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Le soleil était déjà haut dans le ciel. Steiner étouffa un juron. Il était proche de la suffocation mais ne pouvait écarter son œil de la lunette de visée : on allait procéder à une ouverture dans les minutes à venir et il ne pouvait sous aucun prétexte laisser s’échapper l’un des Enfermés. C’était la procédure depuis que la muraille avait été érigée. À chaque nouvelle livraison de Veilleurs – le gouvernement préférait les termes « infiltration d’agents » plus politiquement corrects, ce qui avait le don de faire naître l’hilarité chez tous les snipers – les tireurs d’élite prenaient place sur les miradors des alentours. Si chacun était prêt à faire usage de son arme, aucun d’entre eux ne savait à l’avance si le transporteur délivrerait des passagers. La manœuvre était tactique à bien des égards. On s’assurait que nulle fuite de renseignement ne viendrait préparer le terrain des Enfermés, dont la seule obsession était de quitter l’enceinte coûte que coûte. On s’assurait également que personne ne pouvait soudoyer un militaire, en sachant à l’avance qui était affecté à tel poste ou tel autre.
Afficher en entierJe ne suis pas meilleur qu’un autre. Comme tout le monde, j’ai été dévasté par la Révélation. Quand les autorités ont avoué l’existence du virus, j’ai cru moi aussi à un de ces putains de hoaxes qui pourrissaient les réseaux sociaux. Seule une poignée d’adeptes de la théorie du complot ont réagi. On s’est moqué d’eux, de leur crédulité…
Fatale erreur.
Quand je me suis réveillé, quand j’ai ouvert les yeux pour accepter la réalité, il était trop tard. On s’était laissé piéger comme des débiles. On n’avait rien vu venir. L’incroyable s’était produit et le monde entier avait basculé dans la folie, jetant les uns sur les routes, les autres au fond de terriers dérisoires et inutiles, enfermant toutes les victimes de la transformation. Paris, la ville merveilleuse, MA VILLE, était devenue une prison pour les contaminés. Personne, nulle part, n’avait pressenti la catastrophe. Pourtant tous les signes avant-coureurs étaient là, sous notre nez. C’est juste que le monde entier avait affecté de ne pas s’en apercevoir.
Comme des enfants inconscients qui jouent sur la plage avec des explosifs oubliés dans le sable depuis des années, nous nous amusions. Le plaisir et les frissons étaient au rendez-vous : vampires, loups-garous – tous ces monstres qu’on pensait issus de l’imaginaire collectif – hantaient les rues, squattaient nos affiches, nos écrans publicitaires…
Afficher en entierJe ne sais pas si ce journal a encore une utilité. Je ne sais même pas si j’écris pour qu’on me lise ou pour me vider l’esprit de toutes ces visions qui le hantent. Ces images qui s’entrechoquent et m’empêchent de penser, de respirer parfois. Ces idées qui me poussent chaque jour vers un abîme empli de ténèbres, un puits sans fond dans lequel j’ai vu tant d’amis, de sœurs ou de frères s’abandonner.
Je vis, je survis au jour le jour et je ne sais plus à qui me fier. Il m’arrive de me laisser happer par ces pensées alors que le soleil brille haut dans le ciel. Dans ces moments-là, la sensation d’oppression est si forte que j’en reste immobile, comme frappé d’idiotie. Paralysé, je vois défiler des souvenirs. Je les contemple sans pouvoir bouger, tandis qu’une voix hurle dans ma tête qu’il faut me secouer, rester sur mes gardes, parer à toute attaque…
C’est à la nuit venue, quand j’ai trouvé un refuge et sécurisé l’entrée, que je sors ce carnet. Alors, je tente d’y aligner mes pensées, de leur donner un sens.
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