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J’avais neuf ans lorsque mon père s’est débarrassé de moi, tout juste un an après qu’il eut vendu ma sœur, Hope, à l’Homme de Londres. Il m’a mise sur un bateau, mais pas, comme je le croyais, pour m’envoyer vers une vie meilleure. Non, il voulait se défaire d’un témoin qui risquait de fourrer son nez dans les sales affaires de deux bonshommes. Pas pour avoir vendu des petites filles, mais pour un autre crime, dans lequel j’avais joué un rôle involontaire et dont je me sentis coupable pendant de longues années. Aujourd’hui encore, même lorsque, pour me rassurer, Emily m’assure que tout se serait passé de la même manière sans moi, je reste écrasée par le poids de la culpabilité.
Afficher en entierLa porte s’ouvrit, et mon père apparut, le visage en feu, les yeux étincelants. Se balançant sur les talons, il se tourna vers Hope.
— Eh bien, jeune fille, j’ai une surprise pour toi. Je t’ai trouvé une bonne place à Londres. La famille a besoin d’une paire de mains supplémentaires en cuisine. Tu vivras dans une belle maison, tu auras droit à trois repas par jour, des vêtements propres et un bon lit confortable.
Ses paroles provoquèrent un silence que ma mère brisa.
— Non, Will, je t’en prie, elle n’a que onze ans, elle est trop jeune pour aller si loin… dit-elle, le visage blême.
Les moustaches sombres de mon père ne dissimulaient pas sa moue de colère. Consciente du danger, ma mère leva la main et la plaqua sur ses joues, comme si, en se fermant la bouche, elle pouvait échapper aux coups.
— Regarde, femme, voici une avance sur ses gages, dit-il en lui agitant une petite bourse sous le nez. Cela mettra autre chose dans nos assiettes que ce fichu poisson, et, tu auras beau dire, il est hors de question que je le rende. Elle s’en va ce soir.
Le visage de ma mère s’effondra et elle tendit un bras vers lui. Il s’approcha d’elle, et son regard désespéré se changea en mépris lorsqu’il leva la main.
— Tu as vendu ta fille pour le prix de quelques gins ! Tu peux me frapper si tu crois que cela fera de toi un homme meilleur.
Puis, sachant que rien de ce qu’elle dirait ne le ferait changer d’avis, elle baissa les bras.
Mon père se rendit compte que sa fille aînée n’avait pas bougé. Il avança de deux pas vers elle et la dressa violemment sur ses pieds.
— Et je ne veux pas entendre de récriminations ! Prépare tes affaires. Tu me remercieras une fois sur place.
Pendant un instant, elle sembla aussi pâle et aussi figée qu’une statue d’un jardin italien. Elle croyait peut-être encore que c’était une plaisanterie, qu’il allait vite éclater de rire… Avec un soupir exaspéré, il lui posa une main dans le creux du dos et la poussa vers l’alcôve où elle dormait.
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