Extraits

En présence de la sorcière des mers, l’instinct de toute créature marine la poussait à nager comme si elle était poursuivie par un requin ou un humain brandissant un harpon.

Le repère de la sorcière des mers était situé plus en profondeur que le royaume. Il n’y avait pas une seule créature vivante qui ne s’était pas échappée dans sa jeunesse pour prouver son courage en s’approchant aussi près qu’elle l’osait du repère de la sorcière.

– Les humains sont dangereux pour nous. Notre peuple avait l’habitude de faire du commerce et d’interagir avec eux, mais lorsque nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions coexister, nous nous sommes séparés en paix. Maintenant, les humains qui sont au courant pour nous tentent de nous chasser.

Sans plus y réfléchir, je me précipitai dehors. Je fourrai la coquille dans ma poche, puis effleurai la surface de l’eau en murmurant son prénom, avec plus de confiance que la veille cette fois.

Voilà. C’était fait. Combien de temps étais-je supposé attendre maintenant ? Quelques minutes ? Une heure ? Dommage que nous ne puissions pas nous envoyer de messages ou…

La surface ondula et, une seconde plus tard, sa silhouette apparut. Je laissai échapper un hoquet, ma mâchoire se décrochant. Pourquoi étais-je si surpris qu’il soit réel ? Je l’avais vu la veille, pour l’amour de Dieu ! En chair et en os. Ou en écailles. Peu importait. Je l’avais vu.

Mais curieusement, le voir briser la surface calme, les gouttelettes ruisselant sur sa peau argentée, ses nageoires bleutées et ses cheveux noirs…

À la réflexion, ce n’était peut-être pas de l’étonnement. Peut-être que c’était plus un « sérieusement, dites-moi que les créatures marines peuvent s’envoyer en l’air », qui me fit me demander de nouveau si je ne m’étais pas cogné la tête plus fort que je ne le pensais, l’autre jour.

Le front de Lir se plissa et il pencha la tête sur le côté. Seigneur, il ne comprenait pas. Il n’en avait aucune idée. Brusquement, je lui enviai cette confusion. Il semblait carrément déconcerté qu’une personne puisse être tuée à cause de son orientation sexuelle. Pas sous le choc, comme Joan et Haley, parce que ça les touchait de trop près, mais sincèrement dérouté, comme si je venais de lui annoncer que ma voiture avait soudain pris vie et qu’elle avait tenté de m’assassiner.

Le premier bus fut prêt à repartir et les personnes âgées commencèrent à embarquer afin d’arriver en ville à temps pour une excursion d’observation des baleines. Je n’étais pas certain que cela ait été une sage décision de bourrer tout le monde de homards et de sauce au beurre avant de les faire monter dans un bateau pour rejoindre la pleine mer, mais tant que ce n’était pas moi qui devais éponger les résultats de cette décision, ça ne me regardait pas.

— Pourquoi diable avoir des sentiments pour un homme que je ne peux pas avoir ?

— Oh, chéri, susurra-t-elle en me tapotant la main. La moitié des œuvres d’art et de la littérature – sans parler de la musique populaire – que nous avons existe parce que quelqu’un désirait quelque chose qu’il ne pouvait pas avoir.

— Oui, mais, au moins, il se languissait d’une personne de la même espèce, contrai-je. Il m’est littéralement impossible d’être avec Lir, parce qu’il est incapable de respirer plus de quelques minutes sur terre et que je me noierais ou mourrais d’hypothermie dans l’eau. Joan sembla réfléchir, puis elle haussa les épaules.

— Ça ferait une meilleure histoire que Twilight.

Je ricanai, et elle éclata de rire, me frappant l’épaule.

— Je crois que j’ai… euh… développé des sentiments pour cet homme.

À un certain niveau, je m’attendais à ce qu’elle fronce le nez et suggère qu’être attiré par un triton était comme être attiré par un poisson. Ou peut-être qu’elle me frappe sur la tête, m’ordonne de redescendre sur terre et me suggère d’aller sur Tinder, comme un type normal, et de trouver un humain avec qui coucher.

Au lieu de cela, un sourire entendu étira ses lèvres.

— Tomber amoureux du héros triton. Comme c’est mignon.

Je n’eus pas besoin de vérifier dans une surface réfléchissante pour deviner que mon visage était plus rouge qu’un homard bouilli.

— Ouais, ouais.

Je gardai le silence un long moment, me laissant le temps de tout assimiler. Avec quelle facilité j’aurais pu mourir dans les eaux glaciales de l’Atlantique. À quelle vitesse j’étais passé de « les créatures marines sont des mythes » à accepter que l’un d’eux existe suffisamment pour me sauver les miches du danger, sans parler de me donner des putains de branchies afin que je ne me noie pas. Ce que j’aurais aimé, dans tout ce chaos, mieux regarder son visage !

Certains parmi le peuple sous-marin pensaient que les Terrestres étaient des créatures hideuses, avec leurs jambes étranges et leur absence de branchies et de nageoires. D’autres disaient qu’ils étaient beaux à leur manière, tout comme nous trouvions beaux les requins et les tempêtes… à admirer de loin sans jamais les toucher. Certainement pas… les toucher.

De temps en temps, cependant, quelqu’un prononçait à voix haute les mots tabous – que si la chance leur en était donnée, ils s’uniraient avec une personne terrestre extraordinairement belle. Il y en avait même certains qui affirmaient l’avoir fait, même si Neptune seul savait comment ils s’y prenaient. Où mettaient-ils leur… peu importe. Je n’en avais aucune idée. Je n’avais jamais pensé à une personne terrestre de cette manière.