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Trois de nos frères sont derrière les barreaux.
Nous réclamons la vérité. Et le payons. Le harcèlement que nous vivons depuis ton décès ressemble à celui que tu as connu au quotidien. La position des familles de victimes de violences policières n’est jamais acquise. Elle est niée. Pourtant constitué partie civile devant la justice, l’entourage du défunt est sans cesse rappelé au caractère illégitime de sa démarche. Comme s’il y avait quelque chose de déplacé à demander vérité justice pour les nôtres.
Comme si vous n’en étiez pas dignes ?
Car, victimes, vous l’êtes rarement aux yeux de l’État. Il vous préfère coupables. À quelques exceptions près, vous êtes des hommes, jeunes, français, issus de l’immigration. Des Noirs, des Arabes. Des descendants de colonisés. Désignés aujourd’hui comme des ennemis de l’intérieur.
Certains en meurent, trop souvent encore.
Pour nous, la police est une police d’exception, dont le visage est celui des forces d’intervention. Elles ne garantissent pas notre sécurité, elles nous mettent en danger. Elles chargent chaque jour leurs voitures d’un arsenal de guerre qui en dit long sur le blanc-seing délivré par le pouvoir politique pour nous soumettre, nous écraser socialement. Vous, nos frères, nos hommes. Pour les gendarmes qui t’ont arrêté, Adama, il ne s’est rien « passé d’anormal » le 19 juillet 2016. La routine. Les forces de l’ordre en tant que représentantes de l’État détiennent le monopole de la « violence légitime ».
La violence légitime. Mais qu’elles en sont les fondements ?
En réalité, c’est un surcroît de devoir de vivre qui nous habite depuis que tu n’es plus là. Nous avons connu bien des batailles en neuf mois, d’autres viendront. Plus dures, plus violentes. Notre espoir porte ton nom, il se compte en dizaine de milliers de soutien.
Afficher en entierLa société ne porte pas le même regard sur nous, les femmes, les filles. Parce que nous faisons de beaux sourires ? Ou parce que nous offrons encore cette part d’exotisme auquel le refoulé colonial reste attaché ?
Vous, les garçons issus de l’immigration, on vous cautionne à n’être rien… Vous n’êtes jamais des hommes. À 13 ans comme à 45, on vous évoque sous l’appellation « jeunes de cités », accompagnée de vos pedigrees plombés de références pénales. À l’école, les issues sont les voies de garage avec au mieux la possibilité de devenir mécanicien ou de tenir le mur d’un immeuble, au pire celle de finir derrière les barreaux. Vous êtes sans cesse réduit aux clichés négatifs, du délinquant à la racaille, qui font de vous les ennemis de l’intérieur.
Je veux sortir de ce système qui conduit à la mort sociale. À la mort, tout court.
Je veux que mes frères prennent la confiance et la parole qui leur revient. Dans le combat que nous menons pour toi Adama, je m’y applique.
Afficher en entierDésormais, j’ai compris où nous en sommes : tu parles, on t’enferme. Tu te bats, on te détruit. J’appelle tout le monde à se lever, à cesser d’attendre un signe, un geste. Parce qu’on peut bien faire des rassemblements pendant 10, 20 ans… Qu’est-ce que ça changera si on s’en tient là?
Je parle d’une révolution. Je dis que ça se prépare. Si je peux m’exprimer aujourd’hui en tant que femme noire, librement, c’est que d’autres se sont battus avant nous. Comment mais 67, ou des gendarmes, envoyer en Guadeloupe pour réprimer un vaste mouvement de grève, avait tué plusieurs personnes en tirant dans la foule. Rien n’a été gratuit. Aucune victoire.
Afficher en entierJe sais qu’il y a du monde dehors. S’il faut une révolution dans ce pays, nous la ferons. Nous ferons qui est cette mauvaise France. Qu’on me mette en prison demain s’il le faut. Je suis prête.
Afficher en entierLes forces de l’ordre t’ont arraché à nos vies. Chaque fois que je le dis, chaque fois que je l’écris, un sentiment d’horreur me traverse. 24 ans. Tu n’as même pas eu une demi-vie, mon frère. Un quart de vie tout au plus.
Afficher en entierJe n’ai jamais appelé à la violence. Mais je n’aurais jamais appelé au calme, après l’annonce de ta mort.
Les voitures peuvent bien brûler. Les abribus et les poubelles aussi. Moi, je t’ai perdu. Et au fond, ses éclats dans la nuit viennent de tes semblables, ce que la mort menace. On les dit dangereux. La vérité, c’est qu’ils sont en danger
Afficher en entierMais quels comptes les forces de l’ordre et le pouvoir règlent-ils avec la population des quartiers populaires ? Quel compte la France règle-t-elle avec sa propre histoire ? Avec les siens, tous ces Français issus de l’immigration. Il faut s’interroger sur le sens de ces actes et l’inconscient postcolonial qu’ils charrient. Combien de temps encore la domination violente des Blancs sur les Noirs, sur tous ceux dont la couleur n’est pas la bonne, continuera-t-elle de régner au pays des droits de l’homme ?
Afficher en entierNotre choix, c’est lutter ou mourir. Et nous lutterons, jusqu’à la mort.
Afficher en entierComme s’il n’y avait pas lieu de rendre justice. Comme s’il ne s’était « rien passé d’anormal ».
Afficher en entierNathalie Groux à enfoncer le clou. Salué « le travail exemplaire des gendarmes », avec sa touche d’humour : « La ville de Beaumont sera toujours à vos côtés mais j’avoue que j’aimerais bien vous voir moins souvent. »
Moi aussi, Adama, j’aurais aimé que tu ne les vois pas, le 19 juillet. Car chez nous, plus personne ne rit.
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