Les sorcières de Skelleftestad, Tome 2 : Les soeurs Swedenborg

Quand elle a eu seize ans, Greta a lâché la bride à sa gourmandise.

C'est-à-dire lorsqu'elle est devenue, elle aussi, une sorcière. Le jour où elle a découvert qu'elle pouvait créer des gâteaux par la seule force de son esprit -qu'il lui suffisait, pour ainsi dire, de penser à un baba au rhum pour qu'il se matérialisât -, notre maison est devenue une pâtisserie.

On patinait sur le sucre glace, on s'empoissait de crème aux amandes.

- J'ai encore taché une robe ! glapissait Agnès.

- Tiens, c'est bizarrement bizarre, il y a du chocolat sur les fauteuils du salon, disait notre père en fronçant les sourcils, pour les hausser tout aussi vite, et s'esquiver en sifflant un air guilleret.

Je regardais mon monde avec la bienveillance un peu hautaine de la soeur aînée, celle qui connaît la vie. Après tout, j'avais seize ans et demi, désormais. J'étais une sorcière accomplie. Du moins m'efforçais-je de m'en convaincre.

Agnès avait trois mois de retard sur moi, Greta en avait six.

Tout cela, pâtisseries éparses et robes choyées, tout cela était bien infantile. Je me préparais, quant à moi, à de grands desseins. Lesquels ? Je n'en avais aucune idée, mais ils étaient forcément immenses. J'allais accomplir, grâce à ma puissante magie, des choses qui modifieraient à jamais l'ordre de l'Univers. Ou du pays. Ou, à tout le moins, celui de notre village de Skelleftestad. Je prenais des poses devant la psyché de la chambre, affichant cette expression d'altier sarcasme que j'affectionnais tant et qui devait, à n'en pas douter, me donner un air intelligent et revenu de tout.

J'étais une belle dinde qui s'ignorait.