Les Loups de Washington, Tome 3 : Mise en scène

« Le type debout prit sa boisson et s’en alla. Celui qui était assis sur le tabouret y resta quand la barmaid fit glisser un grand verre d’eau glacée vers lui.

De dos, j’essayai de le resituer.

Des cheveux bruns, des épaules larges, et une taille fine. Une mâchoire capable de couper du verre, à première vue.

La jeune recrue de tout à l’heure se glissa près de moi quand je m’approchai du bar, en s’éclaircissant la gorge. Le type sur son tabouret se tourna légèrement, et je n’eus qu’un aperçu de son profil quand il jeta un coup d’œil vers nous.

— Quoi de neuf, Rouquine ? s’informa la recrue qui gonfla à nouveau les pectoraux.

Oh bon sang, j’aimais tellement ces types originaux. Ceux qui décidaient qu’ils n’avaient pas besoin de me demander mon nom, mais préféraient à la place faire des remarques sur la couleur de mes cheveux en guise de formule de politesse.

En temps normal, je me serais réjouie de cette occasion de le réduire en miettes, métaphoriquement parlant, évidemment. Pourtant aujourd’hui, j’étais fatiguée.

Je posai mon verre vide sur le bar et soupirai.

— Un autre ? s’enquit la barmaid.

Je levai la main.

— Juste une seconde.

« Me tournant légèrement, j’appuyai le coude sur le bar et fis face à la recrue.

— Je m’appelle Paige, lui annonçai-je de la voix la plus douce et docile que je pouvais.

Il sourit.

— Je m’appelle Colt.

— Évidemment, murmurai-je.

Il fronça les sourcils, l’air confus. Je lui tapotai l’épaule.

— Colt, tu as l’air… gentil. Vraiment. Mais je suis trop vieille pour toi, crois-moi. Le moi d’il y a dix ans aurait été enchanté que tu m’abordes au bar en m’appelant « Rouquine ». Mais c’est juste que le moi de presque trente ans apprécie… vraiment qu’un homme me demande comment je m’appelle.

Son sourire resta figé sur son grand visage de benêt.

— Mais tu m’as déjà dit ton nom.

Le type à côté de moi soupira très fort, et ce son était si écœuré, saturé faisant écho à ma propre lassitude, que je faillis rire aux éclats.

— Oui, lui approuvai-je. Je sais. Ravie de te rencontrer, Colt.

Je me tournai vers le bar, risquant un regard vers le gars à côté de moi. Son profil aurait pu être taillé dans la roche tant il était révélateur. Il leva son verre d’eau et but une autre longue gorgée.

« Je ne savais pas ce que cela révélait de mon esprit, mais je ressentis un picotement de bonheur absurde en voyant qu’il m’ignorait complètement.

Bonjour Défi, je m’appelle Paige.

Alors que je me tenais là, j’entendis Colt s’éloigner.

— Je crois que vous lui avez brisé le cœur, déclara la barmaid avec un coup d’œil à l’endroit où Colt se tenait juste avant.

— J’en doute fort, répondis-je. C’est un joueur de football professionnel, dans la vingtaine. Je crois que son cœur s’en remettra avant la fin de la soirée.

— Un autre bourbon acide au citron et au romarin ? demanda-t-elle en essuyant la surface du bar avec des mouvements habiles.

La grande silhouette de l’homme assis à côté de moi remua légèrement, et j’inclinai la tête vers lui, espérant mieux voir son visage.

— Qu’est-ce qu’il boit ? l’interrogeai-je.

— Il a un nom, répondit-il de sa voix grave et grincheuse. Et après ce petit discours, tu ne te trouves pas un peu hypocrite de ne pas me l’avoir demandé ?

À la seconde où je l’entendis parler, son nom me revint en tête.

Évidemment.

On entendait rarement sa voix parce qu’il restait dans l’ombre, détestait la presse et était sans conteste l’un des meilleurs défenseurs du football professionnel. Un simple fan de football n’aurait pas la moindre idée de qui il était. Il pouvait sûrement traverser la moitié des villes d’Amérique sans être reconnu.

Néanmoins je la reconnus malgré tout. La première fois que je l’avais entendue, je m’étais dit que quelqu’un l’avait tirée des profondeurs de l’enfer, mais d’une manière vraiment super, super sexy.

« Avant de me tourner, je pris un tabouret et me perchai dessus. Puis je pivotai sur le côté pour le voir entièrement.

— Logan Ward, dis-je, savourant son léger sursaut de surprise en m’entendant prononcer son nom.

Il tourna les yeux dans ma direction, et bonté divine, ils étaient verts ! C’était une information que j’ignorais à son sujet, et cela me faisait plaisir, jusqu’aux tréfonds de mon âme en proie à l’ennui, de le découvrir.

— Tu vois ? Il n’y a pas d’hypocrites dans ce bar.

Il garda le silence et but simplement une autre gorgée d’eau.

Tout en moi me poussait à attendre, à le laisser être celui qui parlerait ensuite, mais franchement, je n’avais jamais été très douée pour écouter les voix dans ma tête qui tentaient de réfréner mes impulsions les plus irrationnelles.

— Tu crois que j’ai brisé le cœur de Colt ?

— Non.

— Tu crois qu’il se souviendra de ma leçon quand il s’approchera de la prochaine femme à qui il voudra parler ?

— Non.

Je ris.

— C’est dommage.

Finalement, Logan tourna suffisamment le menton pour être presque face à moi. Ça, c’était un visage dont un appareil photo tomberait amoureux. Une mâchoire forte, un nez droit, des[…] »

Extrait de

Mise en Scene (Les Loups de Washington t. 3) (French Edition)

Karla Sorensen

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