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Non qu’Irena n’éprouve plus rien pour son mari, à qui elle conserve toute son affection, mais la passion l’entraîne ailleurs. C’est quand elle œuvre au centre de protection maternelle et infantile que l’existence d’Irena prend tout son sens. « Chacun, ici, se dévouait à sa tâche et s’efforçait de remplir sa mission au mieux : tout ce qu’on m’avait enseigné semblait utile. » Elle rencontre aussi chaque jour de nouveaux amis intéressants parmi les étudiants et les collaborateurs de Mme Radlińska. « Le cadre de travail était très sympathique et les gens aussi. » Elle fréquente notamment Adam avec assiduité.
Afficher en entierEn tout cas, un avenir à deux leur est interdit. Son amour d’adolescence, la vie de Mietek, les liens profonds noués entre leurs familles deviennent comme un joug pour Irena. Adam, lui, est un coup de cœur. Une jeune femme sérieuse ne rompt pas avec un jeune homme bien comme Mietek simplement parce qu’elle traverse une période de doutes et d’incertitudes. Son sens du devoir finit par faire taire ses hésitations. D’ailleurs, Adam lui-même est déjà pris, et donc bien placé pour accepter les réticences d’Irena. Comme l’exigeait sa famille, il a épousé selon le rite traditionnel une jeune fille juive qui fut leur condisciple à l’université et qui est aussi une amie d’Irena.
Afficher en entierComme son cabinet, la maison du Dr Krzyżanowski est ouverte à tous. Janina, accessible et chaleureuse, adore la vie sociale. Son mari et elle sont ravis que leur petite Irena sympathise avec les enfants de familles juives où elle est toujours la bienvenue. Dès ses six ans, la fillette parle couramment le yiddish et passe le plus clair de son temps à jouer à cache-cache ou au ballon avec ses petits amis. Elle a l’habitude de voir des femmes juives en fichus bigarrés et sait que l’arôme du pain chaud au cumin est bien souvent synonyme de goûter délicieux. « J’ai grandi avec ces gens, confiera plus tard Irena. Leur culture et leurs traditions ne m’étaient pas étrangères. »
Afficher en entierPourtant, Irena est bel et bien terrorisée, glacée jusqu’aux os. À l’automne 1943, en Pologne occupée et peut-être dans toute l’Europe en guerre, il n’y a guère d’adresse plus terrifiante que l’avenue Szucha, siège du quartier général de la Gestapo à Varsovie. La rebutante façade du bâtiment reflète fidèlement ce qui s’y passe tous les jours. À l’intérieur, les couloirs résonnent des hurlements des visiteurs « interrogés ». Pour ceux qui en sortent vivants, le souvenir des miasmes fétides qui empestent les lieux, mêlés de peur et d’urine, reste gravé pour longtemps dans la mémoire. Deux fois par jour, juste avant midi et en début de soirée, des camionnettes noires viennent chercher les corps meurtris et disloqués pour les ramener dans leurs cellules de la prison de Pawiak.
Afficher en entierContrairement à Varsovie, Cracovie, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a échappé aux bombardements et à l’anéantissement. L’empreinte du catholicisme y demeure omniprésente, notamment dans l’architecture de la vieille ville : la cité, magnifique, a su préserver çà et là son ambiance médiévale. Mais l’atmosphère du quartier juif historique de Kazimierz reste probablement sans équivalent à Cracovie. Les touristes y viennent en pèlerinage découvrir l’usine d’Oskar Schindler et les ruelles sinueuses où Steven Spielberg tourna certaines scènes de La Liste de Schindler. De fait, si vous voulez vous faire une idée de ce à quoi ressemblait le ghetto de Varsovie dans les années 1940, rien ne sert d’aller dans la capitale polonaise. Il n’en subsiste qu’une infime portion, le ghetto ayant presque entièrement été détruit au printemps 1943. Après l’insurrection de Varsovie, un peu plus d’un an plus tard, le reste de la ville a lui aussi été rasé et seuls 10 % des bâtiments ont survécu. Dans son ensemble, Varsovie est une métropole moderne.
Afficher en entierAprès l’avoir allongée dans une caisse à outils en bois, Irena l’enveloppe fermement dans une couverture, en s’assurant qu’elle a assez d’air pour respirer, puis elle referme le couvercle et fait pivoter le petit crochet de sécurité. Une fois dehors, Henryk glisse adroitement la caisse entre deux piles de briques entassées sur la plate-forme de son camion. Grâce à son patron, la dernière recrue du réseau dispose d’un laissez-passer. Irena s’installe sur le siège passager, Henryk lui adresse un sourire crispé et le véhicule démarre péniblement. La jeune femme s’inquiète à l’idée que les tas de briques puissent s’effondrer sur la caisse à outils.
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