Juste de l'amour, Tome 0.5 : Avec ou sans robe...

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— Dégage de ta bagnole, et plus vite que ça !

Noelle Gregory regardait fixement par la vitre ouverte le doigt ganté de cuir dirigé vers elle. Pourquoi tant de cruauté, quand la journée avait si bien commencé ? Les après-midi ensoleillés n’étaient pas légion, fin décembre, il fallait en profiter. C’est exactement ce qu’elle avait fait, jusqu’au moment où elle s’était arrêtée à un carrefour désert – quatre rues avant son maudit appartement – et s’était retrouvée nez à nez avec un type débraillé qui lui lançait des regards hostiles et faisait – très mal – croire qu’il pointait une arme dans sa direction.

Tout ça, c’était la faute du soleil, qui lui avait fait croire au retour du printemps. Un vrai petit farceur, celui-là, car la neige menaçait de tomber d’un moment à l’autre, à présent. Mais il y avait légèrement plus urgent que la météo.

— Je ne peux pas vous laisser ma voiture. Elle est quasiment neuve, couina-t-elle, se rendant compte un peu tard qu’elle avait dit exactement ce qu’il ne fallait pas si elle comptait garder sa Hyundai.

Son agresseur eut l’air surpris. Pas étonnant. Les victimes de car-jacking chipotaient sûrement moins, d’habitude.

En même temps, les victimes de car-jacking n’étaient pas toutes en route vers LE rendez-vous censé marquer un tournant dans leur vie sexuelle.

Elle devrait peut-être tenter de le raisonner. Dans sa petite ville paumée du fin fond de l’Ohio, où tout le monde connaissait tout le monde et son chien, risquait-elle vraiment de se faire tabasser par ce type ? Très peu probable. En théorie.

— Je suis sûre qu’en vrai, vous n’avez pas envie de me dépouiller. Pas le jour de la Saint-Sylvestre.

— J’en ai rien à foutre du jour qu’on est. Vire de là, je t’ai dit !

— Écoutez, on peut sûrement s’arranger. (Il n’était peut-être pas armé, mais ses mains étaient énormes. Il valait mieux tenter un compromis.) Vous voulez de l’argent ? Je n’ai pas beaucoup de liquide, mais je vous donne tout ce que j’ai.

Aussitôt, elle se pencha pour attraper son sac.

— C’est pas ton fric que je veux. C’est ta putain de bagnole !

— Attendez, j’ai un billet de vingt…

Elle n’eut pas le temps de finir qu’il ouvrit violemment le véhicule et l’attrapa par le bras pour la sortir sans ménagement. Elle hurla et tenta de le frapper, mais c’était un rapide. Avant qu’elle comprenne ce qui lui arrivait, il se mit au volant, claqua la portière et quitta les lieux dans un crissement de pneus.

— Merde !

Elle porta la main à la bouche en voyant son petit bijou rouge cerise disparaître au coin de la rue. Se rappelant ce qu’elle avait laissé dedans, elle ferma les yeux très fort.

— Oh non. Merde-merde-merde.

Cet abruti lui avait piqué sa voiture. C’était vraiment moche de faire ça, d’autant qu’elle se sentait un peu responsable, vu qu’elle n’avait pas activé la fermeture centrale et que sa vitre était baissée. Mais l’assurance se chargerait de la rembourser, et la police de traquer le voleur. On ne pouvait pas exactement dire que Sanderson était une mégapole.

En revanche, il y avait deux choses pour lesquelles personne ne pouvait rien : la robe de soirée canon oubliée sur la banquette arrière, et les photos jaunies de sa Nana qu’elle gardait toujours dans son porte-monnaie.

Noelle sentit des larmes lui piquer les yeux. Elle n’en pouvait plus de ce mois de décembre. D’abord, il y avait eu les rumeurs de fermeture imminente chez Goldman. Son travail au grand magasin était devenu bien plus important que le simple job pris en attendant de terminer sa formation de décoratrice d’intérieur. Ensuite, ses parents s’y étaient mis en décidant de s’offrir des vacances à Hawaï, histoire de « pimenter leur mariage » ; et juste après, ça avait été au tour de sa petite sœur d’annoncer qu’elle passerait les fêtes de fin d’année chez des amis, très loin de là. En un claquement de doigts, le 25 décembre en famille s’était transformé en une journée morose, où Noelle s’était assommée à coups de films niais.

Mais si tout allait bien, ce soir…

Elle essuya ses joues mouillées d’un geste brusque. À qui allait-elle faire croire ça ? La probabilité pour qu’elle ne réveillonne pas seule comme une vieille chaussette était quasi nulle. Il restait encore quelques heures avant la fête d’Alexa, mais à cause de ce foutu 31 décembre, le centre commercial allait bientôt fermer. Jamais elle n’arriverait à remplacer à temps la robe.

— Mademoiselle, vous allez bien ? Mademoiselle !

À travers ses yeux embués, elle vit un vieux monsieur s’approcher d’elle en gesticulant. L’inquiétude se lisait sur son visage anguleux, et dans sa hâte, il avait laissé la portière de son beau 4 × 4 ouverte. Un bon samaritain.