Du sang. Sur mes vêtements. Sur la moquette grise. Sur les murs. Sur mes doigts que je fixe sans cligner des yeux depuis si longtemps qu’ils me donnent l’impression de ne plus m’appartenir. Ploc. Ploc. Ploc… Du sang, il y en a partout.

Et le voilà. Le monstre. Depuis le temps que nous cohabitons, je reconnais ses prémices au moment précis où il se réveille, à l’intérieur. Ça commence toujours de la même manière. Le bourdonnement, ma gorge qui s’assèche, ma vision qui se brouille. Puis il prend les rênes. Un mince filet d’air s’expulse par mon nez dans un amusement aigre avant qu’il ne se transforme en rire bref et délirant. Je remarque à peine la silhouette du client qui se fige pour me dévisager, comme si j’avais subitement perdu l’esprit.

Il ne reconnaît aucune autorité. Pas de faux-semblants, et même si j’ai le cœur qui palpite face à lui, je décime d’avance toute tentative de le soustraire aux ténèbres. En revanche, je suis en mesure de lui offrir un peu de lumière.

 Les mots de Caïn, ont résonné longtemps dans mon esprit. Durant des années, même, comme un mantra qui a fait ce que je suis devenue aujourd’hui.
« Tu es plus louve que n’importe qui, Freya. Parce que ce n’est pas une question de fourrure ou de croc, mais de férocité, de hargne, et surtout, de cœur. »

Ma paume s’enroule le long de sa mâchoire, mon pouce caresse le velours de sa joue.
- On culpabilisera à deux, continué-je, les fragments de ton cœur mélangés aux miens. Essayons de colmater ensemble nos fêlures. J’en ai une telle collection, je te jure que les tiennes ne m’effraient pas. Donne-nous une vraie chance, Gin. Laisse-moi te décrocher les étoiles et les mettre dans tes yeux. S’il te plaît… »

« Ephraim est aussi paumé que moi. Nous sommes tiraillés par les tourments de cette émission, par la volonté de bien faire, tout comme par celle de suivre notre code moral. Avec lui, c’est simple et compliqué à la fois. Une évidence comme une malédiction.
Je veux faire ce dont j’ai envie.
Parce que je suis maître de mon destin. »

« Le bonheur.
Tellement soudain, tellement vrai, tellement modeste. Il arrive parfois lorsque nous ne nous y attendons pas. Il ne suffit pas de grand événement, juste d’une présence, d’une phrase, d’un regard. Tantôt magique, tantôt bienfaisant, tantôt larmoyant ou simplement euphorique.
Mais il peut aussi s’envoler, subitement, brutalement, pour laisser un trou béant saigner dans la poitrine.
Et ne plus jamais revenir. »