Les Loups Perdus, Tome 3 : Omega's Destiny

Nouvel extrait

Chapitre 1

L’assassin rencontre son double

Les ombres se rassemblèrent autour de Sasha. Il les serra contre lui, comme un manteau, et s’en délecta. Il pouvait se laisser couler en elles s’il le souhaitait et se changer en n’importe quoi.

Un loup.

Un homme.

Un couteau pour trancher la gorge de l’oméga assassin qui descendait le couloir devant lui.

Sasha maintint sa pulsion à distance. Il repoussa le pouvoir qui menaçait de le consumer et de ne rien laisser derrière lui à chaque fois qu’il l’utilisait. Il avait uniquement besoin des ombres pour le moment et le leur fit savoir dans leur étrange langue. Elles se hérissèrent d’excitation quand il s’adressa à elles, et ce doute, toujours le même, vacilla dans sa poitrine.

Devrait-il vraiment faire ça ?

La magie mordilla soudain ses orteils, mâchouillant les limites de son être. De son âme. Eh oui, c’était la bonne décision. Autrement, il ne resterait plus rien de lui, et le royaume de Maxim, la Moravie, serait sacrément dans la merde.

Elijah Kane, l’assassin en question, se rapprocha. Il se dirigeait vers sa chambre. Vers son compagnon.

Sasha essaya de s’habituer à cette idée pour la dixième fois. Ça ne marchait toujours pas. Sasha avait beau savoir que cet assassin, qui avait failli faire tuer Maxim, était en Moravie quand lui-même était arrivé, tout ça n’avait aucun sens. Même quand il était de l’autre côté du royaume, les ombres murmuraient à son oreille pendant son sommeil. Elles ne pouvaient pas se taire face à un si gros secret.

Maxim, l’alpha qui avait la capacité d’en vouloir à son propre compagnon, avait pardonné à Elijah Kane. Ou du moins, avait accepté de travailler avec lui. De plus, quelques heures plus tôt, les ombres avaient prévenu Elijah et son compagnon, un autre alpha qu’ils allaient bientôt partir.

Son estomac se noua. S’il voulait réellement l’aide de l’assassin (il ne la voulait pas, il en avait besoin), il devait agir maintenant.

La frontière vacilla. Elle maintenait tout juste la magie en place. Ce royaume de métamorphes ne devrait d’ailleurs plus avoir de magie du tout. La barrière serait tombée si Sasha et le précédent Ancien ne s’étaient pas mis rapidement au travail. Depuis, elle était morte, comme elle l’avait dit à Sasha, et lui avait laissé ce beau bordel entre les bras.

Malgré tout, ça restait une opportunité idéale pour régler son problème. Être mangé vivant par le pouvoir qui montait en lui n’était pas une façon agréable de partir. La solution pour corriger ça impliquait Maxim, un voyage dans le sud, et l’aide d’un assassin qui ne serait probablement pas conciliant.

Oui, tout ça semblait toujours plus inutilement compliqué à chaque fois que Sasha y repensait, néanmoins c’était son seul plan. Il devait faire avec. Sans parler du fait que c’était une des très rares fois où le compagnon d’Elijah, un alpha balourd qui ressemblait à peine à Maxim, mis à part pour ses cheveux auburn et ses yeux sombres n’était pas à ses côtés.

Elijah ralentit quand il approcha son alcôve. Ses chaussures sonnaient creux contre le sol dallé et les torches sur les murs vacillaient sous les courants d’air.

Sasha retint sa respiration.

Ce n’était pas comme se regarder dans un miroir, toutefois la ressemblance était évidente. Les cheveux de Sasha étaient marron foncé, ceux d’Elijah étaient presque noirs. Ses yeux étaient d’un bleu violet alors que ceux de l’assassin étaient d’un bleu gris pâle. Ils avaient tous deux un joli minois, presque beau, et une allure délicate. Les pommettes saillantes d’Elijah et la lueur sardonique dans son regard… Oui. Sasha savait ce que Maxim avait vu dans ce loup.

Pour l’instant, une barbe obscurcissait la majorité du visage de Sasha, mais il n’y pouvait rien. Le simple fait d’y penser lui donner envie de se gratter, cependant il risquait de briser sa couverture s’il le faisait.

Elijah portait les vêtements typiques de ce royaume – un pantalon en cuir et une longue tunique avec ses manches ridicules qui se débrouillaient toujours pour se mettre là où vous ne voulez pas qu’elles soient. En territoire humain, Sasha se rappelait qu’Elijah préférait les costumes de créateurs. Eh bien, c’était une chose qu’ils avaient en commun. Ces vêtements ancestraux ne manquaient pas à Sasha, d’où son jeans et son t-shirt.

Les ombres se tenaient près de lui, néanmoins elles ne pouvaient pas cacher son odeur. Aucun pouvoir au monde n’en était capable. Voilà sur quoi comptait Sasha – les sens et l’instinct d’Elijah Kane. Fidèle à lui-même, ce dernier renifla l’air et se figea. Il se tourna et scruta son coin sombre, comme s’il s’attendait à voir quelque chose derrière les ténèbres.

Sasha sourit à sa propre ingéniosité et avança d’un pas. Les ombres bougèrent avec lui et il les chassa. Du moins, il essaya, mais elles se collèrent à lui comme un vieux morceau de chewing-gum sous sa chaussure.

Elijah Kane le dévisagea, bouche bée, et sembla sur le point d’appeler un garde.

Il n’en fit rien. Au lieu de ça, il sortit un couteau de son fourreau et fonça vers Sasha qui avait enfin dit aux ombres de le laisser tranquille.

— Toi ! gronda Elijah, sa lame s’enfonçant dans la gorge de Sasha.

Ce dernier roula des yeux. Il serait facile de prendre l’avantage. Il se contenta d’afficher un sourire charmant et de lever les mains. Les ombres dansaient autour de ses doigts, s’entortillant comme un serpent en transe.

Les contrôlait-il ou le contrôlaient-elles ? Sasha n’en était plus très sûr. L’oméga en lui n’aidait rien. Il gémit et grattait, comme d’habitude, parce qu’il sentait l’emprise que son corps avait dessus. Plus maintenant. Sasha s’était libéré de ces chaînes longtemps plus tôt. Il lui aurait bien dit de se taire, cependant il serait passé pour un dingue.

— Elijah Kane ! Je ne t’ai pas revu depuis Alexandria, c’est ça ? Ça fait un bail.

Une partie de son cerveau, la partie vindicative, ne pouvait pas croire qu’il allait faire ça. Laisser vivre cet assassin qui avait blessé Maxim. Pour la seconde (ou troisième) fois. Pas seulement laisser vivre, mais aider. Non, ce n’était pas vraiment lui. C’était son pouvoir. Cette envie. C’est pour ça qu’il avait besoin d’Elijah et Maxim. Pour tout réparer.

Malgré tout, Elijah n’était pas le seul. Sasha avait également blessé Maxim, et vice versa. Le mélodrame de leurs vies ferait une série télévisée intéressante, si les humains aimaient les histoires sur les métamorphes. Sasha en doutait.

Elijah plissa les yeux.

— Que fiches-tu ici ?

— Je suis venu te voir. Enfin, plus ou moins. Je suis surtout là pour Maxim et moi. Selon son point de vue, je suis comme une première version de toi. Ne te l’avais-je pas dit ? J’ai peut-être oublié. Bon, vas-tu enlever ce couteau ou vais-je devoir me montrer créatif ?

À la grande surprise de Sasha, Elijah recula et grimaça. Il garda son arme en main.

— La première version de moi ? Ta vendetta contre moi impliquait Maxim depuis le début ?

Sasha essayait de faire de l’esprit, et Elijah ne comprenait pas. Il se gratta la joue et prit une inspiration.

— Voilà. Je sais que ce n’est pas évident, j’ai besoin de me raser, mais je n’ai pas le temps pour ça maintenant. Tu te rappelles de quoi j’avais l’air sans la barbe, n’est-ce pas ? On est semblables.

Elijah leva un sourcil.

— Je suis bien plus séduisant. Tu ressembles à un junkie qui vit dans la rue.

Sasha gloussa. Les ombres le pressaient de les relâcher. De les laisser déchirer et mettre en pièces… Non ! Il ne devrait vraiment pas tuer Elijah. Il s’était retenu auparavant – à peine – et pouvait recommencer.

— Aïe. Tu n’as pas tort. J’ai bien l’impression d’être un junkie vivant dans les rues. Écoute, j’ai besoin de ton aide, même si ça me fait mal de te le demander. Je pourrais toujours te menacer. Ou te tuer. Et crois-moi, j’ai vraiment envie de t’éliminer après ce que tu as fait à Max, cependant je ne le ferai pas. Je suis raisonnable. Je ne suis simplement pas très doué pour garder ce pouvoir sous contrôle. Et si ces ombres s’échappent de mes mains et t’étranglent parce que je n’ai pas fait attention, eh bien… tu peux imaginer. Ce ne serait pas bon pour toi. D’accord ?

Le poing d’Elijah se resserra sur le couteau et ses jointures blanchirent. Le rictus qu’il afficha ne s’accordait pas avec le battement de son cœur.

— Quoi que j’aie fait à Maxim, j’ai déjà payé ma dette. Je l’ai aidé à sauver son royaume, et je ne vais pas laisser un taré essayer de m’éliminer dans un couloir.

— Moi ? Taré ? Bonjour hôpital, je suis la charité. Ravi de te rencontrer, rétorqua Sasha.

Il se retint de lever le bras, évitant de provoquer un désastre. Pour Elijah, pas pour lui. Si les ombres coupaient la main de l’assassin, il ne voudrait certainement pas l’aider.

— Le royaume n’est pas sauvé. La barrière est maintenue en place par un fil des plus fragiles. Si elle s’effondre, tu sais ce qui arrivera.

Elijah le dévisagea et prit une inspiration.

— Les humains, les chasseurs et la mort. Néanmoins, tu sais très bien quel est mon métier et réparer des barrières magiques ne fait pas partie de mes attributions.

Les ombres tirèrent sur leurs rênes et Sasha serra les dents pour les retenir. Ne pas tuer quelqu’un ne lui avait pas demandé autant d’efforts depuis très longtemps.

— Tu peux faire d’autres choses. Allez, nous savons tous les deux que tu as de nombreux talents.

Des gonds grincèrent plus loin, suivis de bruits de pas. Une botte en cuir sur la pierre. Elijah se raidit, juste assez pour que Sasha le remarque, mais ne tourna pas la tête.

— Elijah ?

Le grondement d’un loup fit écho dans le couloir. L’alpha. Le compagnon d’Elijah.

Eh, bien. Sasha ne voulait pas faire ça avec un autre loup présent, parce que les alphas se montraient toujours beaucoup trop… « alpha ». Elijah serra la mâchoire.

— J’arrive dans une minute.

Trop tard. Les bruits de pas se rapprochèrent, calmes et implacables. Les ombres murmurèrent à l’oreille de Sasha des choses sur l’alpha (oh oui, des choses) qu’elles voulaient lui faire. Ça les rendait plus difficiles à contrôler. Cependant, si Sasha les chassait complètement et si elles le laissaient faire, il se retrouvait désarmé face à un assassin et un alpha.

Les torches se reflétèrent sur les cheveux du nouvel arrivant alors qu’il les rejoignait. Ses sourcils se froncèrent quand il remarqua les deux hommes se faisant face.

Elijah jeta un œil à son compagnon.

— Je t’ai dit que j’arrivais dans une minute.

Sasha fit un signe de la main moqueur. Les ombres bougèrent avec lui.

— Hello, toi. Tu aurais dû attendre dans la chambre. C’était supposé rester entre nous. Maintenant, l’équilibre entre les pouvoirs a changé. Pas bien.

— Pour qui ? demanda l’alpha, se tenant près d’Elijah.

Il était plus grand d’au moins une douzaine de centimètres. Ses épaules étaient larges et sa carrure musclée était parfaite pour leurs vêtements.

— Pour vous deux ! Écoute, j’ai besoin de son aide.

Le regard d’Elijah s’embrasa.

— La dernière fois que je t’ai croisé, tu as essayé de me tuer sans aucune raison. Et maintenant, tu prétends que ça a un rapport avec Maxim ?

Sasha sourit.

— Oh, Alexandria. C’était marrant. Et je n’ai pas vraiment essayé, sinon, tu serais mort.

Les ombres tentaient de mordiller l’alpha, elles voulaient juste une bouchée, mais Sasha resserra sa laisse. Il ancra ses pieds au sol et son regard passa d’un loup à l’autre. Les mains de l’alpha tressautaient. Il avait probablement envie de prendre une arme.

— Ça ne fera du bien à personne. Ce couteau non plus, Elijah. Tu le sais.

— Il vaudrait mieux m’expliquer ce qu’il se trame ici, dit l’alpha sans surprise, son loup se hérissa juste sous la surface.

Sasha pouvait le sentir. L’animal faisait les cent pas, prêt à bondir et sortir les griffes pour protéger son compagnon. L’oméga de Sasha avait les mêmes pulsions auparavant, cependant cette connexion avait été brisée depuis longtemps.

Sasha hocha la tête à Elijah, se montrant poli.

— Dis-lui.

Elijah prit une inspiration.

— Je ne sais pas qui il est.

Oh. Bien. Il n’avait jamais donné son nom ? Pas étonnant que l’assassin soit troublé.

— Sasha Volkov.

— Quoi ?

— Mon nom est Sasha Volkov. Je me rends compte que je ne me suis jamais vraiment présenté. À toi.

— Je suis Rowan, répondit l’alpha.

Il ne donna pas son nom de famille. Ce n’était pas très courtois, pourtant Sasha ne fit aucun commentaire. Elijah lui jeta un regard noir.

— Bon. J’ai rencontré Sasha pour la première fois à Amsterdam. Il m’a arrêté dans la rue et a essayé de me tuer avec une boule de feu. Je ne faisais que faire mon job et me suis retrouvé traqué par la police de la ville et des chasseurs.

— Vraiment ? demanda Sasha.

Les souvenirs de cette première fois étaient vagues. Amsterdam était une cité bien trop humaine à son goût, toutefois, la pointe de magie dans le sol, celle que seuls les métamorphes pouvaient sentir, l’y avait attiré. Il avait perçu un petit truc dans les lettres de Rembrandt et son tableau, La Ronde de nuit.

Tomber sur Elijah avait été un accident. Essayer de le tuer, non.

— Oui. J’ai pu terminer ma mission. Pas grâce à toi, déclara l’assassin. Je suis tombé à nouveau sur lui à Alexandria. Un autre boulot, sauf que cette fois, je l’ai retrouvé dans la grande bibliothèque, au milieu de métamorphes éviscérés. Tu me connais. Je ne tue que les gens qui le méritent. La plupart du temps.

Rowan les observa l’un et l’autre, et Sasha sentit le regard noir de l’alpha sur lui. Le jugeant. Exactement comme tout alpha le ferait.

— C’est toi qui avais fait ça ?

Sasha soupira.

— Oui. C’était une erreur. Un sort qui a mal tourné. J’étais toujours en apprentissage à ce moment. Mea culpa. Par contre, je ne suis pas certain que ça a un rapport avec tout ça. Il a pu s’enfuir les deux fois, ce qui est exaspérant. J’ai dû le faire exprès.

Rowan hocha la tête.

— Et que veux-tu maintenant ?

— Enfin ! Votre aide. Du moins, la sienne à lui.

— Pourquoi devrions-nous t’aider ? demanda Elijah.

Il rentra les épaules. Si les ombres attaquaient, répondrait-il ou s’enfuirait-il ? Sasha ne voulut pas tenter le diable.

— Parce que tu dois à Maxim de finir ce que tu as commencé, sauver son royaume.

Rowan prit une profonde inspiration et jeta un œil aux ombres.

— Très bien. De quoi as-tu besoin ?

On faisait des progrès !

— Un passeport, que Maxim pourra utiliser pour traverser les frontières sur le territoire humain. Un peu d’argent ne ferait pas de mal non plus. Pas énormément, juste assez pour un voyage dans le sud. En tant qu’assassin, je suis certain que tu sais où trouver ce genre de choses.

Elijah cligna des yeux.

— En quoi un passeport aiderait-il le royaume de Maxim ?

— Tant de questions ! C’est déjà assez difficile de m’empêcher de vous éventrer, et tu veux que je vous raconte tout ? Maintenant ?

— Non, répondit Rowan en posant une main sur l’épaule d’Elijah. Pourquoi des passeports ?

La tension évidente chez Elijah disparut sous ce contact, mais il ne dit rien.

— Nous partons en voyage. Je pourrais avoir besoin d’aide pour certains autres aspects de ce plan. Contentez-vous de me croire. C’est la seule façon de réparer la barrière. Ou bien voulez-vous que cette petite bataille avec le Boucher n’ait servi à rien ?

— Et où étais-tu pendant qu’on combattait ? gronda Elijah qui avança d’un pas.

Oh, les ombres n’aimèrent pas. Elles s’étaient battues pour bondir et déchirer – même poignarder. Sasha les avait presque laissées faire.

— J’essayais de construire une barrière temporaire pour que tout ne dérape pas au moment où l’Ancien est mort. Est-ce suffisant pour vous ?

— OK. C’est tout que tu voulais ? demanda Rowan, pressant l’épaule de son compagnon.

Les ombres rampèrent vers l’avant et Sasha les retint. Sombra en elles. Elles étaient plus faciles à contrôler quand il était à l’intérieur.

— Non. Elijah peut également convaincre Maxim de me pardonner.

— Que lui as-tu fait ? demanda l’assassin en levant le menton.

Une autre ombre passa sur le visage de Sasha.

— Je suis son compagnon, murmura-t-il avant de disparaître.

Sasha les laissa réfléchir seuls aux détails.

Il se déplaça dans les ténèbres jusqu’à être assez loin pour ne plus être englouti par le mélange de pouvoirs et l’instinct qui le poussait à venger son compagnon (ou ex-compagnon).

Quand les ombres le relâchèrent enfin, il tomba à genoux, pantelant. Il prit une profonde respiration, tremblante, et l’odeur de Maxim envahit ses narines.

Du musc, de l’encre et du parchemin.

Sasha cligna des yeux. Une chambre. Cette chambre.

Bien évidemment, les ombres avaient dû le guider jusque là. Même avec leur lien brisé, la magie savait ce qu’il voulait. Ce dont il avait besoin.

Dans les ténèbres, Sasha distingua une silhouette distincte sur le lit. Maxim se releva brusquement et regarda vers lui. Un couteau brillait dans sa main. La lame reflétait les rayons pâles de lune. D’un blanc argenté, ils passaient par une fente dans les rideaux et retombaient également sur le sol. Sasha serra les poings et eut l’impression qu’on lui avait obstrué la gorge avec des boules de coton. La barrière s’agita.

Bon sang !

Il n’avait pas complété le réseau qui la maintiendrait bien en place, cependant il avait eu besoin de retrouver Elijah avant de partir hors de portée. À présent que c’était fait, Sasha n’avait aucune raison de rester. Pas vraiment.

Malgré tout, ses pieds ne voulaient pas bouger. Le château entier pouvait lui tomber sur la tête, il demeurerait là, immobile. Recouvert de gravats et de poussière, ça aurait valu le coup parce qu’il aurait revu Maxim. À dire vrai, il n’avait jamais songé qu’il en aurait l’occasion.

Peut-être que ce royaume était effectivement son destin. C’était étrange comment Yue, la déesse de la Lune pour les métamorphes, fonctionnait. Sasha sourit dans les ténèbres.

— Je suis là, Max. Viens me chercher.

Maxim fit bruire les draps, mais Sasha s’évapora. Il se mut dans les ténèbres de la nuit et disparut pour terminer le travail qu’il avait commencé.

Sauver le royaume de Maxim et (avec un peu de chance) se sauver lui-même.

* * *

Dix Ans Plus Tôt

Sasha traversa la barrière, les pattes tachées de sang. La magie vrombit sur sa fourrure alors qu’il chancelait à l’intérieur, le cœur battant. Un goût cuivré lui emplit la bouche.

Plus de sang.

Il avait dû le faire malgré tout. Briser les lignes des chasseurs et entrer dans le territoire. Ou, plus précisément, le dernier sort qu’il avait appris en Valachie avait forcé la magie qui envahissait son corps à le faire. À arracher les gorges des chasseurs. À déchirer leur chair. Elle lui avait insufflé assez de puissance pour parvenir jusqu’ici.

En Moravie.

En vérité, il ne se souvenait pas vraiment de sa traversée. C’était probablement mieux ainsi. La dernière fois que le pouvoir avait pris le contrôle sur lui, ça n’avait pas été joli. Des ours étaient venus le traquer sa mère et lui parce qu’ils avaient entendu de quoi il était capable. Un oméga avec un pouvoir illimité ? C’était trop dangereux pour que les autres métamorphes l’acceptent.

Sa mère avait eu beau essayer de le protéger, il se rappelait nettement son visage épuisé dans son esprit, elle n’avait pas réussi. Elle n’avait même pas pu se sauver elle-même.

Quelque chose qui puait l’argent l’avait éraflé durant le combat avec les chasseurs, mais il n’avait déjà plus mal. Son pouvoir s’en chargeait. Cette magie était presque aussi innée que celle des métamorphes. Il ne la remarquait presque plus, même s’il guérissait plus vite que les autres. Bien plus vite.

Dommage, qu’il n’ait pas pu l’utiliser plus efficacement sur sa mère pendant qu’elle se vidait de son sang entre les mains des métamorphes qui le voyaient comme une menace. Six énormes ours qui avaient peur d’un oméga de douze ans possédant de multiples types de magie.

Sasha déglutit, cligna des yeux et avança. C’est pour ça qu’il gardait sa magie sous couvert. Ne jamais laisser quelqu’un savoir ce qu’il pouvait faire. De plus, ce n’était pas un mal que l’envie d’en apprendre plus le pousse vers l’avant.

Le pouvoir ici l’appelait. Connaissait son nom. Il bouillonnait et dansait sur chaque nerf de son corps, l’emplissait du désir d’avancer péniblement. Même la peur primale des Anciens n’empiétait pas sur lui. Pourtant, elle le devrait. Ils dirigeaient la zone, peu importait à qui appartenait le territoire.

Un loup, c’était tout ce qu’il savait. Le Roi Oo Reznik.

La Moravie avait la réputation d’avoir une bibliothèque avec des manuscrits uniques en leur genre ses livres de sorts appelaient Sasha. Il ferait ce qu’il avait toujours fait. Se dégoter un petit boulot dans le château. Se faufiler dans la bibliothèque et rassembler tous les sorts qu’il pourrait trouver avant de déguerpir.

1Il avait suivi le même chemin depuis que sa mère était morte. Sasha avait voyagé d’un lieu à l’autre, découvrant les connaissances et les sortilèges comme un homme affamé, tout en essayant de comprendre comment maîtriser cet étrange et terrible pouvoir. Car s’il n’arrivait pas à le contrôler, Sasha ferma les paupières, elle le dévorerait vivant.

La forêt s’agitait autour de lui. Bougeait. Ou plutôt, quelque chose y grouillait. Il tendit les oreilles. Observa les rayons tachetés du soleil qui filtraient à travers les branches des conifères au-dessus de lui. Les feuilles et les aiguilles craquaient sous ses pieds.

Deux loups émergèrent entre les arbres. Un marron, un blanc. Mâle et femelle. Des Anciens.

Sasha redressa les épaules et s’assit sur son arrière-train. La piqûre de leur magie titillait ses narines et il la lécha.

C’était rapide. Certains Anciens s’en fichaient. D’autres prenaient des initiatives. Un peu comme les métamorphes eux-mêmes. Après tout, n’en étaient-ils pas ? Ils étaient des versions améliorées, mais des métamorphes tout de même.

Ils glissaient l’un contre l’autre comme des poissons dans un étang, et le sol de la forêt craquait sous leurs pattes. La louve blanche aux yeux d’un bleu pâle et froid tourna autour de Sasha, alors que le mâle l’observa de son regard vert printanier lumineux. Des bulbes de plantes et fleurs sortaient de la fine couche de neige et des feuilles qui tapissaient le sol. D’une certaine façon ils arrivaient à les éviter.

La louve finit par abandonner sa fourrure. Une femme aux longs cheveux blond argenté, portant un manteau en poils blancs abimé sur les ourlets, se dressa devant lui.

Sasha la dévisagea et prit une profonde inspiration. Aucun Ancien ne s’était jamais transformé devant lui. Bon sang, il ignorait même qu’ils en étaient capables.

— Tu portes la Malédiction d’Ashina sur toi, mon enfant, dit-elle d’une voix aussi distante que Yue elle-même.

Sasha cligna des yeux et abandonna également sa forme de loup. Il n’avait jamais parlé à un Ancien auparavant. Si c’était sa seule chance, il allait la prendre. Il serait idiot de ne pas le faire. Les Anciens l’observèrent.

Sasha s’assit sur le sol froid, qui n’était pas gelé non plus. Il ne resta pas debout, ne souhaitant pas paraître impoli. Agacer un Ancien n’était pas le meilleur plan d’attaque.

— La Malédiction d’Ashina ? Qu’est-ce que c’est ? C’est pour ça que je suis comme ça ? Que suis-je supposé faire ? demanda Sasha avant de se débarrasser du sang entachant ses lèvres.

Il s’écaillait comme de la rouille.

Les Anciens échangèrent un regard qui sembla durer une heure. Ou une année. C’était dur à dire. La femme reprit enfin la parole.

— Va là où elle te guide. Elle t’a amenée ici pour te procurer plus de magie. Quand le temps sera venu, tu devras prendre une décision sur ce que tu veux faire avec tout le pouvoir que tu auras rassemblé. Bienvenue dans ta destinée, oméga.

Ça ne semblait pas particulièrement de mauvais augure, cependant un frisson parcourut l’échine de Sasha comme si c’était le cas.

— Quelle destinée ? La malédiction est ma destinée ? Qu’est-ce que ça signifie ?

Elle ne répondit pas, se contentant d’afficher un sourire fuyant, avant de disparaître dans la forêt avec son compagnon.

Le cœur de Sasha palpitait, les yeux rivés là où ils s’étaient trouvés. Il retint sa respiration et attendit. Ils ne revinrent pas.

La malédiction d’Ashina ? Il était le père de tous les loups métamorphes, celui qui s’était transformé en homme pour gagner le cœur de Yue. Au moins, il savait maintenant ce qu’il avait, même si ça n’avait pas beaucoup de sens.

Sasha finit par tourner les talons et se diriger vers le centre du territoire. Il lui fallut une semaine à pied pour atteindre le château, et deux jours de plus pour convaincre un métamorphe chat en charge des cuisines qu’ils avaient besoin d’engager un oméga. Malgré tout ça, les mots de l’Ancien restèrent gravés dans son esprit tout ce temps. Il gambergea un moment, les rumina, les sentit s’amasser dans ses tripes comme quelque chose d’épais et désagréable.

« Bienvenue dans ta destinée » ? Bordel, qu’est-ce que ça voulait dire ? Et quel genre de décision serait-il amené à faire un jour ?

Saletés d’Anciens ! S’ils désiraient vraiment apporter leur aide, ils pourraient se montrer moins vagues et mystiques.

Puis, un jour comme les autres, la terrifiante cloche du château sonna trois fois de suite. Sasha l’ignora au début, cependant les serviteurs autour de lui se figèrent sur place et échangèrent des regards inquiets.

Sasha fronça les sourcils vers son balai. Si jamais ça l’empêchait d’infiltrer cette satanée bibliothèque…

— Le Roi est mort, annonça le chat.

Son visage habituellement rougeaud pâlit.

— Remettez-vous au travail.

Ce serait suffisant.

Il se renfrogna en poussant son seau dans le couloir. La bibliothèque était si proche. Il avait mis les pieds dans un royaume avec un seigneur qui venait de mourir. Qui savait quel genre de troubles intérieurs pouvaient survenir jusqu’à ce qu’un autre alpha prenne sa place ? Toutes ses pensées flottèrent dans son esprit comme une envolée de moineaux.

Son balai trempant dans le seau, il espionna un jeune homme bien habillé, à peu près son âge, se précipiter hors de la bibliothèque, un livre pressé sur sa poitrine. Des cheveux auburn encadraient le visage du loup, et ses yeux noirs d’encre s’agrandissaient d’inquiétude. Il dépassait Sasha de plusieurs centimètres, tout en restant véloce et gracieux. Clairement un alpha.

Sasha sentit la bête à l’intérieur de lui, faisant les cent pas et griffant pour qu’on le libère.

— Prince Maxim, par ici ! appela un autre loup.

Le jeune homme se tourna vers lui et le rejoignit.

Sasha le regarda partir.

Prince ?

Bienvenue dans sa destinée, en effet.