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** Extrait offert par Nicole Locke **

Chapitre 1

Londres, au mois d’octobre de l’an de grâce 1296

Elle n’y arriverait jamais !

Haletante, les mains serrées sur le sceau qu’elle pressait contre sa poitrine, elle s’arrêta de courir et s’adossa au mur.

Si ! fit-elle en son for intérieur avec un sursaut de courage. Elle irait jusqu’au bout et remporterait la palme. Elle ne pouvait plus renoncer maintenant. Elle était trop proche de la victoire. C’était tout ce labyrinthe de corridors qui la rendait aussi anxieuse car elle ne savait plus dans quelle direction elle avançait.

La nuit dans laquelle elle était plongée était plus oppressante encore que l’air glacé qu’elle respirait et la pierre humide à laquelle elle s’appuyait.

Depuis combien de temps courait-elle ? Elle n’aurait jamais dû accepter de participer à ce jeu. D’ailleurs, en premier lieu, elle n’aurait jamais dû accepter de se rendre à la cour.

Comme si elle avait eu le choix ! Le roi Édouard avait besoin d’argent, et sa famille, composée de riches marchands de laine, était lourdement taxée. Aussi, pour compenser, le roi la conviait-il souvent à la cour. Au comble du bonheur, le père d’Alice s’y était toujours rendu seul. Cette fois-ci, cependant, le souverain avait convié personnellement la jeune fille. Or, il n’était pas possible de se soustraire à ce genre de requête.

Elle aurait pu, néanmoins, éviter de participer au jeu consistant à retrouver un sceau. Ayant remarqué que le roi n’était pas à la tour de Londres, elle avait essayé de s’en dispenser, mais quelqu’un avait mis son nom dans l’urne et le hasard avait voulu qu’il en fût tiré. Les participants du jeu avaient ensuite été conduits dans un réseau de sombres tunnels où ils étaient censés trouver un sceau et résoudre une énigme.

Or, cela n’aurait pas dû être difficile. Même si elle ne savait pas où elle allait, elle avait cru pouvoir se fier à son ouïe qui la renseignait sur la Tamise dont elle entendait clapoter les flots, et sur les autres compétiteurs dont elle percevait le bruit des pas. Ce sens, cependant, semblait l’abandonner car, depuis quelques instants, plus aucun son ne parvenait jusqu’à elle. Un silence de mort l’enveloppait.

Elle se mit à faire rouler le sceau entre ses mains pour se calmer. Ni tout à fait rond, ni tout à fait carré, il était trop grand pour ses mains mais ne pouvait être que le sceau que les participants au jeu étaient censés trouver. Et elle ne doutait pas d’avoir compris le mystère caché sous l’énigme : Trouvez la porte qui porte la lumière !

Une porte, dans un lieu obscur comme celui-ci, ne pouvait diffuser de lumière. Celle-ci était nécessairement derrière la porte et n’était visible, éventuellement, qu’entre elle et le chambranle. La jeune fille avait, d’ailleurs, ouvert plus d’une porte qui n’était pas auréolée de lumière dans ces corridors sombres, mais toutes débouchaient sur un espace où régnait une nuit encore plus épaisse.

Son souffle s’accéléra. Si elle ne voulait pas perdre complètement ses moyens, elle devait chasser de son esprit l’idée qu’elle avait toujours eu peur du noir et ne se concentrer que sur la clarté, même la plus faible, qui pourrait se révéler au bout de l’un de ces interminables tunnels voûtés. La solution la plus sage serait même, peut-être, de ne penser qu’à l’énigme et à sa résolution. Cela lui permettrait, éventuellement, d’oublier l’obscurité.

Un rire, soudain, résonna ! Un rire émis par une voix aiguë. Puis le silence retomba, plus pesant alors qu’avant.

D’où venait ce rire ? Il avait éclaté puis s’était évanoui si rapidement qu’elle n’avait pas réussi à savoir de quelle direction il provenait. Avait-il été émis par un autre compétiteur ou par quelque intrus caché dans l’ombre ?

De toute façon, elle ne pouvait pas rester ici indéfiniment. Elle se détacha du mur en poussant dessus des deux mains et s’engagea sur sa gauche. Peut-être décrivait-elle des cercles sans le savoir, mais il fallait tout de même avancer. L’énigme n’excluait pas qu’il y eût d’autres sceaux. Or, certains les avaient peut-être déjà trouvés et touchaient au but avant elle.

Elle n’osa pas, cependant, se remettre à courir et se contenta de marcher d’un pas plus rapide. Si elle glissait sur les dalles humides et laissait tomber le sceau, elle s’exposait au risque de ne plus jamais le retrouver. Mais, en se montrant trop prudente, elle pouvait tout simplement échouer dans cette épreuve. Il fallait aller vite sans perdre l’équilibre. En gagnant la compétition, d’ailleurs, elle échapperait plus vite à cette nuit angoissante.

Encore quelques pas et, soudain, le sol sembla se dérober sous elle…

S’agissait-il d’un escalier ?

Elle battit l’air des mains jusqu’à ce qu’elle eût atteint l’un des murs latéraux et, tout en laissant glisser sa main le long des pierres, elle suivit le corridor qui devenait un escalier en colimaçon.

Elle descendit quelques marches puis, soudain, vit se dresser devant elle une porte solidement barrée et auréolée de lumière.

Un murmure de voix et de rires contenus parvenait jusqu’à elle à travers les lourds panneaux de chêne armés de ferrures.

C’était la porte ! Elle l’avait trouvée !

Elle passa la main sur le panneau de bois jusqu’à ce qu’elle rencontrât le loquet.

D’autres sons résonnèrent dans son dos : des rires et des bruits de pas précipités. Il n’y avait plus un instant à perdre. Elle mit le sceau sous son pied de crainte de le perdre et saisit la clenche des deux mains. Elle ne parvenait pas à la soulever, comme si quelqu’un, de l’autre côté de la porte, pesait dessus de tout son poids. Oserait-elle crier pour qu’on lui ouvrît ?

Les bruits de pas derrière elle se rapprochaient… Si elle n’entrait pas tout de suite, elle risquait de tout perdre…

Dans un ultime effort, elle réussit à soulever la clenche et la porte s’ouvrit.

Elle ramassa le sceau et s’élança dans la salle où les innombrables chandelles allumées l’aveuglèrent. Elle se heurta à un mur en cotte de mailles et perdit l’équilibre.

Alors qu’elle tombait en arrière, de solides bras lui enlacèrent la taille et la soulevèrent. Le sceau serré sur la poitrine, elle sentit ses pieds se détacher du sol tandis qu’elle était plaquée contre le corps ferme d’un homme accoutumé, assurément, au maniement des armes.

Toujours éblouie par la lumière, elle ne put distinguer son visage mais sentit son ventre plat contre le sien et sa poitrine frotta contre les plaques de métal d’une armure.

L’homme d’armes, qui qu’il fût, la tenait serrée contre lui comme s’il avait un droit sur elle. Elle reprit sa respiration et capta une odeur de cuir et de métal ainsi que celle, particulière, de cet homme, qui éveillait dans sa mémoire un souvenir insaisissable et familier… Cette odeur fit naître soudain en elle un désir irrépressible…

Une succession d’images passa dans son esprit. Ce ne pouvait être lui… Non ! Elle ne voulait pas le croire.

Un autre sentiment, soudain, s’empara d’elle. C’était une impression, plutôt… Et elle était plus forte que la gêne qu’elle éprouvait du fait d’être serrée si fortement dans les bras de cet inconnu.

Et ce sentiment n’était rien d’autre que la peur.

Clignant des paupières, elle s’efforça de recouvrer la vue et son regard fut capté par le plus pur bleu de tous les regards qu’il lui eût jamais été donné de contempler. Ou, plutôt, par un regard d’un bleu unique et qu’elle n’avait pas eu l’occasion de voir depuis des années. La peur courut de plus belle entre ses reins et jusqu’à son cerveau.

Elle battit de nouveau des paupières… Non… Ce n’étaient pas les mêmes yeux, même s’ils étaient d’un bleu limpide comme un ciel d’été, trop brillants et perçants pour être réels. On leur avait, toutefois, retiré la lumière… Bien qu’incroyablement clairs et d’une couleur étonnante, ils portaient en eux quelque chose d’autre, une ombre effrayante comme si une tempête imprévisible était sur le point d’y éclater.

Il y avait d’autres aspects de ce chevalier qui ne correspondaient pas non plus au souvenir qu’elle gardait de lui. Ses cheveux blonds ne formaient pas de vagues autour de ses épaules. Coupés court, ils ne présentaient de boucles qu’autour des oreilles. Il n’avait pas le teint pâle des jeunes gens qui avaient grandi dans une certaine ville au ciel presque toujours nuageux ou brumeux, mais était hâlé par le soleil.

Dans la clarté des innombrables flammes des chandelles, ses traits n’étaient que lignes dures et acérées inspirant un sentiment de férocité duquel était exclue toute douceur. Il présentait de petites rides autour des yeux qui n’exprimaient pas la joie mais la détermination. Ses lèvres, faites pour sourire, s’incurvaient à la commissure, donnant à sa sensualité une touche d’amertume.

Mais cette apparence menaçante ne dissimulait en rien la pure beauté de ses traits. La seule imperfection qui pouvait être décelée dans son visage était la forme du nez un peu tourné vers la gauche.

Ce nez ne lui était pas inconnu ! Elle l’avait frappé, autrefois, si fort qu’elle l’avait même cassé ! Contre son gré, elle s’obligea à lever le regard sur les yeux bleus qui continuaient de la scruter.

Cette fois, elle se sentit comme enchaînée à cet homme. Elle était incapable de faire un geste et ne pouvait même plus respirer. Hélas ! Elle connaissait ce regard et sentait bien que celui à qui il appartenait la connaissait aussi. Son expression le proclamait sans ambiguïté.

Elle ne pouvait se persuader, cependant, que ce chevalier fût celui qu’elle croyait reconnaître. Elle n’avait pas entendu parler de lui ni ne l’avait vu depuis plus de six ans. En fait, elle l’avait cru mort ou, du moins, avait-elle voulu le croire mort. Et encore aujourd’hui elle aurait voulu que ce fût le cas.

— Hugh ? fit-elle involontairement.

L’homme, aussitôt, esquissa un sourire.

Elle ne connaissait que trop bien cette expression rusée.

Sa vue, soudain, se troubla et il lui sembla que tout tournait autour d’elle. Les mains du chevalier, aussitôt, se raffermirent dans son dos tandis qu’il la serrait contre lui pour l’empêcher de tomber.

Elle perdait connaissance…

Hugh la redressa alors qu’il cherchait son propre équilibre. Cela suffit à Alice pour détourner le regard du sien et recouvrer ses esprits. Les vertiges passés, la salle redevint visible.

Elle fut assaillie, soudain, par les lourds parfums des nombreux convives. Tout brillait autour d’elle dans la flamme dansante des torchères fixées aux murs : les ors, l’argent, jusqu’aux riches brocarts de soie des costumes chamarrés. Tous les regards étaient tournés vers elle. Elle voyait bouger les lèvres de ceux qui l’entouraient, mais le bourdonnement dans ses oreilles couvrait leurs paroles.

Elle poussa des deux mains contre la poitrine de Hugh mais, au lieu de la libérer tout de suite, il la laissa descendre lentement jusqu’au sol. Le frottement de la cotte de mailles tendue sur son corps aux muscles d’acier eut sur la peau d’Alice l’effet d’un abrasif. L’excitation se transmit à la pointe de ses seins et même au cœur de sa féminité malgré ses nombreux jupons si bien qu’instinctivement, tout en descendant vers les dalles du sol, elle noua les jambes autour de ses cuisses.

La position trop intime était entêtante… Lorsque ses pieds touchèrent le sol, elle eut l’impression qu’elle venait de tomber d’une hauteur infinie.

En proie au vertige, elle appuya la tête contre sa poitrine et sentit le rythme rapide de sa respiration et les battements de son cœur. Hugh, dans un geste qui n’était que trop familier et possessif, lui enserra de nouveau la taille de ses mains. Il n’avait aucun droit de se comporter ainsi avec elle car il avait refusé les avances qu’autrefois elle lui avait faites.

— Lâchez-moi, dit-elle en évitant de croiser son regard.

Il la libéra aussitôt et s’écarta d’elle. Mais immédiatement, la foule des courtisans referma son étau autour d’elle en occupant l’espace qu’il laissait vide. Elle percevait, à présent, le son de leurs voix. C’étaient des rires, des cris de protestation, des commentaires bruyants, des exclamations outragées.

De jeunes hommes observaient sa poitrine en la montrant du doigt. Le sang lui monta aux joues en constatant qu’ils désignaient le relief de ses mamelons imprimé dans le lin de sa chemise. Mais, en la tenant aussi serrée qu’il l’avait fait, Hugh n’avait-il pas créé un autre désordre dans sa tenue ? Son décolleté ne s’était-il pas agrandi, laissant voir la naissance de sa poitrine ?

Elle baissa les yeux sur son surcot et constata avec soulagement qu’il n’y avait rien d’indécent dans sa tenue à l’exception de la protubérance de la pointe de ses seins visible sous le ruban de soie verte qui lui entourait le buste et les bras. Elle n’avait aucune raison de s’inquiéter.

Il lui revint soudain en mémoire qu’elle serrait le sceau sous son bras. Le sceau ! C’était elle qui l’avait trouvé !

Comment avait-elle pu oublier la raison pour laquelle elle était là ? Combien de temps, d’ailleurs, Hugh l’avait-il tenue dans ses bras alors qu’elle le regardait comme si elle n’avait attendu que cela ?

La gêne qui s’empara d’elle ne fit qu’accentuer la chaleur qu’elle ressentait dans ses joues. Cette fois, elle sut qu’elle devenait toute rouge. Elle n’y pouvait rien mais, par contre, elle avait la liberté de ne pas tenir compte de sa réaction.

S’efforçant de paraître aussi froide que possible, elle releva les yeux. Hugh avait disparu. Les courtisans la pressaient de toute part et la poussaient dans une certaine direction. Plantant les talons contre les dalles, elle essaya de leur résister jusqu’au moment où ils s’écartèrent brusquement devant elle. Après une dernière poussée, elle se retrouva dans une sorte de clairière au milieu d’une forêt d’humains.

Elle effaça les plis de sa robe et se redressa, enfin, pour faire face à cette multitude de courtisans. La pourpre et l’éclat de l’or attirèrent son regard sur sa gauche et elle resta médusée.

Incrédule, elle se tourna vers le trône du roi recouvert d’or fin et incrusté de pierreries. Or, il n’était pas vide ! S’y tenait un homme long et mince arborant une barbe.

Luttant contre l’envie de fuir, Alice lui fit une profonde révérence. Le roi Édouard, de retour dans la tour de Londres, baissait les yeux sur elle.

— Relevez-vous, ma damoiselle. Il semblerait que vous soyez en possession de quelque objet m’appartenant.

La jeune fille se redressa, les mains et les genoux tremblants. De crainte de le laisser tomber, elle pressait le sceau contre son ventre, mais ce n’était pas vraiment ce qui intéressait le souverain, qui n’y prêtait presque aucune attention.

Alice, à cet instant, prit conscience d’à quel point son comportement était éloigné de l’étiquette de la cour. Les cheveux emmêlés après avoir tant couru dans les caves de la résidence royale, la robe et le surcot chiffonnés, les joues en feu, les esprits, même, tout retournés, elle n’était absolument pas dans l’état qui convenait pour paraître devant le roi.

Mais tout cela était injuste. Personne ne l’avait informée de l’arrivée du monarque. D’ailleurs, elle venait de passer les dernières heures dans la plus profonde obscurité tant au sens propre qu’au figuré.

Comme si leur seule évocation faisait resurgir les ténèbres, ils l’enveloppèrent de nouveau, obscurcissant sa pensée. Il lui sembla qu’elle allait s’évanouir…

Non !

Relevant le menton, elle voua la nuit à l’enfer et, si elle en avait eu le droit, en aurait fait autant du roi pour l’avoir mise dans cette situation inconfortable. Le jeu stupide auquel elle avait participé n’était-il pas de son invention ? Elle aurait bien aimé savoir ce qu’il attendait d’elle. D’ailleurs, avait-on jamais vu un monarque regarder avec autant d’insistance une simple fille ?

Il ne fallait pas, cependant, se leurrer. Ce n’était pas à son apparence qu’il s’intéressait. Il ne semblait pas remarquer que son surcot était froissé ni que de petites mèches de cheveux s’échappaient du jonc d’argent qui lui entourait la tête. Ce n’était pas son physique qui retenait son attention. Il donnait plutôt l’impression de soupeser sa personnalité.

Elle n’en pouvait plus. Si ça continuait, elle allait perdre connaissance.

— Comment vous appelez-vous ?

C’était la voix grave du roi qui venait de résonner sous les hautes voûtes de la salle qui, depuis quelques instants, était plongée dans un silence inhabituel.

— Alice Fenton, messire, répondit-elle.

— De Swaffham ?

— Oui, Votre Majesté.

Un petit rire s’échappa des lèvres du roi.

— Alors… C’est vous qui l’avez emporté.

Alice, qui aurait aimé que sa bouche fût moins sèche, ne savait que répondre. D’autant moins qu’en dépit de son rire le souverain fronçait les sourcils de telle manière qu’il donnait l’impression d’être préoccupé.

Mais peut-être n’était-ce pas lié à elle et que cette expression lui venait des graves problèmes lui restant à régler au nord du royaume. Si c’était le cas, cependant, pourquoi perdait-il son temps avec un jeu qui n’avait d’autre but que de distraire les courtisans ?

Le grand chambellan se présenta soudain à sa droite. Il avait entre ses mains une trompe de chasse en ivoire finement sculptée et enchâssée dans trois cercles d’argent qui brillaient comme des diamants sous la lueur des chandelles et des torches. Si c’était le prix qu’on lui attribuait pour avoir remporté le jeu, sa sœur ne lui avait pas menti quand elle évoquait devant elle les extravagances de la cour.

— Merci, Majesté, fit-elle en s’inclinant de nouveau devant le roi.

Le souverain acquiesça d’un signe de tête mais il regardait par-dessus l’épaule de la jeune fille quelque chose ou quelqu’un situé derrière elle. Elle aurait dû se retourner pour voir de qui ou de quoi il s’agissait, mais le chambellan lui tendait la trompe de chasse. Ses manières étaient ouvertement froides et distantes. Il déployait si peu son bras qu’Alice, si elle ne voulait pas donner l’impression qu’elle le dédaignait, dut se projeter en avant pour recevoir son prix.

Elle était presque contre le chambellan quand elle l’entendit lui murmurer quelques mots qu’elle seule pouvait percevoir.

— Vous vous rendrez dans l’antichambre du roi au début de la troisième chanson.

Déconcertée par ce message, la jeune fille n’eut aucune réaction quand le gentilhomme saisit le sceau royal puis lui mit la trompe entre les mains avant de se retirer.

Quand elle releva les yeux, il avait disparu et avec lui le roi. Comment avait-elle pu ne pas s’apercevoir que le souverain quittait son trône ? Tous les courtisans avaient dû, à cet instant, s’incliner devant lui. Que lui arrivait-il ? Elle n’avait jamais été aussi distraite.

Une nuée de courtisans, bientôt, l’entoura mais elle restait sourde à leurs commentaires enthousiastes.

Elle s’aperçut qu’un trouvère chantait à l’autre bout de la salle. En était-il à sa deuxième chanson ?

Non… Le chambellan venait tout juste de partir et les gens autour d’elle commençaient de danser. C’était le premier chant.

Au début du troisième, elle devrait se rendre auprès du roi ! Même si le chambellan ne lui avait pas dit de ne parler à personne de ce rendez-vous, elle savait qu’elle devait le garder secret. Elle n’avait pas l’intention non plus de faire état de la récompense qu’elle venait de recevoir. Tous ces courtisans étaient des étrangers pour elle. Elle ne l’avait jamais ressenti autant qu’à cet instant.

Elle ne pouvait, cependant, leur faire mauvaise mine alors qu’ils se pressaient autour d’elle pour la féliciter. Aussi s’efforçait-elle de leur répondre aimablement. Heureusement l’intérêt qu’ils lui témoignaient ne fut pas long à s’éteindre et elle se retrouva, bientôt, seule au milieu de la foule des convives.

On dansait, conversait, batifolait autour d’elle. Elle comprenait enfin en quoi consistait la vanité des occupations des courtisans. Ils riaient, s’agitaient, parlaient bruyamment… S’ils avaient bien voulu seulement se taire, elle aurait pu écouter attentivement le trouvère qui venait d’entamer le second chant.

Or, celui-ci, elle le connaissait.

Il ne lui restait plus beaucoup de temps avant de se rendre dans l’antichambre royale. Certainement pas assez pour rassembler ses esprits qui étaient aussi désordonnés que sa mise. Elle ignorait pourquoi elle était convoquée par le souverain et ne savait pas davantage la raison pour laquelle il avait semblé soupeser sa personnalité.

Peut-être qu’en gagnant le jeu elle avait pris de l’intérêt à ses yeux. La reine était morte depuis plusieurs années et il lui fallait se remarier. Était-ce la raison pour laquelle il l’avait regardée avec une telle insistance ? S’était-il demandé si elle ferait une maîtresse satisfaisante ?

Elle eut l’impression que son cœur allait se décrocher. C’eût été un honneur que le roi la remarquât, mais elle n’avait jamais espéré exister à ses yeux et, si elle en avait connu la conséquence, elle se serait gardée de remporter le jeu.

Elle fouilla la foule à la recherche d’une chevelure brillant comme l’or bien qu’elle n’eût pas besoin d’exercer son regard pour savoir que Hugh s’était retiré de la salle. Presque toute sa vie, elle avait eu conscience de la présence ou de l’absence de cet homme.

Or, en dehors de lui, elle n’avait personne ici à qui se confier. Elle s’était cru enviable de passer toute une semaine à la cour sans ses parents la poussant à danser avec tel ou tel homme qu’ils estimaient lui convenir. En ce moment, elle aurait pourtant aimé qu’ils fussent auprès d’elle. À quoi bon lui servait d’avoir une famille si aucun de ses membres n’était auprès d’elle quand elle en avait un aussi grand besoin ?

La deuxième chanson touchait à sa fin… Le moment était venu de se rendre auprès de Sa Majesté. Elle était trop inquiète pour regarder autour d’elle. Elle redoutait, en effet, de croiser le regard de courtisans devinant où elle se rendait, et qui n’auraient aucun doute sur ce qui l’attendait.

Les gardes à l’entrée de la porte de l’antichambre royale parurent méfiants en la voyant approcher, mais, au dernier moment, ils s’écartèrent juste assez pour lui laisser le passage et entrouvrirent la porte pour elle. Elle dut tout de même se présenter de trois quarts pour se glisser entre eux. Assurément elle n’était pas un hôte d’honneur.

Une fois à l’intérieur, elle entendit la porte se refermer derrière elle avec un bruit sourd. Aussitôt les éclats de voix et de rire ainsi que la musique furent comme étouffés. Elle prit conscience, trop tard, qu’elle avait jusque-là tiré réconfort de la compagnie des convives.

La pièce était éclairée par de hautes et étroites fenêtres aux vitraux translucides. La lumière naturelle du jour était apaisante en comparaison de celle de la salle du trône où brûlaient des centaines de chandelles et des dizaines de torches. Alice était étonnée de voir que le soleil ne s’était pas encore couché. Il lui semblait qu’il s’était passé beaucoup plus de temps depuis le début du grand jeu.

Les murs étaient décorés de fleurs de lys rouges. Un grand lit à baldaquin tendu de rideaux de velours verts se dressait devant le mur opposé à celui occupé par une cheminée monumentale. D’un autre côté de la pièce se trouvait un prie-Dieu au-dessous d’une grande croix dorée à l’or fin.

Le roi Édouard était assis au milieu de la pièce à côté d’une table rectangulaire couverte de plats en étain chargés de victuailles.

Il n’y avait personne d’autre en dehors d’elle et du souverain qui ne la recevait pas dans une antichambre mais, bel et bien, dans sa chambre à coucher.

Or, ces aspects n’étaient pas les seuls à l’interloquer. Elle était plus particulièrement troublée par l’ambiance de la chambre. Les rafraîchissements sur la table, le roi buvant du vin et goûtant à ces mets raffinés. Un sentiment de jouissance et de bien-être se dégageait de cette scène bien trop intime…

Comme Édouard tournait la tête vers elle, qu’elle fût ou non dans sa chambre, elle était en présence d’un monarque et fit spontanément la révérence.

— Approchez, dit le roi. Oubliez les formalités.

Il fit signe à Alice de s’asseoir sur un siège de l’autre côté de la table.

Elle s’exécuta sans jamais le quitter des yeux. Son expression était impénétrable, son regard sombre.

— Voulez-vous quelque rafraîchissement ? demanda-t-il, les yeux baissés sur la trompe qu’elle avait posée sur ses genoux.

— Non, merci, répondit-elle avec déférence.

Elle aurait été incapable d’avaler quoi que ce fût et s’étonnait même d’avoir été capable de prononcer un mot.

— Vous me semblez bien nerveuse.

— Je le suis, répondit-elle après un instant d’hésitation.

— Je n’y puis rien, fit le roi en soupirant. Je me demandais, d’ailleurs, comment vous réagiriez puisque vous êtes une femme.

Il la jugeait…

L’avait-elle déçu en laissant voir son anxiété ? Mais n’avait-elle pas toutes les raisons d’être nerveuse, de le craindre même, lui qui était monarque ? N’était-il pas l’un des plus puissants rois de la terre ? Elle avait conscience, cependant, que l’appréhension qu’elle éprouvait venait d’autre chose que de son pouvoir.

Elle se trouvait dans une situation à laquelle elle ne comprenait rien. Pourquoi le roi aurait-il quitté le champ de bataille et serait-il revenu à Londres pour participer à un jeu ? Et pourquoi se retrouvait-elle, à présent, dans ses appartements privés ?

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