Ajouter un extrait
Liste des extraits
"Vivre vingt ou soixante ans, ce n'est pas ce qui compte, je suis persuadée que chacun meurt quand sa vie a été accomplie."
Afficher en entiernouvel Quelle chance qu’elle ne nous ait pas privées de dîner, pensa Margareta. L’odeur de la compote de poires, une odeur douce et familière rappelant le pays natal, était partout présente. Dans la paix de cette soirée d’été, la jeune fille se sentit comme chez elle dans ce vieux couvent, un chez-soi rassurant et protecteur. Les jeunes filles avaient parcouru quelques pas quand la voix de la supérieure se fit entendre à nouveau : — Un instant, j’allais oublier. J’ai deux informations importantes pour vous. Tout d’abord, j’ai eu aujourd’hui des nouvelles de tes parents, Margareta. Ils veulent te voir et, d’après ce que j’ai pu lire, ils seront ici dans les prochains jours
Afficher en entiernouvel Elle adressa un signe de tête bienveillant aux jeunes filles avant qu’elles ne gagnent la cour intérieure par une petite porte latérale, puis franchissent le grand portail du bâtiment. Une fraîcheur bienfaisante les accueillit dans la vaste salle d’entrée au sol empierré, au plafond voûté et aux vitraux colorés ne laissant filtrer qu’une faible lumière. Contrairement à de nombreuses autres constructions en Europe, qui n’opposaient aux conditions atmosphériques qu’un rempart insuffisant, ce couvent assurait à ses résidentes une vie confortable.
Afficher en entiernouvel Un jour où Margareta était tourmentée par un mal de dents, elle l’avait emmenée avec elle au jardin, au coucher du soleil puis, ayant déterré la racine d’un séneçon en murmurant une formule à voix basse, elle l’avait pressée contre la dent malade avant de l’enterrer à nouveau, toujours chuchotante. Toute l’affaire avait paru un peu étrange à Margareta. La douleur avait toutefois cessé. Bien entendu, il valait mieux que la supérieure du couvent n’eût pas connaissance de pareilles pratiques, mais sœur Josepha pouvait compter sur le silence des pensionnaires
Afficher en entiernouvel À peine remarquait-on que cette chaude journée touchait à sa fin. Une légère brise se leva, jouant avec les herbes hautes et les branches touffues. Le ciel se teinta, à l’ouest, d’un rouge tendre qui se reflétait sur les cimes enneigées des Alpes et dans l’eau scintillante du ruisseau. La douceur de l’air et du soleil déclinant apaisa à ce point les esprits des jeunes filles que même Angela en oublia de lancer des piques à Clara.
Afficher en entiernouvel Margareta détailla cet inconnu de très grande taille, dont le maintien, la nonchalance étudiée et l’élégance révélaient un homme tout aussi habile à fréquenter les cours princières qu’à monter à cheval. Sous un chapeau noir orné de deux longues plumes blanches, ses cheveux de jais lui tombaient en boucles épaisses sur les épaules. Il était couvert jusqu’aux hanches d’un habit en velours marron foncé, ceint à la taille d’une large écharpe rouge à franges noires qui retenait son épée. Un blason, avec des animaux et des fleurs, était gravé dans la poignée dorée de l’arme. Un large col en dentelle blanche, maculé, était à demi recouvert par un manteau noir qui descendait jusqu’aux hautes bottes de cuir
Afficher en entiernouvel Les hommes la regardèrent, stupéfaits. Margareta ressentit presque de la fierté au spectacle de son amie faisant front, debout dans l’eau, la tête droite, ses cheveux bouclés rejetés en arrière. Si elle avait peur, elle n’en laissait rien paraître
Afficher en entiernouvel Les jeunes filles se redressèrent et levèrent les yeux. Cinq hommes se tenaient devant elles sur la rive. Correctement vêtus, ils portaient des bottes de cuir souple, recouvertes d’une épaisse couche de poussière et de crasse. Une forte odeur de cheval les accompagnait. L’hilarité des visages, sous des cheveux en broussaille, n’arrivait pas à dissimuler la fatigue. Aucun ne devait avoir plus de trente ans et Margareta trouva qu’en dépit de leurs épées et de leurs poignards ils n’avaient guère l’air menaçant
Afficher en entiernouvel Un cri perçant la tira brusquement de sa rêverie. Se tournant, elle aperçut Clara qui était tombée assise dans l’eau. Debout derrière elle, Angela riant à gorge déployée, du fou rire qui désespérait les sœurs du couvent, s’exclamait, les mains sur les hanches : — Oh, mon Dieu, Clara ! Margareta, à son tour, ne put s’empêcher de pouffer au spectacle de Clara immobile dans l’eau, ses courtes jambes allongées devant elle, les bras écartés du corps en un geste impuissant, l’incompréhension dans les yeux, tel un barbet trempé
Afficher en entiernouvel Margareta eut un léger rire. Penchant la tête en arrière, le visage offert au soleil, elle contempla l’azur du ciel les yeux mi-clos. Submergée par une violente joie de vivre, elle éprouva le désir que cet instant durât toujours. Ni peur ni souffrance, se disait-elle, uniquement des journées d’été remplies de lumière et de douce chaleur, en compagnie d’amies comme Angela et Clara que j’entendrais parler et rire. Si seulement je pouvais ne jamais me marier, ne jamais être forcée de partir, ne jamais devoir être sérieuse et digne, si je pouvais rester maîtresse de ma propre vie
Afficher en entier