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Les fruits de ma colère - Plaidoyer pour un monde paysan qu'on assassine



Résumé

Cet homme a trouvé les mots justes. Les mots pour dire la détresse des paysans, l’humiliation des ventes à perte, le joug de la grande distribution... Tous ces maux qui l’ont conduit, un jour de 2010, à arracher ses propres arbres. Après ses larmes sur France Inter qui ont bouleversé le pays, voici son livre. Pierre Priolet était producteur de fruits en Provence.

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extrait

1

Les soixante-quinze secondes qui ont tout changé

Je cultive des pommes et des poires depuis 1990 sur treize hectares de la terre de Provence, à Mollégès, tout près d'Avignon, un terroir idéal pour les fruits. Vingt ans ! Ça fait un sacré bail.

Je cultivais, devrais-je écrire, car la saison 2010 a marqué le point final de ma carrière d'arboriculteur. Le 4 novembre dernier, j'ai commencé à arracher tous mes arbres fruitiers. Les tractopelles ont envahi mes vergers, là où je travaillais encore avec précaution quelques mois auparavant. Trois semaines plus tard, plus un tronc n'était debout. Je m'étais juré que si cette saison était aussi mauvaise que la précédente, si je perdais autant d'argent qu'en 2009, alors que 2008 n'avait pas été très brillante, j'arracherais tout. Je l'ai fait. Il n'y a pas pire pour un agriculteur que de détruire son outil de production, ce faisant c'est à une part de lui-même qu'il renonce. Cela peut ressembler à un suicide, mais pour moi il s'agit d'un acte politique responsable.

Un paysan parle à la France qui souffre

Depuis un certain 17 décembre 2009, je suis devenu le porte-parole du désespoir paysan. Bien plus par hasard que par choix. Ce jour-là, en direct sur France Inter, un peu après huit heures, j'ai annoncé ce que j'avais l'intention de faire. Depuis, de colonnes de journaux en plateaux de télévision, partout on me presse d'expliquer pourquoi j'ai été contraint de sacrifier ce que j'ai soigné passionnément pendant tant d'années.

Alors je raconte. Je décris la vente à perte à laquelle nous contraint le système de distribution et, par le fait, le mépris dans lequel on tient notre travail. Je raconte le désintérêt du monde politique pour les agriculteurs qui nourrissent le pays. J'évoque les reproches dont nous accable une grande partie de la population en nous rendant responsables de la dégradation de l'environnement alors que nous sommes à son chevet pour l'entretenir et la soigner. Je rappelle qu'en 1975 un kilo de golden se vendait en production entre 1,80 franc et 2,20 francs (0,27 à 0,33 euro) quand le Smig – charges comprises – était à moins d'un euro de l'heure alors qu'aujourd'hui le même kilo de pommes se vend 0,22 euro pour un Smic à 12,48 euros – charges comprises. À lire la quantité de messages reçus après chacune de mes interventions, je crois que je suis entendu. Beaucoup se retrouvent dans mes paroles, quel que soit leur milieu social. Je comprends ainsi que je ne dénonce pas en vain l'écart de prix entre ce qui nous est payé à la production et ce que le consommateur doit débourser dans les rayons des hypermarchés. Je vois aussi que l'absence de reconnaissance du travail accompli préoccupe toute la société. À travers moi, un paysan avec toute sa profession en voie de disparition, c'est une souffrance collective qui s'exprime.

Je suis devenu un témoin, mais à mon corps défendant. Bien que plusieurs fois candidat à une élection, je n'ai jamais rêvé d'une carrière politique, pas plus que je n'ai cherché à être élu. Je me contente d'être du côté de ceux qui contestent, qui refusent l'injustice et qui agissent, plutôt que de râler dans mon coin. Prendre sa vie en main, à sa mesure, voilà ce qui me motive. Si j'avais voulu être élu, je me serais présenté sous les bannières du PS ou de l'UMP et non sous mon propre nom en 1993 lors des élections législatives (au cours desquelles j'avais défendu l'idée d'une taxe d'harmonisation des coûts du travail) ou, comme en 2008, derrière celle du Modem de François Bayrou pour les cantonales de Cavaillon. J'ai eu l'honneur de servir mon village de Caumont-sur-Durance de 1995 à 2008, pendant treize années, en tant qu'adjoint au maire. Lorsque j'ai décroché mon téléphone ce fameux matin de décembre 2009, je ne cherchais pas à faire un coup d'éclat médiatique, j'étais simplement fidèle à moi-même et à mes engagements.

Comme tous les matins, j'écoutais France Inter. Nicolas Demorand passait Bruno Lemaire, le ministre de l'Agriculture, sur le gril de ses questions. Quelques jours plus tôt, son ministère avait communiqué les statistiques ayant trait à l'évolution du revenu des agriculteurs portant sur l'année écoulée. Moins 34 % pour l'agriculture et moins 53e% pour les fruits. Du jamais vu en trente ans. Une catastrophe.

Cette chute vertigineuse des revenus, je l'ai vécue au cours de l'été 2009.À la fin de la saison, une fois mes fruits vendus, il m'a manqué 15 000eeuros pour payer le ramassage des fruits. Alors, quand j'ai entendu le ministre prendre un ton grave pour parler de notre situation, quand j'ai entendu la secrétaire générale adjointe des Jeunes Agriculteurs, présente elle aussi dans le studio, dire : « Quand on choisit de faire le métier d'agriculteur c'est une passion, je crois, il y a beaucoup d'heures de travail mais il y a une qualité de vie que je n'avais pas quand je travaillais en usine. Je peux profiter de mes enfants avant d'aller à la traite », mon sang n'a fait qu'un tour. Comment peut-on perdre 54 % de quelque chose que l'on n'a pas ? Comment peut-on prétendre aimer ce métier si on en crève ? Parce qu'on est véritablement en train de mourir. Faire faillite, laisser crever nos arbres sur pied, à la rigueur les arracher quand on a les moyens de payer le travail d'un bulldozer. Sans parler du suicide auquel sont poussés ceux qui n'ont plus la force de résister à la tentation de tout lâcher. Le bilan de mon année 2009 s'est traduit par 75 863 euros de pertes auxquels s'ajoutent 23 000 euros d'impayés. J'ai dû vendre l'entrepôt acquis en 2002 et dont la valeur avait doublé depuis l'achat. J'en ai profité pour sortir d'un mauvais pas. Une forme de chance sans doute... Mais cette expérience m'a permis de toucher du doigt la relativité de la création de richesse par le travail.

Jamais je n'aurais imaginé appeler pour participer à une émission de radio. À quoi bon ? Tant de témoignages d'auditeurs sont noyés dans la masse ! J'ai raconté mon histoire à l'assistante au standard. J'ai dit que je ne pourrais pas passer une année de plus aux abois comme je l'étais. Quelques minutes après je parlais à l'antenne. En une poignée de secondes j'ai à nouveau expliqué pourquoi j'en arrivais à une telle extrémité, comme un boxeur songe à raccrocher les gants après trop de combats truqués. Ma voix s'est brisée en sanglots tant l'effort fourni pour surmonter ma pudeur a été fort. « J'ai vendu mes fruits 9 centimes, je les vois à 2,80 euros en magasin. J'ai vraiment l'impression d'être pris pour un con. Si on ne veut pas de nous, si on nous méprise à ce point, il vaut mieux qu'on arrête ! »

Nicolas Demorand, le ministre, la secrétaire générale adjointe des Jeunes Agriculteurs, tous ceux qui se trouvaient dans le studio à l'autre bout du téléphone ont été surpris par mes paroles. En tout cas, c'est ce qu'on m'a dit hors antenne. Rarement, ont-ils dit, des témoignages « aussi justes » leur parviennent. Moi, je n'ai pas cherché à faire « juste ». Je voulais simplement qu'on sache que les paysans ne peuvent même plus vivre de leur travail, et que moi par exemple j'avais dû puiser dans mes réserves pour faire vivre ma famille en attendant cette chimérique prochaine récolte qui s'est révélée pire que la précédente. Mais comment font ceux qui n'ont rien mis de côté ? Ils arrêtent. Ils laissent tout en plan, abandonnent leurs vergers du jour au lendemain à la friche et aux parasites qui aussitôt envahissent le voisinage. Moi, j'ai tenu une année supplémentaire en aggravant ma situation financière. Au micro de France Inter, j'ai voulu dire pourquoi je jette l'éponge, au lieu de souffrir comme tant d'autres dans le silence et la honte !

Une fois le téléphone raccroché, des amis agriculteurs, des copains, le président de la chambre d'agriculture du département m'ont appelé pour me féliciter. « Ce que tu as dit ce matin, Pierre, c'est ce qu'on pense tous, et qu'on n'arrive pas à dire. On n'a jamais parlé de notre détresse aussi dignement que cela. »

De telles marques de gratitude m'ont bouleversé. C'était la preuve que j'étais définitivement admis dans mon milieu d'adoption. Car même si la terre et son travail sont ma raison d'être, ni ma mère ni mon père n'étaient agriculteurs. On me le reproche à l'occasion. Il ne me suffit pas d'avoir épousé en 1974 une fille de producteur, Claire, et d'avoir ainsi partagé les inquiétudes des siens pour être moi-même issu d'une famille paysanne. En effet je ne travaille pas la terre de mes propres mains depuis toujours, mais depuis que je suis entré dans la vie active, en 1975, j'évolue dans le milieu agricole. J'ai tour à tour travaillé avec les coopératives au sein du comité économique d'Aquitaine, j'ai effectué de nombreuses missions à l'étranger pour le GIE (groupement d'intérêt économique) du bassin de la Garonne pour y défendre la pomme et la poire françaises au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. J'ai été responsable commercial d'une coopérative de fruits, les Vergers de Cabannes. Parallèlement, j'ai commencé à acheter de la terre et à y planter des arbres. Avant de m'y consacrer entièrement, j'ai créé en 1984 une société, les Vergers d'Europe, et j'ai connu la faillite en 2005. C'est probablement ce parcours qui me donne aujourd'hui la force de parler. Car un paysan, habitué à travailler seul, est un taiseux. Surtout s'il est en crise, surtout si le désespoir le ronge. Or pour être respecté il faut se faire entendre.

Cette facilité à prendre la parole en public, les jésuites chez qui mes parents m'avaient placé pour mon entrée en sixième me l'ont inculquée. Apprendre, dès le début de l'adolescence, à lire les épîtres des Apôtres devant un auditoire, à ne pas trébucher et à être convaincant, cela vaccine contre le trac ! Alors, tout naturellement, quand en 1973 les lycées de France se sont embrasés contre la loi Debré supprimant les sursis accordés aux étudiants pour repousser la date d'incorporation au service militaire, je me suis trouvé l'âme d'un contestataire. Juché sur les estrades en train de haranguer mes camarades, je cherchais à lier entre eux les différents lycées. Ça m'a valu d'être désigné porte-parole – déjà – lors d'une grande manifestation organisée à Avignon et de prononcer un discours au nom des lycéens. Ça m'a aussi valu de rater mon bac, pour trois points. Moi qui avais combattu le passage direct du lycée à la caserne, je me suis retrouvé incorporé dans un régiment de commando ( d'infanterie ) à Montlouis, « Le Premier Choc ! » Pas vraiment une partie de plaisir. Il m'a fallu mener une grève de la faim d'une semaine pour obtenir le droit de reprendre mes études pendant un mois et pouvoir me présenter à nouveau au bac, que j'ai passé en uniforme, avec succès cette fois. C'est ainsi que j'ai pu entrer au centre des fruits et légumes à Avignon pour y suivre une formation commerciale conclue par un mémoire de fin d'année sur l'économie des fruits et légumes en Iran. Sachant que je n'étais pas issu du milieu agricole, j'avais préféré parler d'un sujet que personne ne connaissait à l'époque. J'avais vendu mon mémoire par avance à des expéditeurs cavaillonnais pour 46 000 francs, ce qui m'a permis de prendre l'avion pour Téhéran. Ma vie dans l'agriculture commençait.

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Les fruits de ma colère - Plaidoyer pour un monde paysan qu'on assassine

  • France : 2012-02-15 - Poche (Français)

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