Les Huntington, tome 3 : Les Amants Égarés

Cependant, la mauvaise humeur de Nick gâcha ses rêveries. Il enfila par la tête une chemise amidonnée dont les pans, en retombant sur ses cuisses, lui cachèrent toute la vue. Elle soupira.

— Seriez-vous en train de vous rincer l'œil ? demanda-t-il par-dessus son épaule.

— Oui.

Il mit un pantalon et, avec un petit sourire en coin, se retourna complètement vers elle pour le boutonner.

— Oh, oh ! Je crois que Somerhart est un peu plus mince que moi.

— Si j'avais eu un corset de plus, je vous l'aurais prêté.

— Oh, mais j'en ai un, répondit-il avec un clin d'œil, et c'est pourquoi je voulais que vous partiez, figurez-vous.

Ses yeux pétillaient lorsqu'il prit un foulard dans la penderie. Les inquiétudes de Cynthia s'envolèrent. Nick paraissait aller mieux. Il ne transpirait plus et son visage avait retrouvé des couleurs.

Il la scruta de la tête aux pieds.

— Vous êtes d'une beauté à couper le souffle.

— Vraiment ? (Elle passa une main respectueuse sur la robe de soie dorée qu'elle portait.) Pourtant, il ne m'a pas semblé vous voir respirer avec difficulté.

— Ne vous fiez pas aux apparences. (Son regard s'attarda sur son décolleté.) Je vous assure que je me sens tout faible.

Cynthia releva le menton.

— Il aurait mieux valu que vous vous sentiez faible avant de vous vêtir. Il enroula le foulard bleu foncé autour de son cou tout en gardant les yeux rivés sur la jeune femme.

— Je ne suis pas certain que vous soyez vous-même tout à fait décente, Cynthia. Vous risquez d'attraper une angine de poitrine, et vous savoir aussi légèrement vêtue ne me plaît pas du tout.

Elle baissa les yeux pour regarder la naissance de ses seins. Elle avait passé quinze bonnes minutes à les examiner dans sa chambre.

— D'après Emma, mes seins sont la perfection incarnée.

— C'est vrai. Ils sont même trop parfaits.

Elle tira sur son décolleté.

— Allez-vous cesser ? Je suis déjà suffisamment nerveuse sans que vous ayez besoin de me faire sentir comme une vache qui a manqué l'heure de la traite !

— Pitié, Cynthia, dit-il avant de s'écrouler contre la penderie, secoué de rires.

Elle tira de nouveau sur le tissu.

— Vous trouvez que cette robe n'est pas convenable ? C'est Emma qui l'a choisie pour moi, et je ne voudrais surtout pas sembler ingrate, mais je crois vraiment que je ne devrais pas aller à cette soirée. C'est décidé, je n'irai pas.

— Allons, venez.

Il marcha vers elle, laissant pendre les extrémités de son foulard. Quand il s'approcha, elle vit que le tissu bleu paraissait plus foncé à cause des lignes noires qui le striaient. Elle regretta de ne pas savoir nouer un foulard. Ainsi, elle aurait pu être aux petits soins pour lui.

— Cynthia, vous êtes très belle - trop, même. Tous les hommes vont tomber amoureux de vous, à mon grand dam.

— Je ne crois pas qu'il soit sage que j'attire l'attention. Le duc a déjà pris beaucoup de risques pour moi, et je ne vois pas pourquoi il me laisserait valser ce soir, comme si de rien n'était. Quelqu'un va forcément parler à mon beau-père, et...

— Votre beau-père a déjà écrit.

— Comment ? Pourquoi ne pas m'en avoir informée ?

— Vous étiez aux jardins avec Emma.

Il se tourna vers le miroir et se lança dans un nœud savant qu'il avait dû mettre plusieurs années à maîtriser. Impossible de retenir l'enchaînement de tous ces tours et détours.

— Eh bien, que disait-il ?

— Son ton était affreusement déférent, comme vous vous en doutez. «J'apprécie la générosité sans bornes de Votre Grâce d'accepter de garder chez vous une jeune fille si difficile », etc. Il semblerait que votre beau-père aimerait venir vous récupérer le plus tôt possible, à la convenance de Sa Grâce. Je crois que Somerhart a répondu qu'il serait très pris par moult activités sociales jusqu'à la fin de la semaine prochaine.

— Vraiment ? demanda-t-elle d'une voix aiguë.

— Je doute que votre beau-père ait les moyens de s'imposer chez un prince du royaume sans y avoir été invité, pas vous ?

En entrevoyant cette lueur d'espoir, elle s'autorisa un petit sourire.

— Alors, cela pourrait marcher ? Pour de bon ?

— Pour de bon.

— Et si nous perdons tout notre argent au jeu ? Que se passera-t-il alors ?

— Si nous perdons tout notre argent au jeu... (Son foulard formant une élégante sculpture, Nick enfila la redingote noire qu'il avait empruntée à Somerhart.) Ne vous inquiétez pas. Je vous libérerai de son joug.

— Que voulez-vous dire ? insista-t-elle, plus que distraite par le tableau qu'il lui présentait.

Devant elle se tenait le Nick qui avait passé ces dix dernières années à fréquenter les plus hautes sphères de la bonne société.

— Venez. (Il lui offrit son bras avec un clin d'œil.) Allons-y.

Elle laissa sa main pendre le long de son corps.

— Je ne suis pas comme tous ces gens, Nick. Vous l'avez dit vous-même.

Il lui caressa la joue et prit son menton entre ses doigts.

— Vous êtes mieux que tous ces gens, Cynthia, et ils vont vous adorer.

Lorsqu'il pressa ses lèvres contre les siennes, elle resta immobile pour le sentir tout entier. Ils vivaient là leurs dernières heures ensemble. Le temps défilait si vite qu'elle percevait presque le courant d'air qu'il laissait derrière lui. Je vous aime, songea-t-elle. Je vous aime.

Malgré tout, elle se contenta de hocher la tête et de lui donner le bras.