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Il est étrange que les sociologues mènent leurs recherches sans presque jamais dire d'où ils viennent. Il doit y avoir à cela nombre de raisons. Il en est au moins une qui nous paraît décisive : le sociologue fait de la science. Il est donc pur esprit, intelligence tombée du ciel. Que son père soit éboueur ou marquis, cela n'est jamais mentionné sur les cartes professionnelles. Tous égaux, c'est la loi de la République qui oublie la puissance des expériences premières. Tout le monde fait comme si être docteur en sociologie suffisait à escamoter les joies, les peines, les espoirs et les désespoirs, les apprentissages et les ignorances, tout ce temps d'avant qui est encore là. Mais qui a intérêt à ce silence ? Pourquoi masquer les inégalités de départ est-il si facilement admis ? Dans les sciences sociales la connaissance des éléments de la trajectoire des sociologues permet pourtant de mieux comprendre leur rapport à leur objet.

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La réception de nos travaux par les enquêtés

Dans notre journal d'enquête, Voyage en grande bourgeoisie, nous avons noté le sentiment de malaise que nous éprouvions envers nos interviewés. Notre travail consiste à dévoiler une partie de leur vie, alors même que leur milieu cultive la discrétion. Le malaise qui en résulte aurait pu trouver une issue positive dans une écriture hagiographique qui serait venue atténuer notre sentiment de trahison. Mais si la restitution que nous faisons de la parole des aristocrates et des grands bourgeois se veut rigoureuse et respectueuse, elle est sans concession sur le fond. En effet, notre souci constant a été de mettre au jour des inégalités et des privilèges mal connus et d'en souligner les effets sociaux. Or, en général, nos textes sont bien acceptés par le milieu fortuné de la noblesse et de la grande bourgeoisie ancienne. Ce qui nous étonne d'autant plus que nous utilisons le système théorique élaboré par Pierre Bourdieu. Nos travaux ayant pour objet la reproduction des positions dominantes et les déterminismes sociaux qui en sont au principe, nous soumettons ces rapports sociaux à l'analyse à partir des concepts d'habitus, de champ, de capital économique, social, culturel et symbolique. Nous les faisons vivre et fonctionner dans notre restitution des discours et des observations. La référence à Bourdieu, en raison de ses engagements à l'extrême gauche, aurait pu effrayer et provoquer la fermeture de la grande bourgeoisie à nos enquêtes. Il n'en a rien été.

Les intéressés se montrent en accord avec nos textes et ils nous disent parfois les préférer à des approches laudatives qui ne leur apprennent pas grand-chose sur eux-mêmes. Nos livres, agrémentés du label scientifique que nous procure l'appartenance au CNRS, leur ouvrent de nouveaux espaces de compréhension de leurs propres pratiques. Bien plus, ils peuvent instrumentaliser nos analyses des processus de la reproduction sociale pour affiner leurs stratégies. Une sociologie critique peut devenir une arme pour la défense de positions dominantes dont elle dévoile le fonctionnement. Dans les années 1970, une certaine sociologie urbaine marxiste, dont nous faisions partie, a pu être financée, et utilisée, par des gouvernements de droite, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Cette recherche contractuelle sur fonds publics venait nourrir la réflexion des cabinets ministériels. Un regard sans complaisance pouvait leur apprendre plus sur les stratégies à mettre en œuvre que les louanges des cours (au sens de celle de Versailles) et des clientèles, toujours portées à flatter le bienfaiteur au pouvoir.

De là sans doute vient une certaine réticence de nos collègues, en particulier de ceux qui furent proches de Pierre Bourdieu, pour nos travaux, jugés à la limite de la complaisance envers notre objet. C'est oublier que la lucidité sur le monde social est doublement nécessaire : aux dominants, qu'elle aide dans leur domination, et aux dominés, qui, sans cette connaissance, sont portés à l'estimer inéluctable et légitime, en raison des qualités supposées des dominants.

Que l'instrumentalisation de la sociologie critique aide la grande bourgeoisie à mieux se connaître et à mieux lutter pour maintenir ses prérogatives n'enlève rien à la valeur subversive du savoir qui, en mettant en évidence que la terre tourne autour du soleil et non l'inverse, remet en cause l'ordre infondé du monde.

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Dès lors qu'il s'agit des puissants, le fonctionnement des services administratifs semble s'assouplir et s'adapter aux conditions particulières, aux intérêts des personnes ou des familles. Y aurait-il deux poids et deux mesures ? Les expropriations pour les uns et les transactions à l'amiable pour les autres ? On peut supposer que la connivence qui conduit à des aménagements conciliants des pratiques administratives est liée à la qualité des lieux et des biens et qu'elle relève aussi de la proximité entre les fonctionnaires ayant pouvoir de décision et les administrés appartenant à la haute société. Ceux-ci sont mieux armés, culturellement et socialement, pour mener des négociations efficaces et faire valoir leur point de vue sans qu'ils aient à recourir de manière manifeste à quelque forme de pression que ce soit. On agit avec prudence lorsqu'on a affaire à des agents sociaux que l'on sait pourvus de relations puissantes.

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La grande bourgeoisie maîtrise la culture dominante, aime les produits du terroir et les paysages bucoliques, recherche le calme, le luxe et la discrétion, cultive la courtoisie comme mode de relation aux autres, respecte les héritages du passé et les monuments historiques. Le mode de vie grand-bourgeois est porteur de valeurs universelles et donc de l'intérêt général. La haute société est en position de défendre, en s'appuyant sur l'esthétique et le droit, des valeurs partagées en défendant les siennes.

SOS Paris en est un exemple. Cette association est porteuse d'une idée de Paris fondée sur des références au passé, à travers les monuments, mais aussi les charmes des quartiers populaires, les qualités de la table et des vins, la tradition des industries du luxe. Les mêmes se retrouveront dans les associations qui veillent sur les jardins, reconstituent les potagers des châteaux, participent à la gestion des forêts en tant que veneurs ou collaborent avec le Conservatoire du littoral pour arracher le bord de mer à l'emprise des promoteurs.

Pour que cela fonctionne, les passerelles avec l'État sont de la première importance. Heureusement, elles vont de soi : patrons et hauts fonctionnaires ont fréquenté les mêmes établissements, souvent Sciences-Po et l'ENA. Les carrières sont diverses, mais les passés sont communs. Cette proximité facilite la multiplication des associations, des commissions et des comités où, entre soi, on peut faire des choix raisonnés et élaborer les meilleures stratégies, comme à travers le G8, ce regroupement des présidents d'associations de défense du patrimoine et de hauts fonctionnaires du ministère de la Culture. Les réseaux de la grande bourgeoisie peuvent produire, défendre et faire aboutir leurs projets et leurs souhaits avec d'autant plus de facilité qu'ils se présentent comme conformes au bien commun.

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Les membres des quelques familles de la haute société qui résident encore dans les rues de ce quartier, ou qui s'y rendent parce qu'elles y ont leur bureau ou leur cercle (le Travellers est au numéro 25 de l'avenue, le Jockey est tout proche, rue Rabelais) parlent volontiers de " faune " à propos des badauds qui montent et descendent " le Champs ". Ils rejettent ainsi dans l'animalité ceux qui ne leur ressemblent pas et disqualifient sans appel leur façon d'être et de faire. L'allure distinguée, la tenue irréprochable, l'élégance et la distinction des promeneurs d'autrefois ont cédé la place aux postures négligées de passants qui appartiennent de toute évidence à un autre monde. Les grands bourgeois contrariés, exclus de fait de l'avenue devenue infréquentable certains jours à certaines heures, supportent mal, à l'heure du déjeuner, de croiser les midinettes sortant des ateliers de couture, croquant dans leur sandwich tout en faisant du lèche-vitrine. Lorsqu'on sait se tenir, on ne mange pas dans la rue. Les touristes, l'été, leur offrent un spectacle insoutenable : certains se promènent en short, voire en " marcel " (tricot de corps sans manches), on en a même vu torse nu, dégustant assis sur un bord de trottoir un " Big Tasty " dégoulinant. La perception des hiérarchies sociales passe par celle du maintien du corps, de la gestion des besoins de ce corps. Leur manifestation trop explicite n'est guère la bienvenue.

L'opposition entre le " bas " et le " haut " du monde social renvoie aux oppositions à terre/debout, avachi/digne, vautré/redressé. Toutes ces oppositions se retournent d'ailleurs en décontracté/guindé lorsqu'elles sont perçues d'un autre point de l'espace social. La manière de gérer le corps est lue comme une expression symbolique de la place dans le monde et du rapport à celui-ci, dominant ou dominé. Cette manière d'appréhender la position sociale de l'autre permet de renvoyer l'origine du système des différences et des inégalités à la nature et donc à l'ordre intangible des choses.

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Propriétaire du château de Beaurepaire dans la commune homonyme de l'Oise (75 habitants), le marquis Christian de Luppé en est aussi le maire. Inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1976, le château est entouré, au sud, par un vaste parc, des étangs et un bois qui sont inclus dans le Parc naturel régional Oise-Pays de France. Il est protégé au nord par l'Oise et à l'ouest et à l'est par des terres agricoles qui font partie du domaine. De tous côtés une barrière verte, qui permet au marquis de Luppé de conclure : “ Je suis sécurisé. “ Toutefois le château reçoit des visites : l'église et la mairie sont installés dans le parc. L'église, du XVIè siècle, était celle du château. Dégradée pendant la Révolution, transformée en mairie, elle fut rendue au culte en 1813. Les châtelains accueillirent la mairie dans les communs et firent don de l'église à la commune. Les habitants de Beaurepaire, pour aller au mariage de l'un des leurs ou pour accomplir leur devoir électoral, doivent emprunter l'allée ombragée de plusieurs centaines de mètres qui conduit de la route départementale au château. A pied, cette longue marche d'approche a quelque chose d'impressionnant, comme s'il s'agissait de franchir un sas pour passer de l'ordinaire à l'extraordinaire. Pour accéder à l'église, les fidèles empruntent une passerelle de bois qui enjambe les douves du château où nagent paisiblement “ mes cygnes de richesse “, comme dit avec humour le châtelain lui-même. Devenu église communale, le bâtiment, d'un beau style Renaissance, est entretenu aux frais du village. Il a toutefois bénéficié, en 1988, pour la réfection de la toiture, des subventions de l'Etat et du département, le monument étant inscrit. Il s'y est ajouté un chèque de Marcel Dassault, député d'une autre circonscription de l'Oise, envoyé sous enveloppe à l'adresse “ Commune de Beaurepaire. Toit de l'église. “ Les membres de la famille Luppé apprécient cet endroit au point d'y célébrer les mariages des neveux et nièces, des cousins et cousines et bien sûr de leurs propres enfants. Christian de Luppé conduira lui-même la cérémonie civile pour sa fille qu'il mariera en septembre 2007. Comme il dit, c'est la joie “ de tout père et maire “. La famille a fourni sans discontinuer le premier magistrat du village depuis 1890 : cent dix-sept ans de bons et loyaux services. Les locaux de la mairie sont à deux pas du château, au premier étage des communs : le bureau du maire, avec la photocopieuse à disposition des habitants le samedi matin, la petite bibliothèque, la salle du conseil. Sous le regard d'un portrait de Jacques Chirac, alors président de la République, une grande table et neuf sièges attendent les conseillers municipaux. Une armoire contient les archives communales. Dans un coin est relégué l'isoloir pour l'accomplissement du devoir électoral. Le cadastre, un service important dans une commune rurale, a droit à une petite pièce pour lui seul. La commune paie l'électricité. L'occupation des locaux se fait par accord tacite : pas de contrat de location. Pour le maire, cela va de soi, il est chez lui ; mais les conseillers sont hébergés à titre gracieux. Depuis le temps, cette mairie dans les communs, cela va de soi pour les Luppé. “ C'est normal, je n'ai jamais fait de chantage, déclare Christian de Luppé. Je n'ai jamais dit : " Je me tiens à la disposition de mon successeur pour le déménagement des archives ! " ” De toute façon, cela risque fort de durer : le fils de l'actuel marquis est conseiller municipal.

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Denis de Kergolay, propriétaire du château de Canisy, habile et déterminé pour maintenir faire vivre la demeure de ses ancêtres, est membre actif d’associations de défense du patrimoine, La Demeure Historique et Europa Nostra. Il est ouvert aux autres et pratique volontiers le dialogue social. Il fut, par exemple, trésorier de Médecin sans frontières. Dans un milieu conservateur, attaché à ses privilèges et à ses valeurs, il en incarne l’une des forces, celle de la conscience, ancrée dans l’expérience historique, de devoir changer et s’adapter, meilleure façon pour faire que cela dure. La continuité dans le changement suppose des hommes et des femmes capables de jouer les intercesseurs entre ce qui peut ou doit être maintenu en l’état et ce qui peut être abandonné ou modifié. La reproduction est à ce prix, dans le changement permanent.

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Les privilégiés de la fortune recherchent de manière systématique la compagnie de leurs semblables. Ils agissent de façon à préserver leur environnement social avec un tel pragmatisme, vécu comme allant de soi, que leur apartheid inversé fait oublier aux habitants de Neuilly qu'ils vivent en “ banlieue ”, dans un “ ghetto ” (pour riches) et un intense “ communautarisme ” (entre gens de même naissance), toutes expressions qui renvoient instantanément dans le 9-3, à Saint-Denis, Aubervilliers ou Clichy-sous-Bois.

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Le contraste est grand entre le discours de ces familles sur des sujets économiques et politiques, qui prônent la flexibilité du travail et la mobilité des salariés, et leurs propres pratiques qui visent au contraire à la multiplication des enracinements et à la continuité à travers les générations. La reproduction des rapports sociaux de domination entraîne ainsi d'étranges contradictions entre les paroles et les actes.

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