Livia - Tome 3 - De la Lande au Maquis

Livia n’est pas surprise du regard des passants, elle s’en trouve même quelque peu amusée. Elle marche sans le moindre embarras auprès de cette créature longiligne qui, les mains dans les poches de son pantalon, n’arrête pas de bavarder :

— Je voudrais t’emmener au Véfour, c’est un joyau de l’art décoratif, mais l’immeuble est du 17e, et son passé est des plus prestigieux. Je ne sais par quel cardinal il fut édifié ! Tout ce dont je me souviens est qu’il a été construit pour rapprocher un homme d’Église de la belle et libertine d’Anne d’Autriche. Il devint ensuite un restaurant très sélect où se retrouvaient les écrivains et les hommes d’État. Bonaparte et Joséphine y venaient régulièrement, ainsi que Georges Sand, Victor Hugo, le prince de Joinville. La belle Otéro y dansa sur les tables de marbre rose. Cela devait être particulièrement affolant. Fragonard a vécu dans l’immeuble où d’ailleurs il mourut en mangeant une glace, mais je ne suis jamais parvenue à savoir s’il a rendu l’âme à son domicile ou dans le restaurant. Le temps du raffinement est passé et ce n’est désormais qu’une simple gargote. Cela n’a pas d’importance, nous pouvons encore y voir la grande Colette et le cher Jean Cocteau que j’ai croisé tantôt et qui m’a demandé de tes nouvelles… Je suis fière de toi ! Non seulement tu séduis les hommes, mais aussi les petits-maîtres, les prétentieux qui ont des tendances un peu équivoques, sans oublier les femmes qui feraient de singulières folies pour partager ta couche.