Extraits

Un blanc brouillard emplissait les gorges et les vallées des Montagnes Grises. Les sommets de la Grande Lame, de la Langue-du-Dragon et des autres monts s’obstinaient à se dresser hors de la brume et s’étiraient en direction du soleil couchant.

Hésitant, comme s’il craignait ces rochers abrupts et escarpés, l’astre descendait, éclairant de sa faiblissante lumière rouge le col du Septentrion.

Glandallin du clan des Coups-de-Marteau s’appuya, haletant, contre la paroi grossièrement taillée de la tour de guet et mit sa main droite au-dessus de ses sourcils noirs broussailleux afin de protéger ses yeux de cette clarté à laquelle il n’était pas habitué. L’ascension avait mis le Nain hors d’haleine, et le poids de la dense cotte de mailles, des deux haches et du bouclier se faisait lourdement sentir sur ses jambes déjà chargées d’années.

Il était inutile d’espérer confier cette tâche à un plus jeune que lui. Car c’était lui le plus jeune, désormais.

La bataille qu’avaient dû livrer ensemble les neuf clans de la Cinquième Maison quelques jours auparavant avait coûté de nombreuses vies. La Mort s’était surtout emparée des jeunes, des inexpérimentés. Mais leur sacrifice n’avait pas été vain : le nouvel ennemi avait été anéanti.

Non sans souffrances, Glandallin se redressa pour regarder en direction des battants de granit. Il espérait voir la dernière rangée de Nains résister et contenir la poussée ennemie.

Mais cet espoir était vain. Il était le dernier survivant, les autres Nains gisaient morts et atrocement mutilés, cernés par les innombrables cadavres des ennemis qu’ils avaient abattus. Les diamants de la ceinture de Giselbart scintillaient toujours autant, indiquant l’endroit où le chef de leur tribu était tombé face à trois Ogres. Cette vision emplit Glandallin d’une insupportable tristesse et d’une fierté obstinée à la fois.

Entre-temps, le portail s’était presque complètement refermé. Huit Ogres s’arc-boutaient désespérément contre les portes pour les empêcher de se verrouiller de nouveau. Mais les plantes de leurs pieds cornés dérapaient sur le sol rocailleux. Même leur force hors du commun ne pouvait rien contre la magie du dieu Vraccas. Les quelques monstres qui avaient réussi à pénétrer dans le Pays Sûr ne représentaient certainement pas un bien grand danger pour les Humains, les Elfes, les Mages et toutes les autres créatures qui y vivaient.

Le soleil du matin monta au-dessus de la crête des montagnes qui dominaient le passage de Pierre, aveuglant Glandallin. Celui-ci mit sa main en visière au-dessus de ses yeux sensibles pour s’assurer que la Porte était bel et bien close.

Nous avons réussi, Vraccas, pensa-t-il, soulagé, lorsqu’une violente douleur lui vrilla le dos. Une fine pointe de lame dépassa de sa poitrine le temps de quelques battements de cils avant d’être retirée. Il en eut le souffle coupé.