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L’engagement actif, l’étayage de l’autre et le mélange des âges sont trois paramètres fondamentaux de l’apprentissage pour le jeune enfant. Mais, soyons clairs, ils ne suffisent pas : si je vous invite à apprendre à faire du tricot en tricotant vous-mêmes, vous serez engagés ; si je vous montre quelques points-clés de base à partir desquels vous pourrez largement explorer cette pratique, vous aurez également bénéficié de mon étayage ; mais si le tricot ne vous intéresse absolument pas, vous serez certes engagés et accompagnés, mais vous apprendrez peu. En effet, sans curiosité personnelle, votre mémoire ne sera que faiblement activée.
Afficher en entier"Si la sous-stimulation est délétère, la sur-stimulation l'est tout autant. Elle surcharge les neurones d'informations et provoque un grand stress chez l'enfant. Exit donc, les jouets de toutes les couleurs qui sonnent de toutes parts et possèdent dix textures différentes. Adieu écrans, dessins animés au débit d'images rapides, tablettes et télévision. Si l'enfant reste devant tous ces objets les yeux grand ouverts, c'est plus par sidération que par contemplation. Ne nous étonnons pas ensuite de le voir pousser des cris et ne plus se satisfaire de rien. Leurs cerveaux étant sur-stimulés , leur attention a beaucoup de difficulté à se focaliser."
Afficher en entierCette deuxième année, nous avions par ailleurs reçu la visite de nombreux scientifiques. Stanislas Dehaene, psychologue cognitif de renommée internationale, et en charge de la chaire de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, vint dans la classe accompagné de sa collègue et remarquable chercheuse Manuela Piazza. Après leur visite, dont je garde un excellent souvenir, Stanislas Dehaene fit part de ses impressions concernant la classe au ministère de l’Éducation nationale, par courrier électronique :
Afficher en entierL’année scolaire suivante, en 2012-2013, nous avons gardé le même groupe d’enfants : initialement en première et deuxième année de maternelle, tous sont passés à la section supérieure. La classe se composait donc, pour cette deuxième année, d’enfants de moyenne et de grande sections de maternelle. Nous avons par ailleurs ajouté un troisième niveau en accueillant de nouveaux petits. La classe réunissait ainsi trois niveaux d’âge. Les résultats positifs se sont poursuivis avec une courbe de progression étonnante : les plus avancés entraînaient les autres, l’émulation entre les âges faisait naturellement son travail.
Afficher en entierLorsque j’ai découvert les écrits du Dr Montessori, ils m’ont rapidement passionnée justement pour cette démarche scientifique non dogmatique et évolutive. Ils étaient par ailleurs d’une justesse époustouflante, visionnaire, et profondément humaine. J’ai alors étudié quotidiennement pendant plus de sept années ses travaux, que j’ai enrichis de l’apport des connaissances scientifiques actuelles sur le développement humain et de la linguistique française.
Afficher en entierJe ne peux poursuivre sans préciser que ma démarche, qui s’appuie sur la connaissance des mécanismes naturels d’apprentissage, aussi novatrice puisse-t-elle sembler, reprend un flambeau allumé au XVIIIe siècle par le médecin Jean Itard5 dont les travaux ont été repris et poursuivis par son disciple Édouard Séguin. Les travaux de ce dernier ont à leur tour été développés par Maria Montessori qui rappelait souvent, à travers ses conférences, avoir repris le matériel didactique laissé en héritage par Séguin et l’avoir enrichi avec les apports de la psychologie expérimentale allemande. Ces trois médecins, appartenant à des générations différentes, ont donc, chacun à leur tour, enrichi les travaux de leur prédécesseur avec leur propre expérience et les connaissances scientifiques de leur époque. Maria Montessori créa ainsi en 1907 ce qu’elle appelait les « maisons des enfants », qui regroupaient une quarantaine d’enfants âgés de 3 à 6 ans : le principe pédagogique essentiel de ces lieux de vie et d’apprentissage était l’autonomie accompagnée et structurée. Les travaux du Dr Maria Montessori, qui résultent de ces multiples apports, sont aujourd’hui largement validés par la recherche scientifique.
Afficher en entierDeux ans après avoir été reçue au concours de professeur des écoles, j’obtenais donc le soutien du ministère de l’Éducation nationale, qui accepta de me donner une carte blanche pédagogique pendant trois ans à compter de septembre 2011, au sein d’une classe maternelle de Gennevilliers, en zone d’éducation prioritaire et « plan violence ». Le ministère m’autorisa et m’encouragea par ailleurs à réaliser des tests, à l’aide de partenaires scientifiques, pour évaluer les progrès des enfants.
Afficher en entierPour mener cette expérience, il me fallait entrer dans le système, et donc passer le concours de professeure des écoles, ce que je fis en 2009. « Mais, me demande-t-on souvent, comment avez-vous fait pour obtenir, si rapidement, un accord ministériel, avec carte blanche pédagogique, du matériel onéreux et un suivi scientifique annuel des enfants ? » Ma réponse est simple : parce que rien, absolument rien, n’aurait pu me faire dévier de mon objectif. L’indignation et la tristesse suscitées par ce gâchis des potentiels humains étaient trop profondes. Peu importe la nature des obstacles qui allaient se dresser devant moi, il était clair que j’allais tenter de les contourner, un par un. Qu’ils soient financiers, humains, hiérarchiques ou administratifs – il y avait forcément une solution. Les hasards surprenants de la vie m’ont également apporté une aide précieuse : je me suis quelques fois trouvée aux bons endroits aux bons moments, et dans ces situations, j’ai saisi ma chance sans hésiter. Et surtout, je n’avais rien à perdre, j’étais là pour essayer, je n’avais aucune carrière à protéger, je n’étais pas effrayée, par conséquent, à l’idée de court-circuiter l’échelle hiérarchique pour m’adresser directement à ses plus hautes instances.
Afficher en entierEn 2009, je pris la décision de vérifier mon intuition. Est-ce qu’un environnement adapté aux mécanismes naturels d’apprentissage réduirait les difficultés de tous, enfants et enseignants ? Pour répondre à cette question, il me fallait une classe. Puisque la recherche expliquait déjà clairement que les inégalités se construisent et se creusent dès le plus jeune âge, je souhaitais mener cette expérience en maternelle. Et, afin de contrecarrer l’argument tout à fait logique et recevable qui m’aurait été opposé si j’avais réalisé mon expérience au sein d’une structure privée – « Cela fonctionne seulement parce que les enfants ont été sélectionnés, ou viennent de milieux favorisés ; et les conditions ne sont pas celles de l’école publique » –, je décidai de la mettre en œuvre au sein d’une école publique située en zone d’éducation prioritaire (ZEP). Enfin, pour objectiver les résultats, je souhaitais un suivi scientifique annuel : les enfants passeraient chaque année des tests dits « étalonnés » qui permettraient de situer leurs progrès par rapport à la norme. Ainsi, si les résultats étaient ceux que j’espérais, plus d’excuses pour qui ne voudrait pas voir l’évidence.
Afficher en entierNous voulons qu’ils comprennent l’idée de liberté en leur imposant dès la maternelle nos propres volontés, et en évaluant leur capacité à y répondre. Nous les rendons dociles et soumis, et nous voudrions qu’ils se sentent libres ? Nous voulons qu’ils adhèrent à l’idée d’égalité mais nous leur imposons un des systèmes éducatifs les plus inégalitaires au monde, où les différences de niveau s’installent rapidement entre enfants : l’étude internationale Pisa, mesurant tous les trois ans les performances des différents systèmes éducatifs de l’OCDE, indique en effet en 2012 que « la France bat des records d’injustice. Que son école, prétendument pour tous, est d’abord faite pour une élite, mais se révèle incapable de faire réussir les moins privilégiés. Elle en est même de moins en moins capable », lit-on dans Le Monde le 3 décembre 20133.
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