Extraits

Cette épreuve, je la vivais chaque soir dans mon lit, au lieu de jouer mentalement du violon comme j'avais l'habitude de le faire. Je vivais chaque soir une rentrée différente. Un jour, Mme Chapoulie avait rencontré Hélène qui lui avait confié tout le travail que nous avions fait ensemle et elle me mettait avec les grands, j'étais assis à côté de Claude et l'instituteure me félicitait. Un autre jour dans la classe des petits qui pleuraient, je m'enfuyais par la fenêtre rejoindre Marthe au ruisseau, l'implorant pour rester avec elle.

Cette épreuve me rendait aussi bête que Dédé qui, lui, était définitivement dispensé de ce calvaire.

Un soir comme les autres, il était assis à la terrasse en donnant gracieusement son sentiment sur le cours et les événements de la guerre devant quelques-uns de ses admirateurs habituels. Une voiture arriva lentement, s'arrêta devant la terrasse et, à deux mètres de lui, un homme lui tira un coup de pistolet et le rata miraculeusement. Aux dires des autres consommateurs, le tireur était jeune, ce qui n'est pas une excuse, mais sa main tremblait comme celle d'un vieux buveur de vin blanc. Le pharmacien partit en renversant les chaises sur son passage et resta enfermé tout un mois.

L'affaire fit grand bruit et le café du commerce perdit un consommateur. Les gendarmes sillonnaient les rues, recherchant en fins limiers tous les renseignements relatifs à l'événement. Ce fut le premier cas de ce genre, il y en eut plus tard bien d'autres.

Le son devenait plus proche mais la montée devait être pénible, on entendait les emballements du moteur à certains moments. Mon oreille de musicien avait reconnu un son familier, j'en étais persuadé. Je changeai de place et me rapprochai de Jeannot pour lui faire part de mes doutes.

Pour plus de commodités, je m'allongeai sur le ventre et me relevai encore plus vite, ayant ressenti une piqûre à un endroit particulièrement sensible de mon anatomie. La scène n'avait échappé à personne et je vis les sourires de mes compagnons.

Je crois que je me suis réveillé parce que le tempo du concerto de Beethoven n'était pas bon. Je cherchais à faire avancer l'archet mais la musique continuait sans moi.

Quelques cahots me firent complètement reprendre conscience. J'étais toujours sanglé dans le siège port-bagages sur le vélo que ma mère avait fait aménager pour ce long voyage. Mes pieds avaient trouvé une place dans les larges sazcoches de similicuir et ma taille était prisonnière dans un siège fait de tube gris qui m'emp^chait de tomber, même pendant les courts sommes dont j'entrecoupais notre longue et douloureuse promenade.