Extraits

- Je crois en avoir déjà entendu parler, dit Emma. Qui est-ce ?

- Un jeune homme très fortuné, tout à fait indépendant et remarquablement aimable. Où qu'il aille, il fait l'unanimité. Dans les environs, toutes les filles sont amoureuses de lui, ou l'ont été. Je crois être la seule à lui avoir échappé le cœur indemne, et pourtant je fus la première sur qui il eut jeté son dévolu à son arrivée dans cette contrée il y a six ans. Et il s'était montré particulièrement pressant. Aux dires de certains, aucune fille, depuis lors, n'aurait trouvé grâce à ses yeux, bien qu'il soit toujours à badiner galamment avec l'une ou avec l'autre.

- Et comment se fait-il que votre cœur soit le seul à être resté de glace ? demanda Emma en souriant.

- Il y a une raison à cela, répondit Miss Watson en changeant de couleur. On ne m'a pas très bien traitée là-bas, Emma, j'espère que vous aurez plus de chances que moi.

Vouloir plaire au sexe était nouveau pour lui ; pour la première fois de sa vie, il prenait conscience de ce qu'il devait à une femme de la situation d'Emma.

"Prétendre qu'Emma n'avait pas été flattée par la visite de lord Osborne serait affirmer une chose bien improbable et décrire une jeune fille fort étrange. Mais son plaisir n'était pas du tout sans mélange. La venue de lord Osborne était une sorte de distinction qui pouvait flatter sa vanité mais froissait son orgueil, et elle eût préféré savoir qu'il désirait lui rendre visite mais ne prenait pas cette liberté, plutôt que de le voir à Stanton. Parmi d'autres réflexions désagréables, il lui vint une fois à l'esprit de se demander pourquoi Mr Howard n'avait pas usé du même privilège pour venir et n'avait pas accompagné lord Osborne. Mais elle voulut croire qu'il n'en avait rien su, ou bien qu'il n'avait pas souhaité s'associer à une démarche qui, dans sa forme, comportait autant d'impertinence que de bonne éducation."

"Le lendemain matin amena nombre de visiteurs. Un usage en vigueur localement voulait que l'on rendit visite à Mrs Edwards les lendemains de bal et, en la circonstance, cette propension au bon voisinage était renforcée par la curiosité générale qu'inspirait Emma, car chacun voulait revoir la jeune fille qui, la veille, avait suscité l'admiration de Lord Osborne."

Emma et Mrs Blake se quittèrent comme deux vieilles amies, et Charles lui serra la main en lui disant "au revoir" une bonne douzaine de fois. Quant à miss Osborne et miss Carr, elles la gratifièrent d'une vague révérence crispée en passant devant elle. Lady Osborne elle-même lui adressa un regard bienveillant et, une fois les autres sortis, son fils n'hésita pas à revenir "la prier de l'excuser" et chercher, sur le siège près de la fenêtre derrière elle, des gants que l'on pouvait pourtant voir pressés dans sa main.

Lord Osborne fut réduit à quia. Emma ne s’était montrée ni sentencieuse ni sarcastique, mais quelque chose dans la douceur de son sérieux, ainsi que dans ses propos eux-mêmes, donna à réfléchir à Sa Seigneurie. Aussi, quand il s’adressa de nouveau à elle, l’extrême complaisance dont il fit preuve n’avait plus rien à voir avec l’audace mêlée de maladresse de ses remarques précédentes. C’était pour lui chose nouvelle que de désirer plaire à une femme. C’était pour lui la toute première fois qu’il ressentait ce que l’on devait à une femme dans la situation d’Emma. Mais, comme il ne manquait ni de bon sens ni de bonnes dispositions, il ne le ressentit pas en vain.

Les maux qui résultaient de la mort de son oncle n'étaient ni négligeables, ni susceptibles de devenir moins pressants ; et, après avoir donné libre cours à ses pensées, et confronté passé et présent, elle comprit que la lecture seule lui permettrait d'occuper son esprit et de chasser ses idées noires, et c'est donc avec reconnaissance qu'elle se tourna vers un livre.