Ajouter un extrait
Liste des extraits
Par « on », il voulait dire « je ». Lorsque j’avais ouvert la galerie, neuf ans plus tôt, Tony s’était abonné à plusieurs revues artistiques ; et, contrairement à la majorité, il les lisait. C’était un authentique intellectuel à une époque où ce mot ne voulait déjà plus rien dire, et il en connaissait un sacré rayon sur le marché de l’art. Il parlait aussi de lui quand il disait « ton père ». Tony avait tendance à prêter ses propres opinions à son patron, une habitude destinée, il me semble, à cacher le fait absurde que j’avais une relation plus proche avec les employés qu’avec mon propre géniteur. Personne n’était dupe, cependant
Afficher en entierEt cela s’était produit de plus en plus fréquemment au cours des deux dernières années, après que mon père avait eu une crise cardiaque et que je n’étais pas allé le voir à l’hôpital. Depuis, je recevais des coups de fil de lui par l’intermédiaire de Tony toutes les huit ou dix semaines. Ça ne vous paraît peut-être pas beaucoup, mais, vu le peu de communication que nous avions avant cela, je commençais à me sentir un tantinet harcelé. Je n’avais aucune intention de restaurer des ponts entre nous ; quand mon père construit un pont, vous pouvez être sûr qu’il y aura un péage au milieu
Afficher en entierJe connaissais Tony Wexler depuis toujours et le considérais comme la personne la plus proche d’un père digne de ce nom. Le fait qu’il travaille pour mon père, qu’il a travaillé pour lui depuis plus de quarante ans… je vous laisse faire vos propres déductions psychanalytiques. Qu’il me suffise de dire que, chaque fois que mon père me voulait quelque chose, il envoyait Tony à sa place
Afficher en entierÀ 9 heures et demie, Ruby débarqua, cafés à la main. Je pris le mien et lui donnai les consignes. À 9 h 39, Nat arriva et se remit aussitôt à la composition du catalogue pour notre prochaine exposition. À 10 h 23, mon portable sonna à nouveau : numéro masqué. Comme vous pouvez l’imaginer, la plupart des gens à qui j’espérais vendre avaient des numéros masqués
Afficher en entierAprès le téléphone, les e-mails : des clients à recontacter, les rouages de la machine sociale à huiler, des arrangements en vue de salons à venir, des rendez-vous pour voir des travaux récents. Une bonne partie du travail de galeriste consiste à faire tourner la boutique. Un ami qui était du milieu m’écrivait pour savoir si je pouvais mettre la main sur un Dale Schnelle qu’il convoitait. Je lui répondis que j’allais essayer. Marilyn m’envoyait une macabre caricature qu’un de ses artistes avait faite d’elle, la représentant sous les traits de Saturne dévorant ses enfants, à la manière de Goya. Elle trouvait cette image réjouissante
Afficher en entierElle me débita alors tout un topo hypertechnique et truffé de références théoriques sur la disparition de la banquise dans l’Arctique. Il fallait absolument qu’elle expose en juin, au plus fort de l’été, avec un vernissage le soir du solstice, et elle voulait que la clim soit coupée – qu’il fasse chaud – parce que ça soulignerait la notion de fonte. La vonte des klaces, comme elle disait.
Afficher en entierMais ça, c’était en mai, et depuis elle avait plongé en hibernation. J’étais passé chez elle, je lui avais laissé des messages, envoyé des e-mails et des sms. Si elle cherchait à attirer mon attention, c’était raté, car j’avais fini par abandonner. Son coup de fil ce matin-là était notre premier contact depuis des mois
Afficher en entierQuand je l’ai prise chez moi, je connaissais sa réputation. Je savais aussi que certaines personnes parlaient de moi en roulant des yeux. C’était une de mes grandes fiertés que d’avoir réussi à l’apprivoiser et à monter sa meilleure exposition depuis des années : nous avions eu d’excellentes critiques et tout vendu pour bien plus cher qu’on ne l’espérait, un exploit qui me valut de la voir littéralement me pleurer dans les bras, submergée de gratitude. Kristjana est plutôt du genre démonstratif
Afficher en entierL’ascenseur arriva et Vidal ouvrit dans un grincement la porte en accordéon. Tandis que nous nous disions bonjour, mon téléphone sonna de nouveau. L’écran afficha le nom de Kristjana Hallbjörnsdottir, confirmant ma prémonition d’une journée mal embringuée
Afficher en entierTerminant mon appel sur le trottoir, je pénétrai dans l’immeuble, appuyai sur le bouton du monte-charge et savourai ma solitude. En général, j’arrivais au boulot vers 8 heures et demie, plus tôt que la plupart de mes collègues et une bonne heure avant mes assistants. Une fois que le travail avait commencé, je n’avais plus une minute à moi. Parler aux gens a toujours été mon point fort et la clé de ma réussite. Pour cette même raison, je chérissais ces quelques instants de tranquillité
Afficher en entier