à nez rouge.

Ça me fait toujours cet effet-là, quand elles envahissent

Anderson House. C’est ma façon de manifester ma reconnaissanzzzzz.

— Quinn est toujours célibataire.

Courtney hésita entre l’éclat de rire et le soupir exaspéré.

— Quelle subtilité… Tu me vois flattée, Joyce, mais soyons honnêtes : nous savons toutes les deux que j’ai plus de chance d’épouser le prince Harry que d’attirer l’attention de Quinn Yates.

Elle arrêta Joyce d’une main avant que celle-ci ne se fasse des idées.

— Non qu’il m’intéresse. Même si j’avoue qu’il est séduisant. Il est simplement trop sophistiqué pour une femme comme moi. Je ne viens pas de la grande ville. Et puis, j’ai assez à faire, entre l’université et mon travail.

Je n’ai de temps à consacrer à personne.

Elle tenait à décrocher son diplôme l’année suivante.

Ainsi qu’un bon poste. Ensuite seulement, elle se préoccuperait des hommes. Enfin, de « l’homme », au singulier.

Un seul était grandement suffisant, pourvu que ce soit le bon. En tout cas, ce n’était pas pour tout de suite.

— Tu auras tout le temps de rencontrer quelqu’un passé la quarantaine, railla Joyce.

— J’espère que j’aurai trouvé d’ici là… Tu as très bien compris ce que je voulais dire.

— En effet. Il n’empêche que c’est dommage. Quinn a besoin d’une femme.

— Eh bien, il va falloir lui en trouver une autre que moi.

Certes, Quinn avait de quoi faire rêver, mais elle et lui ensemble ? Franchement ? Voilà qui ne risquait pas d’arriver !

Elle l’avait croisé quelques fois, quand il venait rendre visite à sa grand-mère. C’était une véritable star. Il œuvrait dans l’industrie musicale — producteur, peut-être. Elle ne s’en était jamais réellement préoccupée. Lors de ses séjours à l’hôtel, il passait son temps avec sa grand-mère et les chiens. Discret, il repartait sans faire de bruit. Cela dit, il n’avait pas besoin de faire quoi que ce soit pour déclencher une émeute : il suffisait qu’il se montre.

Il était très bel homme. Non, trop commun. Des mots comme « bel homme » et « séduisant » ne devraient s’appliquer qu’aux personnes ordinaires dotées d’un physique extraordinaire. Quinn était d’une tout autre espèce. Elle avait déjà vu des femmes d’âge mûr, pourtant heureuses en ménage, minauder devant lui. Pourtant, elle aurait juré qu’il arrivait un moment, dans la vie, où

faire sa coquette n’était plus d’actualité.

— Tu es certaine qu’il revient habiter à Los Lobos pour de bon ?

Elle avait de sérieux doutes.

— C’est ce qu’il me dit. Tant qu’il n’aura nulle part où s’installer, je lui réserve le pavillon du jardinier.

— Sympas, les quartiers ! Il ne va plus jamais vouloir s’en aller.

Même si, en toute honnêteté, elle voyait mal un célèbre géant de la musique habitué à la vie de Malibu se plaire dans leur petite ville tranquille de Californie centrale, on n’était jamais à l’abri d’une surprise.

— Je vais vérifier la réservation et m’assurer d’être affectée au ménage du cottage avant son arrivée, poursuivit-elle.

— Je te remercie, ma chérie. C’est gentil à toi de le proposer.

— C’est tout de même un peu mon travail…

Bien qu’elle soit considérée comme la femme à tout faire de l’hôtel, elle occupait officiellement la fonction de femme de chambre. La tâche n’avait rien de palpitant, mais cela payait les factures et, pour l’instant, c’était tout ce qui lui importait.

— Ça ne le serait pas si tu…

Courtney l’arrêta d’un geste.

— Je sais. Si j’acceptais un autre poste. Si je révélais mon grand secret à ma famille. Si j’épousais le prince

Harry. Désolée, Joyce, mes journées ne sont pas à rallonge.

J’ai dû établir des priorités.

— Et tu as choisi les mauvaises. Le prince Harry serait fou de toi.

Courtney sourit.

— Tu es adorable et je t’adore.

— Moi aussi, je t’adore. Maintenant, venons-en au mariage…

— Sommes-nous obligées ? gémit-elle.

— Oui. Ta mère se marie dans quelques mois. Je sais que tu as commencé à t’occuper du dîner de fiançailles, mais il ne faudrait pas oublier le mariage à proprement parler.

— Hum…

Joyce haussa les sourcils.

— Ça te pose problème ?

— Pas du tout, non.

Elle acceptait parfaitement l’idée que sa mère souhaite se remarier, après être restée veuve une éternité ; il était grand temps qu’elle refasse sa vie avec un homme bien.

Non, cette union ne lui posait aucun problème. Son souci

était le mariage lui-même. Ou, plutôt, les préparatifs.

— Tu cherches à me piéger, marmonna-t-elle.

— Qui, moi ? fit Joyce en tentant vainement d’adopter un air innocent.

Courtney se leva.

— Très bien, tu as gagné. Je ferai de mon mieux pour la fête et le mariage.

— Je n’en ai jamais douté.

Courtney se pencha pour déposer un baiser sur la joue de Joyce, puis se retourna vivement, percutant de plein fouet Kelly Carzo — une serveuse qui était également, jusqu’à cet instant du moins, une amie.

La jolie rousse aux yeux verts tenta de sauver le plateau de cafés qu’elle tenait entre les mains, mais la brutalité

de la collision fut trop grande. Les mugs volèrent, le liquide brûlant fut projeté dans tous les sens, et toutes trois se retrouvèrent trempées de café, et pataugeant dans les bris de vaisselle.

Un silence de mort tomba sur la salle, déjà peu animée.

Tout le monde les regardait. Bon, il ne s’agissait que d’une poignée de clients et de quelques membres du personnel.

Ce qui n’empêcherait pas au récit de cette nouvelle mésaventure de se répandre comme une traînée de poudre.

Joyce se leva pour attraper Sarge, puis ordonna à Pearl de s’écarter des débris.

— Qu’est-ce que dit ta sœur, dans ce genre de situation, déjà ?

— Que je « fais ma Courtney ».

Avec un sourire désolé à l’intention de Kelly, elle décolla son polo trempé de sa peau.

— Tout va bien ?

— On ne peut mieux ! Mais compte sur moi pour t’envoyer la facture du teinturier, répondit Kelly en essuyant son pantalon noir du plat de la main.

— Ça va de soi. Mais laisse-moi d’abord t’aider à

réparer les dégâts.

— Je vous laisse faire, je vais me changer, déclara

Joyce. Prérogative de la propriétaire.

— Je suis vraiment désolée ! lança Courtney, tandis qu’elle s’éloignait.

— Je sais, ma belle. Ce n’est rien.

C’était tout sauf rien, pensa Courtney en allant chercher un balai et une serpillière. C’était l’histoire de sa vie.

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L’un des avantages à être affreusement grande, c’est qu’on accède facilement aux placards du haut dans la cuisine. Les inconvénients… Eh bien, le mot « affreusement

» les résume plutôt bien.

Courtney Watson replia ses trop longues jambes sous elle, dans l’espoir que la position serait plus confortable.

Ce siège était bien trop bas, mais impossible d’en ajuster la hauteur. Heureusement, elle n’était à l’accueil que pour quelques instants, le temps que Ramona revienne de sa

énième pause pipi. Apparemment, le bébé avait basculé

et appuyait pile sur sa vessie. La grossesse semblait décidément demander beaucoup d’efforts et une sacrée dose de désagréments ! Courtney n’allait pas, en plus, dérégler la chaise sur laquelle Ramona passait l’essentiel de sa journée. Elle pouvait bien faire le bretzel cinq minutes.

Le hall du Los Lobos Hotel était tranquille comme un mardi soir. Seuls quelques clients allaient et venaient encore. La plupart étaient remontés dans leur chambre pour la nuit, ce qui lui allait très bien. Elle n’aimait pas trop ceux qui traînaient. Ils risquaient toujours de faire des histoires.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur un petit homme élégant. Il jeta un coup d’œil autour de lui, puis se dirigea droit sur elle. Enfin, plus probablement sur le comptoir de l’accueil, derrière lequel elle se trouvait.

Son sourire professionnel s’évanouit une seconde lorsqu’elle reconnut Milton Ford, l’actuel président des

Manufactures Associées pour la Production de Savon

Naturel en Californie, également connues sous l’acronyme

MAPPSNEC. M. Ford avait organisé le congrès annuel de l’association en ville, et tous les invités étaient descendus au Los Lobos Hotel. Comment l’ignorer :

c’était elle qui avait pris les réservations. Toutefois, les réunions, les repas, ainsi que toute autre activité qui aurait pu générer un bénéfice pour l’hôtel auraient lieu au Anderson House.

— Bonsoir…

L’homme laissa un instant sa phrase en suspens, le temps de lire le nom inscrit sur la plaque de l’accueil.

— Ramona. Je suis Milton Ford.

Courtney envisagea de le corriger, puis décida que cela n’avait pas grande importance. Il avait beau préférer dépenser de jolies sommes chez la concurrence, elle n’en tâcherait pas moins de faire correctement son travail —

en l’occurrence, celui de Ramona.

— Monsieur Ford, en quoi puis-je vous aider ?

Résolue à se montrer aimable, elle ne se départit plus de son sourire. Le séjour de cet homme et de ses collègues devait être parfait. Qu’importe s’il avait décrété

que sa cérémonie de récompenses ridicule se tiendrait au Anderson House plutôt que dans leur magnifique et spacieuse salle de bal.

Si elle pouvait l’entendre, Joyce, la propriétaire, lui dirait de ne pas se montrer si rancunière, aussi sourit-elle de plus belle. Quand elle en aurait terminé avec lui, elle filerait droit à la cuisine et s’offrirait une boule de glace.

Elle méritait une petite récompense pour bonne conduite.

— Je fais face à un problème, déclara-t-il. Rien à voir avec les chambres. Elles sont parfaites, comme toujours.

Il s’agit de… Hum… L’autre établissement que nous avions réservé.

— Le Anderson House ?

Prononcer ce nom lui arrachait la gorge.

— C’est ça, confirma-t-il avant de s’éclaircir la voix.

J’ai bien peur qu’ils ne soient envahis par… les abeilles, figurez-vous.

Soudain, le problème de Courtney ne fut plus de conserver le sourire, mais de se retenir de rire. Des abeilles ! Splendide ! Elle devait cependant reconnaître

à Joyce Yates, sa patronne, de faire preuve de professionnalisme.

S’il était tout à fait légitime de jubiler à

cette nouvelle, elle devrait attendre que M. Ford ait le dos tourné pour le faire.

— J’ignorais qu’elles étaient de retour, répondit-elle d’un ton compatissant.

— Ce n’est pas la première fois ?

— Ça arrive, certaines années. Elles se tiennent généralement à l’écart des habitations, mais quand elles s’aventurent aux abords de la ville, le Anderson House est leur lieu de prédilection.

Il se tamponna le front avec un mouchoir, plus blanc que blanc.

— Il y en a des centaines. Des milliers ! Elles ont bâti un tas de ruches presque du jour au lendemain.

L’endroit grouille !

— Elles ne représentent pas vraiment de danger, tint-elle à le rassurer. L’abeille à nez rouge est réputée calme et travailleuse. Et puis, l’espèce est en voie de disparition. En tant que fabricant de savon biologique, vous savez sans doute combien il est difficile de préserver nos populations d’abeilles. Les voir revenir à Los Lobos est toujours bon signe. Ça signifie que les colonies se portent bien.

— Vous avez raison. Toujours est-il que nous ne pouvons pas tenir notre déjeuner de remise des prix là-bas. Pas avec les abeilles. J’espérais que vous auriez de quoi nous recevoir ici.

Ici ? Dans la salle que je vous ai proposée et que vous avez refusée, sous prétexte que le Anderson House était bien plus adapté ?

Encore une chose qu’elle ne pouvait, hélas, rétorquer

à un client.

— Je vais voir ce que je peux faire. Peut-être pourronsnous nous arranger.

Elle se prépara à se redresser. Mentalement, plus que physiquement. En dépit de toute son élégance, M. Ford ne devait pas dépasser le mètre soixante-dix. Elle, si. Et quand elle se mettrait debout… Elle savait d’avance ce qui allait se passer.

Elle déploya donc ses jambes interminables et se leva.

Il suivit son mouvement du regard, un instant bouche bée. Elle le dominait d’une bonne quinzaine de centimètres.

Peut-être même plus, mais, à ce stade, on ne comptait plus…

— Seigneur, souffla-t-il en lui emboîtant le pas. Vous

êtes immense !

Elle aurait pu répliquer de mille façons. Malheureusement, aucune n’était polie, encore moins appropriée dans le cadre du travail. Elle serra donc les dents, mit son amour-propre dans sa poche, et marmonna du ton le moins sarcastique possible :

— Vraiment ? Je n’avais jamais remarqué.

Joyce plongea deux sucres dans son café, puis donna une demi-tranche de bacon grillé à chacun de ses chiens.

Pearl, splendide caniche royal abricot, attendait sagement la friandise. Sarge, caniche nain croisé bichon — Sargent

Pepper de son vrai nom —, manifestait quant à lui son impatience par de petits gémissements venus du fond de la gorge.

A 10 heures du matin, le restaurant du Los Lobos

Hotel était pratiquement désert. Les clients qui y prenaient leur petit déjeuner avaient quitté les lieux, et il était encore trop tôt pour qu’arrivent ceux du service de midi. Courtney avait tout à fait conscience qu’il était paradoxal de préférer l’établissement sans ses clients. Sans eux, il n’y aurait ni Los Lobos, ni boulot, ni salaire. Un mariage de folie et un hôtel affichant complet avaient certes leur charme, mais elle appréciait davantage le silence et l’écho des salles vides.

Joyce leva les yeux vers elle et lui sourit.

— Je t’écoute.

— Notre nouvelle blanchisserie fait des merveilles. Les serviettes sont impeccables et les draps d’une douceur irréprochable. Ramona croit pouvoir tenir jusqu’à

l’accouchement, mais, pour être franche, je souffre pour elle. Je m’en fais peut-être pour rien, seulement, elle est si minuscule pour un si gros bébé… On se demande à quoi pense Mère Nature ! Hier soir, M. Ford, des

Manufactures associées pour la production de savon naturel en Californie, est venu me faire part d’un problème.

Les abeilles ont investi le Anderson House, et il voudrait relocaliser l’événement chez nous. Note que je ne me suis pas fichue de lui, quand bien même il le méritait…

En tout cas, c’est désormais à nous qu’il revient de tout organiser, y compris les repas. J’ai réussi à lui vendre notre salade de crabe.

Elle s’interrompit un instant pour reprendre sa respiration.

— Il me semble que c’est tout.

Joyce porta la tasse de café à ses lèvres.

— Tu as eu une sacrée soirée.

— Rien qui sorte de l’ordinaire.

— Dis-moi que tu as tout de même dormi un peu…

— Bien sûr.

Au moins six heures, compta-t-elle. Elle avait tenu compagnie à Ramona dans le hall d’entrée jusqu’à la fin de son service, à 22 heures, fait une rapide ronde sur la propriété, puis étudié de 22 h 30 à 1 heure du matin. Son réveil avait sonné à 6 h 30, et c’était reparti pour un tour.

Bon, d’accord, on était plus proche des cinq heures de sommeil que des six.

— J’aurai tout le temps de dormir passé la quarantaine.

— Ça, j’en doute fort ! rétorqua Joyce.

Si la voix était douce, le regard était sévère.

— Tu en fais trop, ajouta-t-elle.

Des mots dont ne se seraient pas embarrassés la plupart des supérieurs, songea Courtney. Seulement, cette femme n’avait rien d’une patronne ordinaire. Joyce Yates avait commencé à travailler au Los Lobos

Hotel en 1958, en tant que femme de chambre. Elle avait dix-sept ans. Il n’avait pas fallu deux semaines au propriétaire de l’hôtel — un célibataire endurci d’une trentaine d’années, joli garçon — pour tomber éperdument amoureux de sa nouvelle employée. Trois semaines plus tard, ils étaient mariés. Ils avaient vécu ensemble dans le bonheur le plus total durant cinq ans, jusqu’à ce qu’il soit brutalement terrassé par une crise cardiaque.

A vingt-deux ans seulement, avec une petite fille à

élever, Joyce avait pris les rênes de l’hôtel. A l’époque, tout le monde s’attendait à la voir échouer. Pourtant, sous sa direction, l’établissement n’avait cessé de prospérer.

Même après plus d’un demi-siècle, elle veillait encore au moindre détail, et connaissait par cœur la vie de chacun de ses employés. Pour la majorité de son personnel, elle

était à la fois patronne et mentor. Courtney l’avait, quant

à elle, toujours considérée comme une seconde mère.

Tout comme sa chevelure d’un blanc immaculé et ses pantalons de tailleur, la bonté de Joyce était légendaire.

Elle était juste, déterminée ; seul un brin d’excentricité

lui épargnait d’en devenir ennuyeuse.

Courtney l’avait toujours connue. Alors qu’elle n’était encore qu’un bébé, son père était mort lui aussi soudainement.

Sa mère, Maggie, s’était retrouvée seule avec trois filles et une affaire à gérer. De cliente, Joyce n’avait pas tardé à acquérir le statut d’amie, sans doute parce qu’elle avait également connu cette situation.

— Comment avance ton projet marketing ?

— Bien. Maintenant que mon chargé de cours m’a fait part de ses remarques, je vais pouvoir m’attaquer

à l’exposé final.

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