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Extrait

Extrait ajouté par siegrid 2012-02-12T19:49:40+01:00

I

La maison forestière

La buée opacifiait les carreaux de l’unique fenêtre. La pièce tout entière baignait dans les vapeurs de lessive au parfum d’iris qu’Élise glissait dans le linge, pour l’avoir vu faire tant de fois par sa mère.

Posée sur un trépied sous lequel rougeoyaient des braises encore ardentes, une grosse bassine, débordante de bouillonnement mousseux, requérait tous les soins de la jeune fille, silhouette gracile et d’apparence juvénile malgré le début de voussure qu’accusaient ses épaules trop souvent sollicitées. Tout son corps dénonçait la lassitude, son regard une sorte de désespérance haineuse, sa bouche crispée et déjà encadrée de rides d’amertume l’âpreté de sa vie.

Un soupir s’exhala de sa maigre poitrine, qu’elle ne chercha pas à réprimer, pas plus qu’elle ne prenait garde aux mèches folles échappées de son bonnet de percaline qui se plaquaient à son front et dans son cou en sueur. Elle écopait l’eau qui clapotait sur les bords du récipient et la reversait en son milieu, sur la couche de cendres de hêtre qui se dissolvait sur le linge.

Assis à la grande table qui occupait le centre de la pièce, un garçonnet ânonnait une récitation :

— Autour du toit qui nous vit naître, un pampre étalait ses rameaux. Ses grains dorés sur la fenêtre…

— Vers la fenêtre ! le reprit l’adolescente assise en vis-à-vis qui noircissait une sorte de grand cahier de son écriture appliquée.

Tout en gardant un œil consciencieux sur sa lessive, Élise interpella celle qui se prenait pour l’institutrice :

— Amélie ! Pose ta plume et va tirer de l’eau au puits !

— J’y vais, Élise ! s’empressa de répondre la dénommée Amélie, sans pour autant obtempérer.

Absorbée par sa délicate graphie, elle continuait, s’appliquant à l’adorner de pleins et de déliés, de minuscules qui ne débordaient pas de l’interligne et de majuscules qui étaient de véritables petits chefs d’œuvre d’écriture.

Élise se retourna, le visage congestionné par la chaleur d’étuve qui l’envahissait et grimaça de colère. Elle tendit le bras, se saisit d’une des nattes brunes qui pendaient dans le dos d’Amélie et la secoua sans ménagement. La surprise et la brutalité du geste noyèrent de larmes les doux yeux de l’adolescente qui se leva du banc, s’empara de deux cruchons et sortit dans un tourbillon de jupon brun et de cotillon blanc.

Assurée que sa phrase ferait plus de mal que son geste, Élise lui cria :

— Demain j’aurai besoin de toi pour rincer la lessive à la rivière. Tu peux faire une croix sur ta journée d’école !

Amélie se figea sur le pas de la porte. Élise en profita pour asseoir ses prérogatives.

— C’est pareil pour toi, René ! Tu iras « garder » au sommet de la Colombière. L’air y est plus frais et l’herbe toute jeune meilleure pour les brebis et les chèvres. Tu emmèneras Samuelle, je n’ai plus de gaillet pour faire prendre mes fromages, elle s’occupera à m’en ramasser une brassée.

— Tu n’y penses pas, Élise ! La Colombière, c’est bien trop loin et trop escarpé pour les petites jambes de Samuelle.

Un vent de rébellion emportait Amélie, mais comme toujours les décisions d’Élise s’avéraient indiscutables. Sa sœur coupait et tranchait en toute impunité depuis qu’elle était passée maîtresse en la maison de son père. Elle essaya cependant de la faire fléchir.

— Tu ne peux pas, Élise… c’est le moment des compositions, pour René comme pour moi. Je te promets, je ferai le repassage, le raccommodage, la soupe…

— La soupe ? Bien sûr que tu vas la faire, et tout de suite même, je ne peux pas être partout, moi ! Et demain, tu m’aideras à pousser la brouette jusqu’au Gardon et à tordre les draps. Allez, file maintenant !

À quoi bon insister, se révolter, se jurer d’en référer à leur père qui ne prenait pas l’instruction de ses enfants à la légère ? Comme toujours, Élise aurait le dernier mot, arguant, et ce n’était pas faux, qu’une avalanche de tâches dévorait ses journées.

À la nuit tombée, lorsque Blandine rentra de la filature et que Ruben, leur père, eut achevé sa tournée journalière en forêt, la marmite avait remplacé la lessiveuse sur les braises de la cheminée et de petits soupirs odorants s’en exhalaient en soulevant le couvercle à intervalles réguliers.

Amélie avait rangé le grand livre vert après l’avoir soigneusement tamponné d’un épais buvard, son petit frère avait remisé livres et cahiers. À leur place, sur la table, six écuelles, autant de cuillères, de verres et une miche ronde à la croûte vive invitaient au repas.

Ruben Rouvière retourna le pain, y fit une croix à peine effleurée de la pointe de son couteau avant de trancher de larges tartines qu’il distribua à ses enfants tandis qu’Élise servait la soupe fumante.

Le début du repas se déroula dans un silence de parole qu’aucun des enfants Rouvière n’aurait osé transgresser sans y être invité par leur père ; c’est Ruben qui le rompit :

— As-tu mis à jour mon « registre d’ordres », Amélie ?

La gamine baissait la tête au-dessus de son écuelle ; penaude, elle murmura :

— J’ai presque terminé, père. Demain, au plus tard, j’aurai tout recopié, je vous le promets.

— J’y compte bien, ma fille ! dit-il en fixant Amélie qui rougissait, prise en défaut.

Ruben Rouvière n’élevait jamais la voix, ne se mettait jamais en colère. Un seul regard de ses yeux gris acier avait valeur d’ordre que personne ne s’avisait à discuter. La revendication qui était au bord des lèvres de l’adolescente mourut sous ce regard. Père était fâché, cela se lisait dans ses yeux et ce constat plantait une épine douloureuse dans le cœur d’Amélie.

Il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas vu une étincelle de joie dans les yeux de son père ! Six ans bientôt, le jour où Hermine, son épouse adorée, avait quitté ce monde en lui donnant un septième enfant.

* *

*

Sept enfants – huit si l’on comptait le petit Savin mort à la naissance – en vingt années d’une union ensoleillée par l’amour, cela semblait peu raisonnable à la matrone qui surveillait, si l’on peut dire, la dernière grossesse d’Hermine.

— Après celui-là, il faudrait voir de s’arrêter, madame Rouvière. C’est pas le tout de mettre des enfants au monde alors que partout rôde la misère.

— Quand nous faisons « ça », mon Ruben et moi, nous ne pensons pas à la misère ! lui avait rétorqué naïvement Hermine, illuminée de l’amour qui régnait dans son foyer. Puis, elle avait ajouté :

— Ce n’est pas pour rien que le bon Dieu bénit notre union !

— Grand bien vous fasse, marmonna l’accoucheuse en quittant la maison forestière.

— Votre bébé est mal tourné. Ne tardez pas à me faire appeler aux premières douleurs… D’ici là, ménagez-vous !

— Merci du conseil, mère Félicie, mais les gosses, ça tourne et ça retourne là-dedans, dit-elle avec un grand sourire et tapotant son ventre. Surtout si c’est un fils, les garçons ont la bougeotte. C’est mon Ruben qui serait bien aise d’avoir un autre petit gars !

Ah ! qu’elle l’aimait son Ruben, la petite Hermine Frayssinet ! Et comment ne pas aimer l’homme qui avait deviné la joliesse de son sourire sous le masque noir de son visage étroit, les courbes harmonieuses de son corps de jeune fille en fleur sous ses haillons de tiretaine ?

* *

*

On était alors en 1859 et cela faisait bientôt quinze ans que Ruben Rouvière exerçait son métier de garde forestier lorsqu’il fit la connaissance d’Hermine Frayssinet. Quinze années qu’il arpentait cette partie de la forêt domaniale des Gardons dont il se targuait de connaître tous les sous-bois, toutes les caches naturelles, qu’elles soient végétales ou minérales.

Son territoire, entre Gard et Lozère, délimité justement par ces Gardons, torrents ou rus étiques selon la saison, qui descendaient des montagnes cévenoles, s’inscrivait dans le triangle vert dont faisaient partie les bois communaux de Peyrolles et que ponctuaient les bourgs plus ou moins importants de Saint-Jean-du-Gard, de Saint-Roman-de-Tousque et de Saint-Étienne-Vallée-Française.

Au-delà, les hautes Cévennes, mangées par la pierre, au relief vallonné de pentes adoucies et, par endroits, hérissées de roches granitiques, habitées en des temps immémoriaux par les Gabales, lui tiraient quelques grimaces. À ses yeux, ces paysages de pauvreté ne rimaient pas forcément avec beauté.

— Rien ne vaut une belle et dense forêt ! disaitil à qui lui prêtait une oreille obligeante tout en le prenant pour un sauvage, voire un farfelu.

Lui se réclamait descendant de ces Volques Arécomiques qui avaient disputé âprement leur territoire aux envahisseurs de tous poils. Quand il parlait de sa forêt, dans ses rares moments d’éloquence, c’est avec un certain lyrisme qu’il pérorait, la comparant à une femme :

— La forêt est une bonne hôtesse, qui nourrit sans distinction ceux qui la hantent ; ils se repaissent en elle, assouvissent les besoins de leur corps de ce qui pousse à profusion, délectent leur regard de sa pure beauté, nourrissent leur âme des leçons de sagesse que, toujours, elle distille.

On faisait fi de son érudition, de ses envolées chimériques et c’est lui qu’on traitait de « comique », voire d’hurluberlu.

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