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Le premier signe qui trahit la présence de la propriétaire lorsque nous ouvrîmes la porte pour notre « visite de couple » furent les réprimandes que je l’entendis lancer à sa fille. Scrutant l’autre bout du couloir, je vis qu’elle était blonde, comme moi, et que nous avions à peu près le même âge et la même morphologie. Elle rouspétait : « Leda, si tu manges quelque chose, proposes-en aux autres personnes avant de te servir ! » Elle faisait apparemment référence à son agente, une femme forte aux cheveux ras et roux que j’avais aperçue en coup de vent lors de ma visite précédente, et qui, à l’instant, se dressait entre la famille et nous tel un pitbull affublé de bijoux Jean Schlumberger. Bagues et bracelets étincelants, elle tenta littéralement de me barrer la voie lorsque je m’approchai de la propriétaire, qui me tendait la main, sourire affable aux lèvres, pour se présenter. « Enchantée, Allie », dit-elle, à la fois polie et préoccupée, un ton et une attitude que je commençais à connaître, à force de croiser des femmes de l’Upper East Side dans la rue ou chez elles. Apparemment, Allie tenait à voir de ses propres yeux la ou les personnes qui se proposaient d’acquérir l’espace qu’elle cherchait à vendre, et je me félicitai de m’être mise sur mon trente et un, toutes proportions gardées, bien sûr... Sa tenue à elle était d’une élégance très chic : corsaire noir très seyant, chemisier lavande moulant, pieds nus pédicurés aux ongles rose pâle brillants. À ce que je voyais, elle avait fait appel à une maquilleuse et une visagiste personnelle. Et on n’était que mercredi. « Et voici Sharon », poursuivit Allie, avant que l’agente m’offre une main molle, regardant à travers moi comme si j’étais transparente. « Bonjour. Nous nous sommes déjà rencontrées », risquai-je, d’une voix que j’espérais agréable.
J’avais déjà vu des agentes se montrer ouvertement surprotectrices envers leurs clientes et étonnamment hostiles à l’égard d’un acquéreur potentiel. Comme j’avais fini par le comprendre, les agentes « côté vendeur » étaient les chaperonnes autoproclamées des familles en transition, les guides qui les épaulaient lors de cette phase liminaire où elles passaient du statut de propriétaires à celui de vendeurs, puis à celui d’acheteurs puis à celui de propriétaires à nouveau. Les agentes voulaient être présentes à tous les niveaux pendant ces transitions, car c’étaient aussi des transactions conséquentes avec de généreuses commissions à la clé. Elles étaient pétrifiées à l’idée que le moindre grain de sable (le contact entre une propriétaire et une acquéreuse potentielle, par exemple) puisse enrayer l’engrenage d’une affaire en cours. Et qu’on les évince. Mais il y avait autre chose, quelque chose de plus singulier entre les agentes et leurs clientes de l’Upper East Side, et j’allais en être témoin à l’instant. Allie m’annonça qu’elle devait s’absenter pour aller voir ce que trafiquait sa fille, qui s’était éclipsée en direction de sa chambre. Je me tournai vers Sharon et, par politesse, lui demandai quel âge avait Leda.
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