L'homme qui venait de partir, Tome 1 : Larry Logan ne répond plus

La dernière bouchée avalée, elle se leva et prit la direction de la porte. Il ne trouva pas les mots pour la retenir. Il avait bien un peu envie qu’elle reste, mais il se méfiait de ses envies. Les envies deviennent si vite des besoins.

Il ne pouvait se décider à aller se coucher. Trop de pensées remuaient dans sa tête. Malgré le froid, il retourna s’asseoir sur un rocher, au bord de l’eau. La nuit sur la mer, d’un noir intense, faisait un bruit liquide. Mais à part le monotone clapotis des vagues, tout n’était que silence autour de lui. Un silence bienfaisant après la fiévreuse agitation de ces dernières heures.

Il ressentait pourtant, en cette fin de nuit, un intense moment de solitude, une inexplicable tristesse aussi. Un de ces coups de blues où l’on aurait envie de se confier à quelqu’un, un grand frère, un ami, une femme, ou même un chien. Il faudrait toujours avoir sous la main un ami bienveillant, une femme hospitalière, un chien fidèle. Et pourquoi pas un ange qui viendrait s’asseoir à côté de vous pour un dialogue silencieux, télépathique, pour qui le cœur des hommes n’aurait pas de secrets. Peut-être même un archange, plus vieux et plus sage que les autres, dont l’éternité aurait commencé plus tôt.

Vague consolation, il avait l’impression que son chagrin était un chagrin de qualité, de ceux qui vous purifient l’esprit et en nettoient les recoins les plus sombres, qui vous font sentir presque meilleur. Son âme avait par moments des envies de s’envoler à des hauteurs inaccessibles, en quête d’innocence, d’absolu. Mais ces élans quasi-mystiques étaient de courte durée. On redevient si vite pesant, terrestre, tristement homme.

Son premier Noël loin de la guerre s’achevait, mais il était bien conscient que la paix ne régnait pas dans tous les cœurs. Son propre cœur, désespérément vide et gelé, semblait s’enliser dans un hiver interminable. Il aurait voulu rallumer tous les soleils éteints pour chasser ce grand froid qui l’environnait.

Fallait-il relier cette soudaine sensation d’abandon à des événements récents, très récents ? Qu’y avait-il de changé par rapport à la veille au soir ? Sans doute n’avait-il pas envie de répondre à cette question trop précise et préférait-il se demander jusqu’à quand durerait la traversée de son désert affectif. Il commençait à se lasser de n’être l’homme de la vie de personne.

Il éprouvait cette solitude et cette lassitude du coureur de fond qui n’en finit pas d’espérer la ligne d’arrivée. Car l’espoir aussi a ses limites. Il finit par s’user quand on espère depuis trop longtemps. Quelles mains bienfaisantes, quelles lèvres offertes, quel corps généreux réussiraient à faire fondre toute cette glace accumulée au fond de lui ? Fallait-il vraiment, à la vie, tout demander à genoux ? Et même quand les corps vont par deux, les âmes ne vont-elles pas toujours seules ?