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PROLOGUE
Je m’étais promis d’être une de ces vieilles dames du Sud qui parlent à leurs plants de tomates et achètent des tricots pour leurs chats. Je venais de fêter mes trente ans, mais j’avais déjà fait le point et envisagé mon avenir. Je savais donc que je serais délibérément excentrique, que je mettrais du rouge à lèvres trop rouge, que je raconterais des histoires à faire honte à toute la famille, et que les gens diraient : « Elle a toujours été un peu farfelue, si vous voyez ce que je veux dire. »
Ils n’en comprendraient pas les raisons, et je me garderais bien de les leur donner. Je m’imaginais, installée dans un rocking-chair sur la véranda d’une maison de retraite pour journalistes décrépits, me saoulant au whisky-Coca et pleurant Roan Sullivan. La dernière fois que je l’avais vu, j’avais tout juste dix ans, lui quinze. Vingt années s’étaient écoulées depuis, pourtant je ne l’avais jamais oublié, et je savais que je ne l’oublierais jamais.
— J’espère que tout sourit à Roanie, disait maman de temps à autre.
Papa acquiesçait, et ils changeaient de sujet. Ils se sentaient coupables du rôle qu’ils avaient joué dans cette affaire. Ils savaient que jamais je ne leur pardonnerais d’avoir éloigné Roan.
Mes deux grands frères. Josh et Brady, n’en parlaient jamais. À l’époque, ils étaient à l’université. Mes deux autres frères l’évoquaient chaque fois qu’ils revenaient de la chasse avec une pièce de choix.
— Ce n’est rien comparé au cerf que Roan Sullivan a tué quand on était mômes, disait invariablement Evan à Hop.
Pour mes parents, Roan n’était qu’une image ternie dans le miroir de leurs préjugés, de leurs regrets et de leurs sympathies. Le souvenir qu’ils avaient de lui dépendait de la façon dont ils se considéraient eux-mêmes en ce temps-là. Et ils avaient préféré oublier.
Lui et moi faisions partie intégrante du paysage local, et notre histoire dans une petite communauté de Géorgie isolée au pied des montagnes, où l’on chérit autant les romances tristes que la vaisselle en porcelaine de l’arrière-grand-mère, était restée un événement à la fois triste et tragique.
Ce qui s’était passé entre Roan Sullivan et moi avait changé ma vie et celle de ma famille. À cause de lui, nous nous étions vus tels que nous étions : bons et cruels. J’avais tenté de le sauver, et c’est l’inverse qui s’était produit. Peut-être était-il mort depuis vingt ans ? Je n’en savais rien mais j’étais sûre que la boucle était bouclée, que j’attendrais toujours son retour.
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