Les yeux du brouillard

Il y avait du brouillard sur Londres. Pas le bon vieux smog de jadis, mélangé de fumée de charbon gras, mais un brouillard bien pur, venu de la River. N’empêche qu’on n’y voyait pas à vingt mètres. Et en plus c’était la nuit.

La fille courait. Elle avait peur. Elle était un peu essoufflée. Elle ne devait pas avoir plus de vingt ans, si elle les avait. Un corps mince avec de longues jambes, des cheveux blonds et lisses qui lui tombaient sur les épaules, un visage d’une beauté comme on n’en fait plus depuis la mort des derniers peintres de la Renaissance italienne.

Elle s’appelait Ruth Forman. Elle continuait à courir et à avoir peur.

Finalement, le souffle lui manqua. Elle s’arrêta, haletante, s’adossa à un coin de muraille, regarda autour d’elle, ne distingua rien. Le quartier était désert et, à cause du brouillard, on distinguait à peine les façades des maisons, de l’autre côté de la rue. Les lampes électriques n’éclairaient presque rien. Elles étaient changées en d’indécises araignées cotonneuses et fluorescentes suspendues dans le vide.