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- Tu crois en qui, toi ? me demande-t-elle brusquement. A Dieu ? Bouddha ? Aux petits hommes verts ? A rien ?

Je prends un instant pour réfléchir.

- Allez... Tu dois bien croire en quelque chose. Même les gens qui n'y réfléchissent pas beaucoup croient, tout au fond de leur coeur. Ta mère est chrétienne ? Est-ce que tu...

- En moi.

Sophia se tait pour me laisser poursuivre.

- Je crois en moi.

- Ça fait très fille-magique-de-dessin-animé-japonais, commente-t-elle en riant.

- Pas du tout. Ou disons que je ne trouve pas. Je ne connais que moi. Je ne sais rien de Dieu, ou des dieux, ou des petits hommes verts. Je ne sais pas s'il y a une vie après la mort ni ce qu'il s'y passe. Je sais juste que ce sera une surprise. Et que jusque-là, la seule chose que je puisse faire, c'est être moi-même. Prendre soin de moi et vivre jusqu'à ce que ce ne soit plus possible.

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Un jour, j'arrêterai de penser à voix haute et ce jour sera vraiment triste pour l'humanité. Et plus calme, aussi.

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- Je suis un peu perdue. Et un peu triste. Mais je… j’apprends. J’apprends à m’aimer de nouveau. Lentement. Je ne m’en serais jamais crue capable. Tu vois ce que je veux dire ?

Elle acquiesce. Je poursuis.

- Mais c’est pas facile. Entre mon père, qui n’en a strictement rien à faire de maman et moi. Toi, la seule personne qui m’ait jamais comprise, qui vit à des milliers de kilomètres. Et mes amis qui vont tous dans des facs différentes l’année prochaine… La fac… Oh, mon Dieu ! Je vais devoir passer quatre années à me remplir la cervelle avec des trucs à la con tout en apprenant à survivre à une camarade de chambre en résidence universitaire, à partager ma douche, à être boursière, à rédiger des dissertes et à subir la pression d’une future carrière indéterminée. C’est vrai, quoi ? Qu’est-ce que je vais faire ? Comment est-ce qu’on fait pour trouver un appartement et payer son loyer ? Comment est-ce que je vais gagner de l’argent ?

- Moi, j’ai fait du strip-tease, à dix-neuf ans…, suggère tante Beth.

- Le strip-tease semble définitivement la voie, je lui accorde. Mais ne dis rien à maman.

Elle fait semblant de zipper sa bouche, et reprend la parole en souriant.

- Ne fais pas de strip-tease.

- Euh… J’avais pigé.

Le vent soulève alors sa jupe. Je lui propose ma veste, qu’elle refuse.

- Je ne vais pas tarder à retourner à l’intérieur. Garde-la.

- Quoi ? Je n’ai pas le droit de me sentir concernée par ton bien-être ?

- Non. (Elle se tourne vers moi, l’air soudain sérieux.) Occupe-toi de toi, assène ma tante d’un ton grave.

Elle expire doucement.

- Je ne plaisante pas, Isis. Tu dois commencer à prendre soin de toi. Pas de moi, pas de ta mère, pas de tes amis. De toi. Tu es quelquun de précieux. Il n’y a pas deux personnes comme toi sur cette planète. Si jamais tu te retrouves à plat ou blessée parce que tu n’auras pas pris soin de toi-même, je ne te le pardonnerai jamais.

Ce n’est pas une menace, ça ne peut pas l’être lorsque des petites larmes brillent dans ses yeux. J’enfile ma veste. Sa chaleur fait du bien, vu la fraîcheur de l’air.

- J’essaie.

- Non, tu n’essaies pas, me reprend ma tante. Pas vraiment. Mais si tu apprends à t’aimer de nouveau comme tu me l’as dit, alors ça finira par venir. Et il faudra que tu laisses faire, quand ça arrivera.

Ne comprenant pas tout à fait ce qu’elle veut dire, je hoche la tête.

- OK.

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- Je veux t’aider à avancer. Si tu en as envie.

- Et… et Sophia ?

- Elle fera toujours partie de ma vie et je la soutiendrai toujours. Mais je sais qui je veux vraiment, maintenant. La vérité est là, juste sous mon nez. Elle me regarde droit dans les yeux, absolument adorable avec ma chemise sur le dos.

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- C'est... Qui les a préparées ?

- Tu aimes ? fait maman qui prend une bouchée. Je les trouve vraiment délicieuse.

- Mmm... Je suis la reine de l'évitement et je peux te dire que tu sens l'évitement à plein nez, là, maman.

Ma mère fronce les sourcils.

- C'est Jack.

Je regarde les lasagnes, ma mère, puis de nouveau mon assiette avant de courir aux toilettes et de fourrer mes doigts dans ma gorge.

- Chérie ! crie maman en frappant à la porte. Qu'est-ce que tu fais ?

- Elles sont empoisonnées ! je crie en retour sans retirer mes doigts. Mange du pain et prends du Pepto-Bismol pour ralentir la propagation du poison dans ton sang !

- Ne sois pas ridicule, Isis !

- Euh..., fais-je en ouvrant la porte. Tu n'es pas à la page le concernant : ce type, c'est le diable. Il a trompé sa petite amie, il l'a pratiquement abandonnée ces trois dernières semaines, il me déteste...

Le regard déjà noir de maman devient assassin. Elle m'attrape par l'oreille comme elle faisait quand j'étais petite et m'entraine vers la cuisine.

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"-Tu es la fille la plus déroutante que j'aie jamais rencontrée.

-Ouais. Et j'en suis fière.

-Tant mieux."

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Elle court parce qu'elle ne supporte pas l'idée de celle qu'elle était encore un pas auparavant.

Isis, p61

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Jack a perdu une partie de lui-même, tout le monde s’en rend compte. Les yeux bruns d’Isis se tournent vers lui de temps à autre pour scruter les traits de son visage, ses mains. Elle donne l’impression de vouloir le rejoindre pour le réconforter, mais de ne pas savoir comment s’y prendre. Elle semble même se demander si elle aurait le droit de le toucher dans ce moment de peine.

Jack plaît à Isis, c’est évident. Et elle lui a plu, elle aussi, pendant un moment. Mais maintenant ? Quoi que ces deux-là commençaient à éprouver l’un pour l’autre, c’est terminé. Forcément. La mort de Sophia a remis à plat toutes nos relations, les amitiés que nous avions tissées.

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Sa main serre la mienne. Un petit sourire sardonique lui monte aux lèvres.

— Je suis beaucoup trop sérieux et j’ai appris cette année… (Il s’interrompt pour me regarder.) J’ai appris que ça pouvait tuer. De l’intérieur. J’ai à peine vécu ces dernières années. C’est cliché et maso, mais la première fois que tu m’as frappé…

Il secoue la tête et rit.

— J’ai eu l’impression de sortir du coma, ou de remonter à la surface de l’océan pour reprendre de l’air. Pour la première fois depuis longtemps, j’éprouvais quelque chose. Ma vie n’était plus figée et silencieuse. Elle était en mouvement. Grâce à toi. Tu la remplissais de bruit quand personne d’autre ne le faisait.

Un poids immense tombe sur ma poitrine, tout à coup. Le visage de Jack exprime une telle tristesse.

— Après tout ce qui s’était passé, j’étais certain que rien ne pourrait à nouveau me faire éprouver ça. Mais tu as débarqué, dans toute ton horripilante et sublime gloire, et tu m’as prouvé que j’avais tort.

Il porte ma main à ses lèvres et l’embrasse doucement.

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— Alors ? Comment elle va ? me demande-t-il.

— Bien. Elle m’a envoyé lui chercher un autre verre. Tu devrais monter la voir. La faire descendre, danser avec elle…

Il tressaille, mais le cache bien.

— Je ne lui ai toujours pas dit.

— Je sais. Et je ne t’ai pas dit certaines choses, moi non plus. OK, on ne se raconte pas tout les uns aux autres. Mais c’est bon. Les secrets sont monnaie courante, dans le coin, même si c’est hyper flippant.

— J’ai quelque chose de très important à t’avouer. Et j’ai vraiment besoin que tu le saches, insiste-t-il, ses yeux bleus plongés dans les miens.

— Ne fais pas ça. Pas maintenant.

— Je vais devenir complètement dingue si je ne te le dis pas, Isis, déclare-t-il en se penchant vers moi. J’ai besoin que tu saches. Je veux que tu saches que…

— Isis ! Viens danser !

Kayla surgit à mes côtés, visiblement bourrée, et m’entraîne par la main vers la piste de danse. Jack tient toujours mon autre poignet, mais délicatement.

— S’il te plaît, Isis, j’en ai juste pour une seconde…

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