Extraits

Londres 1762

La tenancière d’un infâme bordel devait faire face à de nombreuses catégories d’hommes exigeants, pensa Coral Smythe. Des lords ivres, des marchands arrogants, des jeunes hommes inexpérimentés sur le point de s’effondrer sur leur propre malheur, ou tout simplement de nombreux hommes avec plus d’argent dans leurs poches que de sens.

Mais peu d’hommes étaient aussi irritants, provocants, agaçant, ou exaspérant que le puritain capitaine de la marine.

Un très beau capitaine de marine puritain.

Coral toucha avec son doigt le masque doré qui recouvrait son visage, vérifiant comme elle le faisait toujours qu’il était toujours en place. Satisfaite, elle descendit l’escalier pour rejoindre l’enfer doré qu’était la Grotte d’Aphrodite.

L’activité était importante ce soir. Le grand escalier donnait directement dans le hall principal. Tout au fond, derrière les grandes portes doubles de la grotte, Aphrodite était peinte sur le plafond, gambadant dans des nuages roses, entourés d’amants mythiques bien dotés, et en dessous…

Et bien en dessous c’était là que régnait le désordre, bien sûr.

Certaines Dames de la soirée étaient réellement des Ladies, leurs demi-masques en forme de cygne recouvraient beaucoup plus décemment leurs visages que leurs corps n’étaient couverts.

Les Gentleman — le mot utilisé ici au sens large du terme — se pavanaient, criant et titubant dans un réjouissant état d’ivresse.

Coral leva la lèvre supérieure sous son masque. Reconnaissant facilement chacun d’entre eux. Tous ces hommes qui ne demandaient qu’à perdre leur argent. Et tout ça pour quoi ? Quelques douces poitrines ? Une bouche chaude et humide pour sucer leur virilité ? Plaisir fou et éphémère qui disparaissait au lever du jour. Les hommes étaient idiots, si semblables dans leurs désirs primitifs et tellement exigeants.

Les Ducs ou les négociants en charbon, relevaient leur visage plein de sueur et riaient devant Aphrodite, qui souriait dans ses nuages. Tous sauf le puritain capitaine de marine.

Le capitaine Isaac Wargate se dressait comme une sombre tour noire de mauvaise augure sur un des côtés de la salle. Il portait toujours sa longue pèlerine de la marine, malgré la chaleur dans la salle bondée et tenait son vieux chapeau calé sous son bras.

Il examinait la salle avec un visage sans expression, mais Coral savait qu’il y avait de la désapprobation dans ses yeux de faucon qui regardaient fixement sous d’épais sourcils noirs.

Quel homme irritant !

Elle se dirigea vers lui, consciente qu’il savait qu’elle était présente, mais ne daignait pas regarder dans sa direction. De cette façon elle pouvait l’étudier : son grand nez, ses lèvres pleines légèrement comprimées, ses cheveux noirs tirés en arrière dans une natte fermement tressée, les lignes de sa bouche profondes et cyniques…