Je me griffe le visage et les bras aux lianes, je me prends les pieds dans des racines. Mais je me rapproche. Je suis tout près, à présent. La sueur qui dégouline le long de mon visage pique mes cicatrices. La respiration sifflante, je cherche mon souffle dans cet air moite dépourvu d'oxygène. Prim lâche un cri tellement affreux, tellement déchirant, que je ne veux même pas imaginer ce qui a pu le provoquer.

Je voudrais trouver quelque chose ici même, maintenant, pour défier le Capitole, le faire se sentir coupable, lui montrer que, quoi qu'il nous fasse ou nous oblige à faire, il reste en chacun de nous une part qui lui échappe. Que nous sommes davantage qu'un simple pion dans ces Jeux.

J'étais entourée de tas fumants. Identifiant l'arôme douceâtre qui s'en dégageait, je préférai ne pas examiner ces monceaux de trop prêt. Je n'avais aucun désir de voir les traits des vampires exécutés, à demi effrayée à l'idée de reconnaître quelqu'un dans ces bûchers.

Mon esprit était prisonnier de ce que je savais, de ce qui ne m'avait pas quitté, y compris dans l'inconscience, de la douleur qui avait accompagné le néant. J'avais l'impression d'être totalement déconnectée de mon propre corps, enfermée dans un petit coin de ma tête, sans plus de contrôle sur rien. J'étais impuissante face à cela, incapable de réfléchir. La souffrance était trop forte. Je n'avais aucun moyen de lui échapper.

Je me sentais faible, soudain, et je devais être encore plus blanche que d'habitude. Je fus incapable de répondre. S'il ne m'avait observé, l'air suspect, je me serais assise par terre, la tête entre les genoux. J'avais oublié les disparitions de randonneurs, les empreintes sanglantes... Je n'avais pas relié ces événements avec ce que j'avais compris grâce à mon rêve.

Il ferma les paupières, perdu dans sa douloureuse confession. J'étais attentive, avide, irrationnelle. Le bon sens me susurrait que j'aurais dû être terrifiée. Au lieu de quoi, j'étais soulagée de comprendre, enfin. Surtout, j'étais pleine de compassion pour ce qu'il endurait, alors même qu'il m'avouait être calciné par le désir de m'ôter la vie.

Il m'a d'abord mordue au bras et j'ai bien cru que ses crocs allaient me transpercer l'os. Si je n'avais pas relevé le bras, il aurait eu mon cou, ce qui m'aurait tuée. La douleur était telle que j'ai failli m'évanouir - mais ce n'était pas le moment. Il m'écrasait de tout son poids. Ses mains maintenaient mon bras libre au sol, et ses jambes essayaient d'écarter les miennes. Une autre faim tenaillait le nouveau vampire...

Comme le gros loup noir, je tremblais de partout et j'étais parcourue de frissons. Ma jambe était mouillée, mes collants déchirés. Un filet de sang coulait le long de mon mollet droit. Est-ce que, dans la précipitation, je m'étais écorchée sur le montant de la porte ou... est-ce que j'avais été mordue ? Oh ! mon Dieu, si j'avais été mordue...

J'avais franchi la porte d'entrée avant que Sam ait pu me rattraper. J'ai contourné la maison en courant comme une folle, tant et si bien que je me suis étalée de tout mon long sur un tas de bois. Sans me préoccuper de la douleur - je savais que je le paierai plus tard -, j'ai sauté pour l'enjamber et je me suis une fois de plus sentie soulevée par les puissants bras de Calvin Norris.

J'ai continué à le supplier et il a continué à me sucer le sang. J'avais de plus en plus froid et je sentais peu à peu mes forces m'abandonner. Je n'ai même pas essayé de me débattre, ça n'aurait servi à rien : il me coinçait contre lui, ses bras refermés autour de moi comme des tenailles. Et ça n'aurait fait que l'exciter davantage.

J'avais instinctivement fermé les yeux. L'explosion des vitres, les rugissements des vampires, les hurlements des humains... J'étais assaillie de bruits assourdissants, alors même que les vagues de rages meurtrières d'une armée de cerveaux saturés d'adrénaline me submergeaient. Quand les choses se sont un peu calmées, j'ai rouvert les yeux pour regarder Eric...

Je me suis précipitée dans la légère dépression formée par le cimetière, pour remonter en courant de l 'autre côté. Lorsque j'ai estimé qu'il y avait suffisamment de grandes pierres tombales et de statues entre lui et moi, je me suis glissée derrière une haute colonne de granit surmontée d'une croix. Je tenais une main fermement sur mes lèvres pour comprimer le bruit de ma respiration saccadée. Je me suis forcée à me calmer pour essayer de lire son esprit, mais ses pensées étaient trop incohérentes pour que je parvienne à les déchiffrer. Hormis la rage qu'il ressentait.