Les Os de la vérité

Pendant que je récurais les casseroles, Linda a retiré du réfrigérateur de la nourriture couverte d’irisations. J’ai dû relaver certaines assiettes parce que je la regardais au lieu de faire attention à ce que je faisais. La lumière froide du réfrigérateur qui pétillait dans ses yeux chauds et marron et luisait dans ses cheveux me donnait des démangeaisons. Ses belles rides donnaient à son visage des airs de peausserie de luxe et, par endroits, ses cheveux semblaient avoir été teints en gris à dessein. Je ne me souvenais pas qu’elle avait les cheveux aussi longs, je n’y avais guère prêté attention quand elle était ici, et elle remplissait son pantalon noir et son corsage blanc avec une mûre abondance, mais aussi une fière fermeté. Ses nichons étaient peut-être tombés un brin mais ça leur donnait un air plus confortable là où ils étaient, que perchés en haut d’une falaise à leurs risques et périls. D’une certaine manière elle paraissait moins maigre que par le passé, mais j’aurais juré qu’elle faisait toujours le même poids, cinquante-trois kilos. Elle m’avait manqué, je m’en rendais compte, et il me tardait de finir de tout nettoyer pour le lui prouver. Les couverts étaient encore plus encroûtés que les assiettes.

Elle a mis le nez dans le bac à légumes. Elle avait encore plus de cran que moi pour oser y jeter un œil. Et la grande question d’Achab ? a-t-elle demandé.