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Chapitre Premier
La poitrine de Geskard était maculée de sang. Il émit un grognement de satisfaction et recula hors de portée. Il n’aurait pas dû s’en faire. Son coup avait passé la garde de sa victime et mordu profondément dans l’épaule, traversant le gilet en cuir et la chair avant de lui briser la clavicule.
Le combat inégal était achevé. Leurs regards se croisèrent. Le vainqueur et le malchanceux, qui avait trop d’argent à la ceinture et était si maladroit à l’épée. Cette ville n’était pas indulgente avec de tels déséquilibres. Elle ne l’avait jamais été.
— Tu aurais dû me donner ta bourse quand je te l’ai demandée, dit Geskard. (Il sourit, reconnaissant sur le visage de l’homme le désarroi de ceux qui vont mourir.) Mais c’est tout à ton honneur d’avoir choisi de te battre.
L’homme tomba à genoux, l’épée glissa de sa main droite, qu’il porta à son autre épaule, blessée. Il n’y avait plus rien à faire pour arrêter l’hémorragie. Son regard s’affaiblit, exprimant comme toute dernière émotion un regret persistant. Il s’effondra face contre terre.
Geskard lui jeta un bref regard. Une fois de plus, il bénit le chaotique et tentaculaire amas de rues derrière l’aile nord du marché central de Xetesk. C’était sûrement un homme de l’art qui l’avait conçu. Dans la lumière chaude de ce début de soirée, les vieux immeubles jetaient des ombres dans la ruelle. Au-dessus de lui, une lessive miteuse pendait sur des cordes à linge pourries. La rumeur des jours de marché s’égrenait, ondulant doucement autour de lui. Si quelqu’un avait entendu leur bref échange, il préférait ne pas le faire savoir.
— Très sage de votre part, dit Geskard.
Il se racla la gorge puis nettoya son épée et la rengaina en fredonnant doucement. Il s’agenouilla près du corps de feu le marchand, qui avait été trop avide pour conclure une affaire de plus.
— Ce n’était pas le genre de mort que tu avais en tête, n’est-ce pas, l’ami ?
Il avait tendu sa grosse main vers la ceinture de l’homme, où sa bourse était attachée, tandis que de l’autre il attrapait un couteau pour la sectionner, lorsqu’il eut un frisson et s’arrêta net.
Il jeta un œil alentour. Une ombre, un genre de silhouette d’homme comme mise en pièces par le vent, avait traversé la lumière derrière lui. Il l’avait vue très clairement, mais seulement l’espace d’un instant.
Il n’y avait personne. Il haussa les épaules et reporta son attention sur sa prise. Le marchand bougea. Un très léger soubresaut, mais tout de même. Geskard sursauta, puis il ricana.
— Encore envie de te battre, hein ? Tu m’impressionnes.
Geskard lui prit le pouls dans le cou. Rien. Il remua les doigts et appuya plus fort. Toujours rien. Ça n’avait pas d’importance. L’homme n’était pas en position de résister. Geskard regarda encore une fois autour de lui. Il était toujours seul. Il se sourit, secoua la tête et tendit la main pour attraper la bourse pour la troisième fois.
Le marchand se releva brutalement à la force des bras, toussa et cracha du sang sur le sol de terre battue. Geskard bondit en arrière, le cœur battant. Il lâcha son couteau et porta la main à la garde de son épée.
— Pourquoi n’es-tu pas mort ? demanda-t-il, reculant d’un pas.
Afficher en entierLa douleur remplaça l'aisance.
La peur remplaça le calme.
La solitude remplaça l'amour.
Il aurait bien hurlé mais il n'avait pas de voix pour le faire.
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