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La femme avait le regard hanté. Ses yeux clairs, légèrement tombants, fixaient l’objectif avec un curieux mélange de défi et de résignation. Elle restait immobile, en plan fixe. Le mur derrière elle était d’un bleu marronnasse, une teinte d’ecchymose ancienne. Elle se tenait dans un canapé gris. Une jolie femme, à qui la peur enlevait de son éclat. Elle avait les épaules remontées, les tendons du cou raides comme des haubans. Sa robe noire sans manches mettait en valeur ses bras pâles et gracieux. Ses cheveux trop blonds retombaient mollement sur ses clavicules.
Afficher en entierIl avança lentement dans l’allée et observa les environs. Épaisse verdure à gauche, demeure de style colonial à droite. Une grande maison, en bois comme le bungalow, mais peinte en blanc, avec des volets noirs. Bâtie sur un terrain spacieux, elle était séparée de la modeste parcelle de Freeman par une clôture en stuc haute de trois mètres, surmontée de vieilles briques. Des bougainvillées les recouvraient par endroits, procurant un degré supplémentaire de tranquillité à chacun. La bicoque avait peut-être vu le jour comme dépendance de l’imposante voisine, à l’époque où de vastes propriétés s’étendaient à flanc de colline au-dessus de la vallée. Un pavillon pour les invités ou les domestiques, peut-être la sellerie d’un acteur de western désireux de s’installer à proximité des studios en plein air de Burbank où l’on recréait les paysages inhospitaliers du Far West.
Afficher en entier– Les plantes recrachent du dioxyde de carbone, souligna Milo.
– Ah bon ? Ben, les fourmis et les plantes, c’est pas pareil ! pouffa-t-il. Ma sœur avait une invasion de fourmis dans son sous-sol. J’y ai mis un stick de neige carbonique et j’ai bouché toutes les aérations avec du Scotch. Au bout de deux jours, il y en avait partout, des milliers de fourmis mortes ! C’était dégueulasse, elle a dû passer l’aspirateur. Qu’est-ce qu’il a fait avec, votre mec ?
Afficher en entierLe bâtiment était en rondins et en bardeaux. La carte annonçait un chef français qui pratiquait une « nouvelle cuisine d’inspiration généreuse, fusion tex-mex et thaï ». Nous suivîmes l’hôtesse pétillante et sa queue-de-cheval vers une table à pique-nique en séquoia nichée dans l’angle d’une terrasse ombragée, ce grâce à une végétation des plus locales : de vieux chênes de Californie tordus par les vents de Santa Ana depuis des siècles. Le directeur s’était dissimulé derrière le tronc, massif comme un rhino, de l’aïeul des arbres. Dès que nous fûmes assis, il nous indiqua deux menus, sans cesser de manipuler ses baguettes. Par « inspiration généreuse », il fallait entendre des portions pantagruéliques et une prose à vous flanquer la migraine. Le plat rectangulaire posé devant le chef devait mesurer un bon demi-mètre.
– Vous avez pris quoi, monsieur ?
– Le n° 6.
Trente-deux crevettes épicées du Mékong nageant dans leur coulis d’asperge coloré d’une réduction à la citronnelle et à l’origan, nichées sur un nid de fromage de chèvre, agrémentées de haricots noirs rissolés, protégées par une muraille de poitrine de porc fumée à l’artisanale.
– C’est l’endroit pour un gourmet comme vous, Sturgis.
– Je suis touché, monsieur.
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