Les matins de Jénine

Je passais de l'attraction à la répulsion pour la vie que je menais aux États-Unis. Un sentiment de honte sous-jacent me persuadait que j'avais trahi ma famille et, pire encore, que je m'étais trahie moi-même. Je ne m'en tenais pas moins aux moeurs de l'Amérique, je souscrivais à ses chères libertés et me blindais contre les assauts de culpabilité.

Pourtant, certains évènements me poussaient à prendre conscience du gouffre qui me séparait des autres lors du problème de toilettes qui valut son surnom à notre maison, la perturbation me rappela les fois où, à Jénine, les égouts de notre camp débordaient et où, à quatre pattes, nous bouchions à l'aide de vieux habits et de serviettes les canalisations de nos maisons. Si abominables qu'étaient ces expériences et le nettoyage ultérieur Houda et moi ne pouvions réprimer notre joie à l'idée d'être autorisées à dormir sur le toit pour échapper à l'odeur nauséabonde. D'autres enfants faisaient de même, et nous emplissions l'air de nos appels, plaisanteries, gloussements de petits réfugiés. Alors emplis de rêves et d'espoirs naïfs, nous ignorions, par bonheur, que nous étions les ordures du monde, livrées à leur détresse et leurs excréments. Là-haut, sur les toits, nous murmurions nos souhaits et nos secrets au ciel méditerranéen étoilé. Avant la guerre de 1967, il n'y avait pas de soldats. Nos désirs étaient simples, mais ils n'auraient pas pu être plus difficile à satisfaire. Nous souhaitions retourner à Ein Hod. Nous imaginions que c'était le paradis.

Ces nuits paisibles passées sur le toit baignait dans l'innocence. L'appel à la prière du soir était notre couverture, et Houda et moi nous endormions dans une étreinte de petites filles. A l'aube, Baba me lisait le livre qu'il avait choisi. Le flot puant, luisant, dévalant les ruelles n'était pour nous qu'un désagrément passager qui nous valait d'échapper délicieusement au quotidien