les fleurs du sel

Résumé

Depuis l’Antiquité, cela a été le cas pour les Hébreux ou les Arabes, tout comme pour les Grecs. Plutarque, pour évoquer l’amitié entre des personnes, parlait de gens du sel et de la fève. Pour les peuples sémites, manger ensemble le pain et le sel signifie sceller un pacte ou se jurer amitié.

Est-ce pour cela que dans son tableau représentant la Sainte Cène, Léonard de Vinci place une salière renversée sous le coude de Judas, pour symboliser une alliance rompue ? On retrouvera le sel comme symbole d’une alliance dans le baptême chrétien.

Le sel joue un rôle important dans la vie, une riche symbolique et de nombreuses traditions lui sont attachées. Son origine liée à un contexte socio-économique lui conférera souvent une représentation manichéenne !

On lui attribue des pouvoirs tantôt bénéfiques comme son pouvoir de purification, tantôt maléfiques, comme son action stérilisante.

Cette omnipotence confère au sel un caractère divin. Dans les textes sacrés hindous que sont les Upanishad, on peut lire que Dieu est comme un morceau de sel dissous dans l’eau : où qu’on prélève de l’eau, partout il y a du sel.

De son côté, Homère a considéré que le sel était divin. Produit abondant dans la nature, mais très inégalement réparti dans le monde, élément nécessaire à la vie, il n’y a donc rien de surprenant à ce que le sel soit considéré comme le symbole de l’hospitalité et, par extension, de l’amitié.

Dans presque toutes les langues indo-européennes sel dérive du même étymon indo-européen supposé ː sal(d), ce qui peut être pris pour un signe de l'ancienneté de l'importance donnée au sel. En français, on cite en général l'origine latine sal (masculin). Cependant une origine celtique serait aussi probable ː salo ou sala en gaulois3. Les Celtes sont en effet les premiers peuples à avoir porté l'exploitation du sel à un niveau industriel (Culture de Hallstatt) en Europe. Comme le gaulois sala, sel est féminin dans les langues régionales au sud de la Loire (Poitevinː la sau ou la sâ) et des Vosges ainsi que dans d'autres langues romanes.

L'histoire du sel commence au moment où l'homme tente de s'impliquer dans la production effective de son alimentation et sa conservation en toutes saisons.

Le sel, c'est-à-dire le sel ordinaire ou chlorure de sodium, est un cristal ionique comportant des ions sodium Na+ et des ions chlorure Cl-. Il est très important pour l'espèce humaine comme pour toutes les espèces vivantes. Chez l'homme, la carence en sel peut amener jusqu'au coma et à la mort. En évoluant, chaque espèce s'est adaptée au taux de salinité de son milieu (c'est le cas des plantes ou des poissons, par exemple) ou à un niveau de disponibilité du sel (cas des animaux terrestres).

Le sel permet de corriger un menu comportant essentiellement des végétaux. Il a facilité l'adoption de l'agriculture et de l'élevage et son utilisation s'est étendue à d'autres techniques typiques d'un mode de vie sédentaire (élaboration du cuir, lustrage des poteries). C'est donc l'un des piliers des révolutions néolithiques et partant, des civilisations.

Cependant le sel était souvent difficile à obtenir et cher2. Il a donc été l'objet d'un commerce important et parfois de taxations, ce qui entraînait une contrebande considérable. Il a aussi été utilisé comme monnaie et instrument de rites religieux, aspects qui ne sont pas évoqués dans l'article.

Aujourd'hui, le sel est bon marché et presque partout disponible. Il est aussi devenu une matière première incontournable pour les industries chimiques

Le mot sel dans un écrit, une parole, un propos ou une situation, est associé à diverses idées opposées à insipides. Il correspond à quelque chose de piquant, provocant, savoureux, agréable au-delà du premier abord.

Un sens qui enrichit ou accroît l’intérêt.

Allégorie de la Bible , le sel de la terre désigne l’Église, l’ensemble des chrétiens ou le christianisme.

Une plaisanterie (à la) fleur de sel se veut spirituelle ou pleine d’esprit.

A contrario, au gros sel, elle n’est au mieux que grossière gaieté.

En mettant son grain de sel, on s’immisce désobligeamment dans une conversation, une dispute ou un conflit, souvent ne vous concernant pas a priori.

Le sel d’une chose révèle son intérêt, la curiosité, l’esprit mis en éveil.

Sans sel, tout devient insipide, au sens concret comme au sens figuré.

Quel est donc le pouvoir de cet or blanc, indispensable à la vie ?

À quoi sert-il exactement ?

Que représente-t-il ?

Pour appréhender la place tenue par la « culture du sel »dans le vocabulaire, le rituel, le symbolisme, le mieux est de commencer par analyser son utilité.

Il sert à tout.

Indiscutablement pour la conservation des aliments, l’assaisonnement de la nourriture. Plus discutable, remède à un grand nombre de maladies,

Le rôle tenu par le sel dans la conservation des aliments fut et reste primordial.

Depuis un siècle environ, nous avons la stérilisation et la congélation, mais auparavant le sel permettait aux marins de rapporter le poisson pêché au loin aux femmes qu’elles fussent gauloises, romaines ou mérovingiennes, et de conserver viande, poisson, fromage, légumes.

Le vin en Grèce avait droit à sa ration de sel. Enfin le sel entrait dans la préparation de la charcuterie et du garum.

Même les morts sont salés.

Cette pratique de la salaison des cadavres, qui, aujourd’hui, nous étonne, doit être replacée dans le contexte de l’époque. On ne connaissait pas alors les chambres froides ni les conservateurs chimiques ; il était donc normal d’user du sel, le seul moyen dont on disposait, en dehors de l’embaumement, pour éviter, au moins temporairement, la corruption des corps.

Saler un cadavre et saler le cochon procédait d’une même démarche, d’une même préoccupation : il fallait, à tout prix, éviter la putréfaction qui, dans le premier cas, aurait fait disparaître la preuve, le corps du délit et, dans le second, aurait voué la famille à la disette.

Deux exemples témoignent de l’importance, à la fois utilitaire et symbolique, du sel dans la société : à Paris, l’exemple des hanouards. La corporation des hanouards, porteurs de sel, était l’une des plus puissantes de la capitale. La valeur exceptionnelle du sel lui avait conféré la distinction dont elle jouissait.

Les hanouards avaient, en effet, le privilège d’embaumer le corps du souverain défunt.

La capacité du sel à conserver, à donner du goût, a rendu ce produit indispensable à tous les peuples, a entraîné leur dépendance économique s’ils n’en possédaient pas.

Pour ceux qui en possédaient, il a contribué à leur enrichissement et même à un développement tel que le mot reste lié au nom du site éponyme du premier âge du fer : le Hallstatt .

Une telle ressource a vite fait prendre conscience aux gouvernants les bénéfices qu’ils pourraient en tirer.

C’est le prétexte de sa soumission à un impôt et/ou à des taxes.

Le commerce devint monopole d’État et fut interdit aux particuliers.

Cette denrée atteignit des prix excessifs.

À l’ouest, sur le littoral français se développèrent alors des milliers d’hectares de salines.

Les grandes abbayes organisèrent leur fortune grâce aux marais salants.

Comme à l’époque romaine, où les routes du sel avaient acquis une importance stratégique, le contrôle des échanges de cette marchandise par voies maritimes ou terrestres devint l’enjeu de rivalités et de guerres.

Symbole de richesse, de force, de pureté, de finesse d’esprit, d’alliance, de salaire, de salaison, de beauté, de bon goût, d’amitié et d’hospitalité, d’esprit, de plaisanteries fines ou salaces, et même de civilisation, la symbolique peut s’inverser et représenter la sécheresse, l’aridité, la stérilité et même l’incarnation de la mort.

Le sel incarne la vie et la mort puisque les deux ne sont que l’avers et le revers de l’humain.

Comme Janus au double visage, il figure la paix et la guerre.

Autre ambivalence, hors de l’eau, il est la vie, mais en présence de l’eau, il fond et meurt.

Il est la vie et la mort.

Nouvelle Description