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N'arrête d'écrire que quand tu sais comment l'histoire continue. Rappelle-toi qu'on peut écrire d'excellents romans avec des mots à vingt dollars, mais ce qui est méritoire c'est de les écrire avec des mots à vingt cents. N'oublie jamais que ton métier n'est qu'une partie de ton destin. Une raie de moins ne change pas la peau du tigre, mais un mot de trop tue n'importe quelle histoire. La tristesse se résout dans un bar, jamais dans la littérature.
[Papa Hemingway]
Afficher en entierEn mai dernier j'étais à Pietrasanta et j'ai vécu la commotion provoquée par la mort de deux cavatori. Ils ont péri sous un bloc de marbre qui s'est détaché de la carrière sans leur donner le temps de réagir. La région de Carrare prend entre six et huit vies de cavatori par an. Pendant les obsèques, le seul artiste présent a dit que ces deux cavatori étaient des martyrs qui étaient morts pour l'art. Mais un des travailleurs a craché le toscano qui pendait de ses lèvres et précisé : non, ils sont morts parce qu'il n'y a pas assez de mesures de sécurité, ils sont morts pour un salaire de merde.
Et une fois de plus j'ai constaté que la vérité des gens simples valait plus que toutes les vérités de l'art.
Décidément, les filles et les garçons de Pietrasanta m'intéressent beaucoup, ces marbriers qui, sachant que leur vie sera brève, parce que la poussière de marbre est une malédiction blanche qui pétrifie leurs poumons, continuent pourtant de perpétuer la formidable tradition humaine de la beauté et de l'harmonie.
Si j'étais sculpteur et qu'on me commandait une statue d'Alexandre le Grand, au pied de celle-ci ma signature serait la dernière. Viendraient d'abord les noms des cavatori qui auraient choisi, découpé et descendu le marbre de la montagne. Puis les noms des marbriers qui lui auraient donné forme, suivis des noms de ceux qui auraient préparé le lard, apporté le romarin, et ceux des boulangers et des vendangeurs du vin frais de Toscane.
Lectrice, lecteur, quand tu regarderas une statue sculptée dans le marbre de Carrare, pense aux cacatori et aux marbriers de Pietrasanta. Pense à eux et salue leur digne anonymat.
Afficher en entier1988 fut déclarée année des océans par pure convention. Parce qu'il fallait célébrer quelque chose. Elle aurait pu aussi bien s'appeler année des forêts, et celles-ci auraient continué à brûler, à disparaître de la planète dans la totale indifférence de gouvernements négligents signataires de traités de protection et de développement des forêts. Elle aurait pu aussi s'appeler année de l'atmosphère, et les pays industrialisés n'auraient pas pour autant interrompu les émanations qui trouent la couche d'ozone et sont responsables du réchauffement de la croûte terrestre.
Afficher en entierBergen Belsen n'est certes pas un lieu de promenade, car le poids de l'infamie y est oppressant, et à l'angoissante question « Qu'est-ce que je peux faire, moi, pour que cela ne se reproduise pas ? » répond le désir de connaître et de raconter l'histoire de chacune des victimes, de s'accrocher à la parole comme unique conjura tion contre l'oubli, de raconter, de nommer les faits glorieux ou insignifiants de nos pères, les amours, les enfants, les voisins, les amis, de faire de la vie une méthode de résistance contre l'oubli, car, comme le soulignait le poète Guimarães Rosa, raconter c'est résister.
[Histoires marginales]
Afficher en entierJ’admire les résistants, ceux qui ont fait du verbe ‘résister’ chair, sueur, sang, et ont démontré sans faire de simagrées qu’il est possible de vivre debout, même dans les pires moments.
Afficher en entierÉvidemment il n’existe pas d’inventaire des scooters des mers ou des embarcations sportives, rapides, criminels rapides, qui fendent tous les jours les eaux de la Méditerranée. Il y a pourtant des rapports, quoique succincts, qui font état de collisions avec des dauphins déchiquetés par les hélices, des témoignages de centaines de pêcheurs qui, à bord de leurs bateaux lents, ont dû assister impassibles aux jeux que quelques crétins argentés se permettent avec les cétacés qui passent devant leurs embarcations sportives.
Afficher en entier« Il y a des hommes qui luttent toute leur vie : ceux-là sont indispensables. »
Afficher en entierQuatre mille Lapons, hommes et femmes, accomplirent cet exploit. Ils travaillèrent par des températures de moins cinquante, résistèrent aux maladies, aux attaques des ours, des loups, et furent victimes d’accidents qui tuèrent plus de la moitié d’entre eux. Leurs corps, d’abord enterrés le long des voies, furent réunis des années plus tard dans le cimetière ferroviaire de Tomeham, à la frontière suédo-norvégienne. Et devant ce monument, comme Romain Gary, je lance : « Gloire aux illustres pionniers !
Afficher en entierIl fait un froid douloureux. Moins vingt-huit, mais les vêtements thermiques loués à Stockholm sont efficaces, et je me mets à marcher en quête de deux souvenirs
Afficher en entierEn 1980, seuls deux mille trois cents des quinze mille Lapons se consacraient à l’élevage des rennes. Après la catastrophe de Tchernobyl, ils furent moins de mille cinq cents, car les radiations contaminèrent, outre les êtres humains, une grande partie des troupeaux. August Strindberg aurait pu répéter : Det är synd om människorna (quel malheur pour l’humanité)
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