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Extrait ajouté par Lolosup 2022-11-20T19:32:50+01:00

Daemon eut un sourire crispé.

- Je sais à quoi tu penses. Je ne peux pas lire dans ton esprit, mais c'est écrit sur ton visage. Tu crois que je suis dangereux.

Et con... Et très sexy. Mais il était hors de question que je l'admette.

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- Je refuse de sauter dans tous les sens pendant une heure.

- Tu peux aussi courir dans la maison et monter et descendre les escaliers.

Il s’interrompit. Quand son regard croisa le mien, son sourire se fit malicieux.

- On peut aussi coucher ensemble. J’ai entendu dire que ça faisait dépenser beaucoup d’énergie.

Je le dévisageai, bouche bée. Une part de moi aurait voulu lui rire au nez. Une autre se sentait offensée qu’il puisse suggérer une chose aussi ridicule. Mais la dernière appréciait l’idée. Ce n’était vraiment pas drôle. Daemon attendait ma réponse.

- Tu peux toujours rêver, mon pote. (Je fis un pas vers lui en levant un doigt.) Même si tu étais le dernier… Hé ! Je ne peux même pas dire « le dernier homme sur terre » !

- Kitten, murmura-t-il doucement avec une lueur de menace dans le regard.

Je n’y prêtai pas attention.

- Pas même si tu étais la dernière chose qui ressemble à un humain sur Terre. Compris ?

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Tu veux bien me montrer ta véritable forme ? Rassure-moi : tu ne brilles pas au soleil au moins ? Pitié, dis-moi que je n’ai pas failli embrasser un insecte géant mangeur de cerveau, sinon, je te jure que je vais…

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Extrait ajouté par Kiwi_2 2022-03-05T17:12:27+01:00

Les cartons s’empilaient dans ma nouvelle chambre et Internet n’était toujours pas opérationnel. Depuis mon arrivée ici, je n’avais pas pu mettre à jour mon blog littéraire. J’avais l’impression d’avoir été amputée d’un membre. À en croire ma mère, je passais beaucoup trop de temps à m’occuper des « Khroniques de Katy ». Ça me tenait à cœur, c’est vrai, mais elle exagérait un peu. Elle n’avait pas le même rapport aux livres que moi.

Je soupirai. Nous étions arrivées ici deux jours plus tôt et il nous restait des montagnes d’affaires à déballer. Je détestais vivre entourée de cartons. Ça me déplaisait encore plus que le fait d’avoir déménagé en Virginie-Occidentale (le coin le plus puritain des États-Unis).

Depuis notre arrivée, j’avais fait des progrès : je ne sursautais plus au moindre grincement. Ce n’était pas ma faute… Cette maison semblait tout droit sortie d’un film d’horreur. Il y avait même une tour ! C’était plus fort que moi.

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Extrait ajouté par Freg07 2022-03-03T10:37:28+01:00

Chapitre 8

Lorsque je revins à moi, j’avais un étrange goût métallique dans la bouche. La pluie battait contre le toit et le tonnerre grondait. Non loin de là, un éclair fendit le ciel, emplissant l’air d’électricité statique. Quand avait-il commencé à pleuvoir ? Dans mes souvenirs, il avait fait si beau, sans le moindre nuage, un temps parfait.

Un peu perdue, je pris une légère inspiration.

Mon épaule était pressée contre une surface dure et chaude. Quand je tournai la tête, elle se gonfla, puis se baissa de nouveau, tout doucement. Il me fallut une seconde pour comprendre que ma joue était posée contre un torse. Nous étions sur la balancelle. Daemon avait passé un bras autour de ma taille pour m’empêcher de glisser.

Je n’osais pas bouger.

La moindre parcelle de mon corps se réveilla sous l’effet de sa proximité. Sa cuisse était collée à la mienne. Sa respiration profonde et régulière soulevait son ventre sous ma main. Son pouce dessinait des cercles apaisants au bas de mon tee-shirt. Avec chaque mouvement, le tissu remontait davantage, m’exposant toujours un peu plus, jusqu’à ce que ses doigts rencontrent ma taille nue. Peau contre peau. J’avais chaud. Je frissonnais. Ce n’était pas une sensation qui m’était familière.

Ses mains se figèrent.

Je m’écartai légèrement de lui pour plonger mon regard dans ses yeux verts saisissants. — Que... s’est-il passé ?

— Tu t’es évanouie, répondit-il en retirant son bras de ma taille.

— C’est vrai ?

Je m’éloignai, mettant de la distance entre nous, et recoiffai les cheveux emmêlés qui me tombaient devant le visage. J’avais toujours un goût métallique dans la bouche. Il hocha la tête.

— Je suppose que l’ours t’a fait peur. Il a fallu que je te porte jusqu’ici.

— De là-bas ? (Mince, j’avais raté ça !) Que... que s’est-il passé avec l’ours ?

— L’orage l’a effrayé. Les éclairs, je pense. (Il fronça les sourcils tout en m’examinant.) Comment tu te sens ?

Un violent éclat de lumière nous aveugla soudain et, quelques instants plus tard, un grand coup de tonnerre résonna, étouffant le son de la pluie. Quand le visage de Daemon fut de nouveau plongé dans le noir, je secouai la tête.

— L’ours a eu peur de l’orage ?

— Je crois, oui.

— Alors, on a eu de la chance, murmurai-je en baissant le front.

J’étais trempée. Daemon aussi. La pluie tombait de plus en plus fort, à tel point qu’il

était difficile de voir à plus de quelques mètres au-delà du perron. J’avais l’impression qu’on était dans notre petit monde.

— Il pleut comme en Floride, ici.

Je ne savais pas quoi dire d’autre. J’avais l’impression que mon cerveau avait grillé. Daemon effleura mon genou du sien.

— Je crois que tu es coincée avec moi encore quelques minutes.

— Je suis sûre que je ressemble à un chat trempé.

— Mais non, tu es très bien. L’effet mouillé te va comme un gant.

Je grimaçai.

— Là, je sais que tu mens.

Je le sentis bouger près de moi. Sans un mot, il posa les doigts sous mon menton et souleva mon visage vers lui. Un léger sourire étirait ses lèvres.

— Je ne mens jamais sur ce genre de choses.

J’aurais adoré trouver une repartie, peut-être même flirter avec lui, mais son regard intense fit voler en éclats toute pensée cohérente que j’aurais pu formuler.

Quand il se pencha en avant, les lèvres entrouvertes, je lus de la confusion dans ses yeux.

— Je crois que je commence à comprendre.

— À comprendre quoi ? chuchotai-je.

— J’aime te voir rougir, répondit-il d’une voix pas plus forte qu’un murmure en me caressant la joue du pouce.

Il baissa la tête et posa son front contre le mien. On resta ainsi, tous les deux immobiles, rattrapés par une émotion qui n’avait pas été là jusqu’à présent. Je pense que j’arrêtai même de respirer. Mon cœur sembla s’emballer, avant de se figer. L’excitation m’emplissait tout entière, menaçait de déborder d’une minute à l’autre.

Le pire, c’était que je ne l’aimais pas. Et vice versa. C’était dingue, pourtant l’attirance était bien là.

La foudre tomba de nouveau, beaucoup plus près cette fois. Le grondement du tonnerre qui s’ensuivit ne nous surprit même pas. Nous étions dans notre propre monde.

Toute trace de sourire quitta son visage. Son regard, perplexe et désespéré, semblait sonder le mien.

Le temps parut ralentir, les secondes s’éterniser, comme un véritable supplice. J’attendis, en essayant de lui montrer que je souhaitais la même chose. Le vert de ses yeux s’obscurcit. Il avait le visage tendu, comme s’il menait une bataille intérieure. Quelque chose dans son regard me déstabilisait.

Lorsqu’il prit sa décision, je le compris immédiatement. Il inspira profondément et ferma les paupières. Je sentis son souffle contre ma joue, puis sur mes lèvres. Je savais que j’aurais dû me dégager. Ce mec ne m’apporterait rien de bon. Mais je n’arrivais plus à respirer. Ses lèvres étaient si proches des miennes que je n’avais qu’une envie : me pencher à mon tour et les embrasser pour savoir si elles étaient aussi douces qu’elles en avaient l’air.

— Hé, vous deux ! s’écria Dee.

Daemon recula vivement, mettant un espace plus normal entre nous.

Surprise et déçue à la fois, je pris une grande inspiration. Je ressentais un picotement, comme si mon corps avait été privé d’oxygène. Nous avions été tellement captivés l’un par l’autre qu’aucun de nous ne s’était rendu compte que la pluie avait cessé.

Dee monta les marches du perron. En nous voyant de plus près, son sourire s’estompa. Elle plissa les yeux. J’étais sûrement rouge comme une tomate. Il était évident qu’elle avait interrompu quelque chose. Toutefois, elle se contenta d’examiner son frère, les lèvres ouvertes en un « O » parfait.

Il lui sourit, de cette façon qui donnait l’impression qu’il riait intérieurement.

— Salut, sœurette. Quoi de neuf ?

— Rien, répondit-elle d’un air circonspect. Et toi, qu’est-ce que tu étais en train de faire ?

— Rien du tout, rétorqua-t-il à son tour en sautant de la balancelle. (Il me jeta un coup d’œil par-dessus ses larges épaules.) Je gagne des bons points.

À ces mots, l’atmosphère agréable dans laquelle je m’étais trouvée fut réduite en miettes. Daemon bondit dans le jardin et rentra chez lui. Même si je mourais d’envie de lui courir après et de lui botter les fesses, je me tournai vers Dee.

— Essayer de m’embrasser faisait aussi partie du contrat pour qu’il récupère ses clés ? demandai-je d’un air guindé.

J’avais mal partout.

Dee s’assit près de moi sur la balancelle.

— Non. On n’avait pas parlé de ça. (Elle cligna doucement les paupières.) Il était sur le point de t’embrasser ?

Mes joues s’enflammèrent de plus belle.

— Je ne sais pas.

— Waouh, murmura-t-elle, les yeux écarquillés. Je ne m’attendais pas du tout à ça.

C’était gênant. Je n’avais pas la moindre envie d’imaginer ce qui se serait passé si elle n’était pas arrivée... et encore moins avec elle à côté.

— Alors, tu es allée voir ta famille ?

— Oui. Je devais m’y coller avant la rentrée. Désolée de ne pas t’en avoir parlé. Ça s’est décidé à la dernière minute. (Dee marqua une pause.) Qu’est-ce que vous avez fait, Daemon et toi... avant qu’il essaie de t’embrasser ?

— On s’est promenés. C’est tout.

— C’est bizarre, poursuivit-elle en me dévisageant. Je lui avais volé ses clés, mais il les a récupérées entre-temps.

Je grimaçai.

— Ouais, merci beaucoup, d’ailleurs. Il n’y a rien de mieux que de forcer un garçon à sortir avec une fille pour booster son estime.

— Oh non ! Ce n’est pas ce que je voulais faire. J’ai juste pensé qu’il avait besoin... qu’on le motive un peu pour qu’il se montre plus gentil.

— Sa voiture doit vraiment compter beaucoup pour lui, marmonnai-je.

— Ah ça... Oui. Il a passé beaucoup de temps avec toi en mon absence ?

— Pas vraiment. On est allés au lac la dernière fois et puis on s’est vus aujourd’hui.

C’est tout.

Une expression étrange passa sur son visage, puis elle sourit.

— Vous vous êtes bien amusés ?

Comme je ne savais pas quoi répondre, je haussai les épaules.

— Ouais. Il s’est montré plutôt sympa. Enfin, le naturel est revenu au galop, mais il n’a pas été si terrible que ça.

Si l’on passait outre au fait qu’on l’avait obligé à être en ma compagnie et qu’il avait failli m’embrasser pour marquer des points en plus...

— Daemon peut être très gentil quand il veut. (Dee fit bouger la balancelle en gardant un pied par terre.) Où est-ce que vous êtes allés vous promener ?

— On a commencé à suivre un sentier de randonnée et on a beaucoup discuté, mais on est tombés sur un ours.

— Un ours ? (Ses yeux s’agrandirent.) Mon Dieu. Qu’est-ce que vous avez fait ?

— Euh... Je me suis évanouie ou quelque chose comme ça.

Dee m’examina.

— Tu t’es évanouie ?

Je rougis.

— Oui. Daemon m’a portée jusqu’ici et... bref.

Curieuse, elle me dévisagea de nouveau. Puis, elle secoua la tête. Changeant de sujet, elle me demanda si elle avait raté quoi que ce soit pendant son absence. Je lui répondis, mais mon esprit était complètement ailleurs. Avant de partir, Dee me proposa de regarder un film ensemble, plus tard dans la soirée. Je crois que j’acceptai.

Après être rentrée et avoir enfilé un vieux jogging, je me posais toujours autant de questions sur le comportement de Daemon. Il m’avait presque paru aimable durant notre randonnée, mais il avait fallu qu’il se retransforme en Super Connard. Frustrée, le rouge aux joues, je m’effondrai sur mon lit et fixai le plafond.

Le plâtre était strié de minuscules fissures. Je les suivis du regard tout en repensant aux événements qui avaient précédé le baiser manqué. Mon estomac eut un soubresaut lorsque je repensai à la proximité de ses lèvres contre les miennes. Le pire dans tout ça, c’était que j’avais eu envie qu’il m’embrasse. Visiblement, l’amour et le désir n’avaient absolument rien à voir.

— Si j’ai bien compris...

Dee fronça les sourcils. Elle était perchée sur un vieux fauteuil qui aurait bien eu besoin qu’on le rembourre.

— ... tu ne sais pas dans quelle fac tu veux aller ?

Je grognai.

— Arrête, on dirait ma mère.

— Eh bien, tu entres en dernière année de lycée, il faut dire. (Dee s’interrompit un instant.) Vous n’êtes pas censés faire vos demandes d’inscription dès la rentrée ?

Dee et moi étions dans le salon en train de feuilleter des magazines quand ma mère était discrètement venue déposer une pile de brochures d’universités sur la table basse.

Merci, maman.

— Et toi, alors ? Ça te concerne aussi, non ?

L’éclat d’intérêt que j’avais vu briller dans ses yeux s’estompa.

— Oui, mais on parle de toi, là.

Je levai les yeux au ciel en riant.

— Je n’ai pas encore décidé de ce que je voulais faire. Alors, je ne ressens pas le besoin de choisir une école.

— Toutes les facs proposent la même chose, de toute façon. Tu pourrais juste choisir l’endroit où tu veux aller : la Californie, New York, le Colorado... Tu pourrais même étudier à l’étranger ! Ce serait génial. C’est ce que je ferais, moi. J’irais quelque part en Angleterre.

— Tu peux, lui rappelai-je.

Dee baissa les yeux. Elle haussa les épaules.

— Non, c’est impossible.

— Pourquoi ?

Je relevai les jambes et m’assis en tailleur. L’argent n’était sûrement pas un problème pour eux : il n’y avait qu’à regarder leurs voitures et leurs vêtements. Quand je lui avais demandé si elle avait un job, elle m’avait répondu que c’était son argent de poche qui lui permettait de s’acheter tout ça. Ses parents se sentaient sûrement coupables de travailler en ville et de les laisser seuls. Ce n’était pas une mauvaise contrepartie.

Ma mère me donnait de l’argent quand j’en avais besoin, mais je doutais sincèrement qu’elle accepterait de payer trois cents dollars tous les mois pour une jolie voiture flambant neuve. Non. J’allais devoir continuer à chérir mon vieux tas de ferraille rouillé. Chaque chose en son temps, me rappelai-je.

— Tu peux aller où tu veux, toi aussi, Dee.

Une pointe de tristesse émanait de son sourire.

— Je resterai sûrement ici après le lycée. Je m’inscrirai peut-être à l’une de ces universités en ligne.

Au départ, je crus qu’elle plaisantait.

— Tu es sérieuse ?

— Oui. Je suis plus ou moins coincée ici.

L’idée que l’on puisse être retenu quelque part contre son gré m’intriguait.

— Pourquoi ?

— Ma famille est ici, répondit-elle d’une voix douce avant de relever la tête. Bref. Tu sais, le film qu’on a regardé hier m’a donné des cauchemars. Imaginer une maison hantée pleine de fantômes qui te regardent dormir me donne des frissons.

Son changement de sujet ne m’abusa pas.

— Oui, ce film était assez flippant.

Elle grimaça.

— Ça me rappelle Daemon. Avant, il s’amusait à se pencher sur moi quand je dormais parce qu’il trouvait ça drôle. (Ses épaules délicates tremblèrent.) Si tu savais à quel point ça m’énervait ! J’avais beau être dans un sommeil profond, je sentais quand même sa présence et je me réveillais. Il partait dans de ces fous rires !

Je souris en imaginant Daemon, petit garçon, en train de taquiner sa jumelle. Cette image fut remplacée par le même qui avait bien grandi. Frustrée, je soupirai et refermai le magazine.

Je ne lui avais plus parlé depuis la fameuse soirée sous mon porche et on n’était que lundi. Passer deux jours sans le croiser n’avait rien d’inhabituel. Et ce n’était pas comme si j’avais envie de le voir.

Levant la tête, j’observai Dee tourner les pages de sa revue jusqu’à la fin. Elle faisait toujours ça pour lire l’horoscope. Elle posa sa main droite contre son menton et se tapota les lèvres d’un ongle peint en violet.

Son doigt me parut alors flou, comme s’il disparaissait. Autour d’elle, l’air semblait vibrer.

Je clignai les yeux. Le doigt était de nouveau intact. Génial, je recommençais à avoir des hallucinations. Je repoussai vivement mon magazine.

— Il faut que j’aille à la bibliothèque. J’ai besoin de nouveaux livres.

— On pourrait planifier une virée shopping, si tu veux. (Retrouvant son enthousiasme, elle sauta sur son fauteuil.) J’aimerais trouver le livre dont tu as fait la critique sur ton blog la semaine avant d’arriver ici. Celui avec les gamins qui ont des superpouvoirs.

Intérieurement, je fis la danse de la joie. Elle avait lu mon blog ! Je ne me souvenais même pas de lui avoir donné l’adresse.

— Avec plaisir. Mais je pensais aller à la bibliothèque ce soir. Je préfère quand c’est gratuit. Tu veux m’accompagner ?

— Ce soir ? me demanda-t-elle, en écarquillant les yeux. Je ne peux pas. Par contre, demain, il n’y a aucun problème.

— Ce n’est pas grave, ne t’en fais pas. Ça fait plusieurs jours que j’essaie de me motiver pour y aller, mais je reporte toujours au lendemain. J’ai besoin de lire des choses qui me plaisent avant de devoir avaler les bouquins pour l’école.

Ses cheveux noirs ondulèrent autour de son visage espiègle quand elle secoua la tête.

— Non, non, ça ne me dérange pas de venir avec toi. Je ne peux pas ce soir. J’ai déjà quelque chose de prévu. Sinon, je viendrais.

— Ne t’en fais pas, Dee. Je peux aller à la bibliothèque toute seule et on ira faire du shopping plus tard ensemble. Je sais me repérer en ville maintenant. Je ne vais pas me perdre. C’est à combien... cinq pâtés de maisons ?

Je m’interrompis et lui demandai ce qu’elle comptait faire durant la soirée, histoire de changer de sujet.

— Rien, répondit-elle du bout des lèvres. Des amis sont de retour en ville, c’est tout.

Ma question innocente l’avait visiblement mise mal à l’aise. Elle semblait gênée de m’avouer ce qu’elle avait prévu. Elle s’agita sur son siège en examinant ses ongles. J’avais l’impression de me mêler de ce qui ne me regardait pas, alors que je n’avais rien dit de mal. Il y avait aussi une partie de moi qui était blessée et déçue de ne pas avoir été invitée.

— J’espère que vous allez vous amuser, dis-je.

Ce n’était pas vraiment un mensonge. Du moins, pas entièrement. Je n’étais pas très fière de moi, mais c’était pourtant le cas. Je me sentais mise à l’écart.

Elle se tortilla en m’observant. Elle plissa les yeux comme elle l’avait fait sous le porche, ce soir-là.

— Je pense que tu devrais attendre que je t’accompagne. Plusieurs filles ont disparu ces derniers temps.

Aller à la bibliothèque n’était pas comme entrer dans une boutique qui vendait des amphétamines, mais je me souvins de l’affiche que j’avais vue un peu plus tôt. Je haussai les épaules.

— OK. Je vais y réfléchir.

Dee me tint compagnie jusqu’à ce qu’il soit presque l’heure pour ma mère de partir travailler. En sortant, elle s’arrêta sur les marches du perron.

— Je t’assure : si tu attends jusqu’à demain, je viendrai avec toi à la bibliothèque.

J’acquiesçai encore une fois et la serrai brièvement dans mes bras. Sa présence me manqua aussitôt. La maison était trop silencieuse sans elle.

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Extrait ajouté par Freg07 2022-03-03T10:36:17+01:00

Chapitre 7

Dee m’appela ce soir-là. Même si j’aurais voulu lui avouer que les heures que j’avais passées avec Daemon n’avaient pas été roses, je me surpris à mentir. Je lui racontai qu’on s’était bien amusés et qu’il avait largement mérité qu’on lui rende ses clés. La vérité, c’était que j’avais peur qu’elle ne le force à sortir encore une fois avec moi.

Je faillis me sentir coupable de lui avoir menti en l’entendant si heureuse.

La semaine suivante passa très lentement. J’eus tout le loisir de me morfondre sur le fait que la rentrée approchait à grands pas. Dee n’était toujours pas revenue de l’endroit où elle se trouvait. Livrée à moi-même, je m’ennuyais à mourir. Je m’étais donc intimement rapprochée de ma connexion Internet.

Le samedi suivant, il était encore tôt dans la soirée quand Daemon sonna à ma porte, les mains fourrées dans les poches de son jean. Il me tournait le dos, la tête levée vers le ciel bleu. Quelques étoiles commençaient à apparaître, mais le soleil ne se coucherait pas avant deux heures.

Surprise de le voir ici, je sortis. Il tourna la tête si vite qu’il faillit se faire un claquage. — Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je.

Il regarda par terre. Plusieurs secondes s’écoulèrent avant que ses lèvres ne se retroussent en coin. Il s’éclaircit alors la voix.

— J’adore observer le ciel. C’est fascinant. (Il leva de nouveau les yeux.) C’est le symbole de l’infini, tu sais ?

Allons, bon : Daemon disait presque des choses profondes.

— Est-ce qu’un dingue va encore sortir de chez toi et te crier dessus parce que tu es en train de me parler ?

— Pas pour l’instant, mais le risque existe.

Je n’arrivais pas à déterminer s’il était sérieux. — Je préférerais éviter.

— Je comprends. Tu es occupée ?

— Pas vraiment. Je m’amuse sur mon blog.

— Tu as un blog ?

Il se tourna pour me faire face et s’appuya contre le pilier. Son expression s’était faite moqueuse.

Il avait prononcé le mot « blog » comme si je prenais de la drogue. — Oui, j’ai un blog.

— Il s’appelle comment ?

— Ça ne te regarde pas, répondis-je avec un sourire innocent.

— C’est marrant, comme nom. (Il me fit un sourire en coin.) Alors, de quoi est-ce que tu parles ? De tricot ? De puzzles ? De ce que ça fait de ne pas avoir d’amis ?

— Ha ha, trop drôle. (Je soupirai.) Je critique des livres. — Et tu es payée pour ça ?

J’éclatai de rire.

— Non. Pas du tout.

Daemon eut l’air perplexe.

— Si je comprends bien, tu conseilles des livres aux gens, mais s’ils les achètent, tu ne touches rien ?

— Je ne fais pas ça pour l’argent. (Même si ça m’aurait bien arrangée. Ça me rappelait qu’il fallait que je m’inscrive à la bibliothèque.) J’adore ça, c’est tout. J’aime lire et parler lectures.

— Quel genre est-ce que tu préfères ?

— Peu importe. (Je m’appuyai contre le pilier en face de lui et étirai la nuque pour le regarder dans les yeux.) Mais j’aime bien tout ce qui a trait au paranormal.

— Les vampires et les loups-garous ?

Combien de questions comptait-il me poser ?

— C’est ça.

— Les fantômes et les extraterrestres ?

— Les histoires de fantômes sont plutôt cool, par contre, je ne sais pas trop pour les extraterrestres. E.T. ne me fait pas beaucoup d’effet, ni aux autres lecteurs, d’ailleurs.

Il haussa un sourcil.

— Et qu’est-ce qui te fait de l’effet, au juste ?

— Je ne sais pas. Pas des créatures vertes et gluantes de l’espace en tout cas, rétorquai- je. Sinon, j’aime aussi les bandes dessinées, les bouquins d’histoire...

— Tu lis des BD ? (Son ton s’était fait incrédule.) Tu es sérieuse ?

Je hochai la tête.

— Et alors ? Les filles ne sont pas censées aimer les BD et les comics, c’est ça ?

Il me dévisagea un long moment avant de désigner la forêt d’un signe de la tête. — Ça te dit d’aller faire de la rando ?

— Euh, tu sais que je ne suis pas très douée pour ça, lui rappelai-je.

Un sourire apparut sur son visage. Il avait quelque chose de caustique, de sexy.

— Je ne compte pas t’emmener en pleine montagne, juste sur une piste sans danger. Je suis sûr que tu en es capable.

— Dee ne t’a pas dit où elle avait caché tes clés ? demandai-je, méfiante. — Si.

— Alors qu’est-ce que tu viens faire ici ?

Daemon soupira.

— Aucune raison en particulier. J’avais simplement envie de passer, mais si tu commences à remettre en question tous mes faits et gestes, je peux partir.

En le voyant descendre les marches, je me mordis les lèvres. C’était ridicule. Je mourais d’ennui depuis des jours. Levant les yeux au ciel, je le rappelai.

— D’accord, allons-y.

— Tu es sûre ?

J’acquiesçai, non sans ressentir une certaine excitation.

— Pourquoi est-ce qu’on va derrière chez moi ? lui demandai-je quand je compris où il m’emmenait. Seneca Rocks, c’est de l’autre côté. Je croyais que toutes les pistes commençaient là-bas.

Je désignai l’avant de la maison où les gigantesques roches en grès dominaient toute la vallée.

— C’est vrai, mais il y en a d’autres de ce côté et elles sont plus rapides, expliqua-t-il. La plupart des gens connaissent les chemins principaux qui sont toujours noirs de monde. J’ai passé beaucoup de temps à m’ennuyer ici, du coup j’en ai découvert quelques-uns en dehors des sentiers battus.

Je grimaçai.

— En dehors à quel point ?

Il rit.

— Pas tant que ça.

— Alors c’est une randonnée pour débutants ? Tu vas t’ennuyer.

— Du moment que je marche, ça me va. Et puis, ce n’est pas comme si on allait jusqu’à

Smoke Hole Canyon. C’est bien trop loin. Ne t’inquiète pas.

— D’accord. Je te suis.

On s’arrêta chez Daemon pour qu’il prenne deux bouteilles d’eau et on se mit en route.

On marcha quelques minutes en silence avant qu’il reprenne la parole.

— Tu n’es pas très farouche, Kitten.

— Arrête de m’appeler comme ça.

J’avais du mal à suivre ses longues enjambées, alors je restais légèrement en retrait. Il tourna la tête vers moi sans trébucher une seule fois.

— Personne ne t’a jamais appelée comme ça ?

Je contournai un buisson touffu plein d’épines.

— Si, ça m’arrive souvent. Mais dans ta bouche, ça a l’air...

Il haussa les sourcils.

— L’air de quoi ?

— Je ne sais pas. On dirait une insulte. (Il avait ralenti et nous marchions à présent côte à côte.) Ou un truc sexuel.

Il se détourna en riant. Je me crispai.

— Pourquoi est-ce que tu te moques toujours de moi ?

Il secoua la tête et me sourit.

— Je ne sais pas. Tu me fais rire, c’est tout.

Je donnai un coup de pied dans une pierre.

— Si tu le dis. Qu’est-ce que voulait ce Matthew, au fait ? J’ai l’impression qu’il me déteste.

— Il ne te déteste pas. Il ne te fait pas confiance, c’est différent.

Il marmonna ces derniers mots.

Je secouai le chef d’un air ahuri.

— Il a peur de quoi ? Que je te vole ta vertu ?

Daemon éclata de rire. Il lui fallut un moment pour se reprendre et me répondre.

— Ouais. Il n’est pas très fan des jolies filles qui me tournent autour.

— Quoi ?

Je trébuchai sur une racine. Daemon me rattrapa sans effort. Dès que je retrouvai mon

équilibre, il m’aida à me remettre sur mes pieds. Ce bref contact, même à travers mes vêtements, me fit frissonner. Sa main s’attarda quelques secondes sur ma hanche avant de me libérer.

— Tu plaisantes, pas vrai ?

— À propos de quoi ? demanda-t-il.

— De tout !

— Pitié, ne me dis pas que tu ne sais pas que tu es jolie. (Il interpréta mon silence.)

Aucun garçon ne te l’a jamais dit ?

Il n’était pas la première personne qui me faisait un compliment. Je suppose que, jusqu’à présent, ça ne m’avait simplement pas touchée. Mes petits amis précédents m’avaient dit que je leur plaisais, mais je ne voyais pas en quoi ça me rendait détestable. Je détournai la tête en haussant les épaules.

— Si, bien sûr.

— À moins que tu n’en sois pas consciente ?

Je fixai les troncs des arbres anciens sans lui répondre. J’étais sur le point de revenir sur ce qu’il avait dit d’autre – je ne lui tournais pas autour –, lorsqu’il reprit la parole. — Tu sais ce que je pense ? demanda-t-il d’une voix douce.

Nous nous trouvions toujours sur le sentier. Seul le chant des oiseaux résonnait autour de nous.

— Non ?

La brise légère sembla emporter ma voix au loin.

— Je suis persuadé que les personnes les plus belles, aussi bien à l’extérieur qu’à

l’intérieur, sont celles qui n’ont pas la moindre idée de leur charme.

Ses yeux cherchèrent les miens avec intensité. Pendant un instant, on resta ainsi, face à

face.

— Ceux qui montrent leur beauté à tout le monde, qui gâchent ce qu’ils ont... leur beauté est superficielle. Ce n’est qu’une enveloppe vide.

Je fis alors la chose la plus inappropriée qui soit. J’éclatai de rire.

— Excuse-moi, mais c’est la réflexion la plus philosophique que je t’ai entendu avoir.

Où est le vaisseau extraterrestre qui a enlevé le Daemon que je connais ? Je peux leur demander de le garder ?

Il se renfrogna.

— J’étais sincère.

— Je sais. Mais c’était... waouh.

Et voilà. Je venais de gâcher la plus belle remarque qu’il ne me ferait jamais.

Il haussa les épaules et reprit sa route.

— On ne va pas aller trop loin, dit-il au bout de quelques minutes. Alors comme ça, tu t’intéresses à l’histoire ?

— Oui. Je sais, ça fait de moi une intello.

Je lui étais reconnaissant d’avoir changé de sujet.

Je le vis grimacer légèrement.

— Tu savais qu’autrefois, ces terres étaient traversées par les Senecas ?

Je frissonnai.

— Pitié, ne me dis pas qu’on est en train de marcher sur un cimetière indien !

— Eh bien... il doit effectivement y avoir des gens enterrés quelque part. Ils n’ont fait que passer ici, mais il n’est pas impossible que certains d’entre eux soient morts en chemin... — Daemon. Je n’ai pas besoin de savoir tout ça.

Je lui donnai un léger coup sur le bras.

Il m’adressa un regard impénétrable avant de secouer la tête.

— D’accord. Je vais te raconter l’histoire, sans les faits naturels les plus effrayants.

Une longue branche barrait la route. Daemon la souleva pour que je puisse me glisser dessous. Mon épaule toucha son torse au passage. Puis, il reprit la tête de l’expédition.

— Quelle histoire ?

— Tu verras. Maintenant écoute-moi bien... Il y a très longtemps, ce territoire n’était constitué que de forêts et de montagnes. Ça n’a pas beaucoup changé aujourd’hui. Il y a très peu de villes et elles sont petites. (Ses doigts frôlaient les branches au-dessus de nous à mesure que l’on avançait et il poussait les plus basses pour moi.) Imagine donc un endroit beaucoup moins peuplé que maintenant, où tu pouvais avancer des jours, voire des semaines sans rencontrer âme qui vive.

Je frissonnai.

— On devait se sentir seul.

— Il faut que tu comprennes que c’était comme ça qu’on vivait il y a des centaines d’années. Les fermiers et les hommes des montagnes habitaient à des kilomètres les uns des autres, et ils ne voyageaient qu’à pied ou à cheval. Ce n’était pas un moyen de transport très sûr.

— J’imagine bien, répondis-je d’une voix faible.

— La tribu des Senecas se déplaçait dans l’est des États-Unis. À un moment donné, ils ont emprunté ce chemin où nous nous trouvons pour se rendre à Seneca Rocks. (Il me regarda dans les yeux.) Tu savais que ce petit sentier derrière chez toi menait au pied des montagnes ?

— Non. Elles paraissent tellement éloignées que je n’ai jamais cru qu’elles pouvaient être si proches, en réalité.

— Si tu suis ce chemin pendant trois ou quatre kilomètres, tu arrives juste en dessous. C’est un terrain rocailleux que même les alpinistes les plus expérimentés s’efforcent d’éviter. Seneca Rocks s’étend du comté de Grant à celui de Pendleton. Ses sommets les plus hauts sont Spruce Knob et un affleurement près de Seneca appelé Champe Rocks. Ils sont difficiles à atteindre étant donné que, pour y accéder, il faut traverser des propriétés privées, mais rien que pour la vue qu’on a de là-haut, ça vaut le coup, termina-t-il d’un air rêveur.

— Ça a l’air sympa.

Ou pas. Comme je n’arrivais pas à dissimuler le sarcasme dans ma voix, je me forçai à sourire légèrement. Je ne voulais pas gâcher l’ambiance. C’était sans doute la première fois que l’on discutait aussi longtemps sans qu’il fasse un commentaire qui me donne envie de lui adresser un doigt d’honneur.

— Ça l’est, si tu n’as pas peur de glisser. (Il se moqua de mon expression.) Bref. Seneca Rocks est constitué de quartzite et de grès. C’est pour ça que ses pierres ont parfois une teinte rosée. Le quartzite est considéré comme un bêta-quartz. Les gens qui croient aux... pouvoirs paranormaux ou aux pouvoirs de... la nature, comme de nombreuses tribus indiennes de l’époque, pensent que toutes les formes de bêta-quartz permettaient de stocker l’énergie, de la transformer et même de la manipuler. Il peut dérégler les systèmes électroniques ou cacher certaines choses.

— OK...

Comme il m’adressa un regard agacé, je décidai de ne plus l’interrompre.

— C’est donc peut-être le bêta-quartz qui a attiré la tribu des Senecas ici. Personne ne le sait réellement puisqu’ils n’étaient pas natifs de Virginie-Occidentale. On ignore également combien de temps ils sont restés ici, pour faire du commerce ou livrer bataille. (Il s’arrêta un instant, examinant le territoire comme s’il pouvait voir les Indiens autour de nous, les ombres du passé.) Mais ils nous ont laissé une légende très romantique.

— Romantique ? demandai-je tandis qu’il me menait par-delà un petit cours d’eau.

J’étais incapable d’associer une idée romantique à quelque chose qui s’élevait à des centaines de mètres dans le ciel.

— Il y avait une très belle princesse indienne appelée Oiseau des Neiges. Elle a demandé à sept des guerriers les plus forts de sa tribu de prouver leur amour pour elle en accomplissant un exploit dont elle seule avait jusqu’alors été capable. De nombreux hommes désiraient être à ses côtés pour sa beauté et son rang. Mais elle cherchait son égal.

» Lorsque vint le jour où elle dut choisir un mari, elle imagina une épreuve pour que seul le guerrier le plus courageux et le plus dévoué gagne sa main. Elle demanda à ses prétendants d’escalader le sommet le plus haut avec elle, poursuivit-il d’une voix douce. (Il ralentit pour qu’on puisse marcher côte à côte sur le sentier étroit.) Ils partirent tous ensemble mais, à mesure que les difficultés apparurent, trois rebroussèrent chemin. Un quatrième se lassa et un cinquième s’évanouit d’épuisement. Seuls deux restèrent en compétition. La belle Oiseau des Neiges continuait d’avancer. Quand elle atteignit enfin le sommet le plus haut, elle se retourna pour voir qui était le plus brave et le plus fort de tous les guerriers. Un seul avait réussi à la suivre et se trouvait à quelques mètres derrière elle. Mais sous ses yeux, il se mit à glisser.

Je m’étais laissé prendre par l’histoire. L’idée de demander à sept hommes de se battre et de risquer leur vie pour obtenir sa main était quelque chose d’inimaginable pour moi.

— Oiseau des Neiges réfléchit un instant. Ce guerrier était visiblement le plus fort, mais il n’était pas son égal. Elle avait le choix entre le sauver ou le regarder glisser. Même s’il était courageux, il n’avait pas réussi à atteindre le point le plus élevé, comme elle.

— Mais il était juste derrière elle ! Pourquoi est-ce qu’elle l’aurait laissé tomber ?

Je décidai que si Oiseau des Neiges n’avait rien fait pour l’aider, cette histoire était vraiment nulle.

— Qu’est-ce que tu aurais fait à sa place ? me demanda-t-il, curieux.

— Je n’aurais jamais demandé à un groupe d’hommes de me prouver leur amour en faisant quelque chose d’aussi dangereux et stupide, mais si je me trouvais dans cette situation... même si ça ne risque pas d’arriver...

— Kat, me réprimanda-t-il.

— J’aurais tendu la main et je l’aurais sauvé, bien sûr. Je n’aurais pas pu le laisser mourir.

— Il n’a pas prouvé qu’il était le plus fort, pourtant.

— Ça n’a aucune importance, rétorquai-je. Il était juste derrière elle. Comment peut-on être belle si on condamne un homme parce qu’il a simplement glissé ? Comment peut-on être capable de ressentir de l’amour et de le mériter ?

Il hocha la tête.

— Oiseau des Neiges a pensé la même chose que toi.

Rassurée, je souris. Si ça n’avait pas été le cas, l’histoire d’amour n’aurait pas été

intéressante du tout. — C’est bien.

— Oiseau des Neiges a considéré que le guerrier était son égal et, grâce à ça, elle a pu prendre une décision. Elle a rattrapé l’homme avant qu’il tombe. Quand ils rejoignirent le chef, celui-ci fut satisfait du choix de sa fille. Il bénit leur mariage et fit du guerrier son successeur.

— Alors c’est pour ça que ces montagnes s’appellent Seneca Rocks ? À cause des Indiens et d’Oiseau des Neiges ?

Il hocha la tête.

— C’est ce que dit la légende.

— C’est une très belle histoire, mais je trouve qu’escalader plusieurs centaines de mètres juste pour prouver son amour est un peu excessif. Il ricana.

— Je te rejoins là-dessus.

— J’espère bien, parce que sinon, de nos jours, tu te retrouverais à faire des rodéos sur l’autoroute.

À l’instant où les mots s’échappèrent de mes lèvres, je voulus me mordre la langue. J’espérais qu’il ne croirait pas que je parlais pour moi.

Il m’adressa un regard sévère.

— Je ne pense pas que ça arrivera.

— Est-ce qu’on peut rejoindre l’endroit où les Indiens ont commencé leur ascension d’ici ? demandai-je, curieuse. Il secoua la tête.

— On peut aller jusqu’au canyon, mais c’est une randonnée difficile. Je ne te conseille pas d’y aller seule.

Cette idée m’amusa.

— Ne t’inquiète pas pour ça. Ça ne risque pas. Je me demande pourquoi les Indiens sont venus ici. Est-ce qu’ils cherchaient quelque chose ? (Je contournai un gros rocher.) J’ai du mal à croire que c’est de la vulgaire pierre qui les a attirés ici.

— Tu n’en sais rien. (Les lèvres pincées, il resta silencieux un long moment.) On a tendance à considérer les croyances des anciens peuples comme primitives ou stupides, mais plus le temps passe et plus on se rend compte qu’ils avaient raison sur beaucoup de points.

Je jetai un coup d’œil dans sa direction pour m’assurer qu’il était sérieux. Il avait l’air bien plus mature que les autres garçons de notre âge.

— Rappelle-moi pourquoi les rochers étaient importants ?

Il baissa la tête vers moi.

— C’est à cause de la pierre... (Ses yeux s’agrandirent soudain.) Kitten ?

— Tu veux bien arrêter de m’appeler comme ça ?

— Chut, fit-il sans quitter du regard un point derrière moi. (Il posa la main sur mon bras.) Promets-moi de ne pas paniquer.

— Pourquoi est-ce que je paniquerais ? murmurai-je.

Il me surprit en m’attirant d’un coup contre lui. Je posai les mains sur son torse pour ne pas tomber. Sa peau semblait vibrer sous mes doigts. — Tu as déjà vu un ours ?

La peur fit voler mon calme apparent en éclats. — Quoi ? Il y a un ours ?

Je me libérai de son étreinte pour me retourner.

Ah oui. Il y avait bien un ours.

À moins de cinq mètres de nous, un grand ours noir reniflait l’air avec son long museau

à moustaches. Ses oreilles bougeaient tandis qu’il écoutait notre respiration. Pendant un moment, je fus incapable de bouger. Je n’avais jamais vu un ours en vrai. La créature avait quelque chose de majestueux : la façon dont ses muscles roulaient sous son épais manteau, son regard sombre qui examinait tous nos faits et gestes en même temps qu’on le surveillait...

L’animal s’approcha, avançant dans le rai de lumière qui perçait à travers les hautes branches. Sous le soleil, sa fourrure noire étincelait.

— Ne cours pas, murmura-t-il.

Ce n’était pas comme si je pouvais bouger.

L’ours émit un grognement en se dressant sur ses pattes arrière. Debout, il mesurait au moins deux mètres de haut. Puis, il poussa un véritable rugissement qui me donna des frissons.

Ça n’augurait rien de bon.

Daemon se mit à crier et à bouger les bras dans tous les sens, mais ça ne sembla pas le faire fuir. L’animal se remit à quatre pattes. Ses énormes membres tremblèrent.

Et il fonça sur nous.

La gorge serrée par la peur, incapable de respirer, je fermai les yeux. Je ne voulais pas me faire dévorer vivante par un ours. J’entendis Daemon jurer, puis, derrière mes paupières closes, je vis un éclat de lumière aveuglant. Il s’ensuivit une explosion de chaleur qui repoussa mes cheveux vers l’arrière, et un nouvel éclair. Mais cette fois, ce fut l’obscurité qui l’emporta et m’avala tout entière.

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Extrait ajouté par Freg07 2022-03-03T10:34:04+01:00

Chapitre 6

— Daemon !

CHAPITRE 6

Des centaines de pensées différentes me passèrent par la tête. Combien de temps était-il resté sous l’eau ? Où l’avais-je vu pour la dernière fois ? À quelle vitesse pouvais-je rameuter les secours ? Je n’aimais pas Daemon et j’avais peut-être songé à le noyer, mais je ne souhaitais pas réellement sa mort.

— Oh, mon Dieu, murmurai-je. Ce n’est pas possible.

Je n’avais pas le temps de réfléchir. Il fallait que j’agisse. Au moment où j’allais plonger, des remous se formèrent à la surface de l’eau, et Daemon réapparut. Un sentiment de surprise et de soulagement m’envahit aussitôt, suivi par une énorme envie de vomir. Il méritait que je le frappe.

Il se hissa sur le rocher, ses muscles se contractant sous l’effort.

— Ça va ? Tu sembles un peu paniquée.

Me reprenant, je posai les mains sur ses épaules mouillées pour m’assurer qu’il était bien vivant et que le manque d’oxygène ne lui était pas monté au cerveau.

— Tu vas bien ? Que s’est-il passé ? (Je lui balançai un grand coup sur le bras.) Ne me fais plus jamais ça.

Daemon leva les mains au ciel.

— Hé ! C’est quoi ton problème ?

— Tu es resté sous l’eau tellement longtemps que j’ai cru que tu t’étais noyé ! Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? Pourquoi est-ce que tu m’as fait peur ? (Je me relevai en inspirant profondément.) Ça m’a paru une éternité.

Il fronça les sourcils.

— Je ne suis pas resté là-dessous très longtemps. Je nageais.

— Si, Daemon. Ça a duré au moins dix minutes. Je t’ai cherché. Je t’ai appelé. J’ai cru... J’ai cru que tu étais mort. Il se mit debout à son tour.

— Dix minutes ? Ce n’est pas possible. Personne ne peut retenir sa respiration aussi longtemps.

Je déglutis difficilement.

— Toi si, apparemment.

Les yeux de Daemon sondèrent les miens.

— Tu étais vraiment inquiète.

— Non, tu crois ? Qu’est-ce que tu n’as pas compris quand je t’ai dit que j’avais cru que tu t’étais noyé ?

Je commençais à trembler.

— Kat, je suis remonté à la surface. Tu n’as pas dû me voir. Je suis redescendu aussitôt. Il mentait. Je le sentais de tout mon être. Était-il simplement capable de retenir sa respiration aussi longtemps ? Et si c’était le cas, pourquoi ne l’admettait-il pas ? — Est-ce que ça t’arrive souvent ? me demanda-t-il.

Je relevai la tête vers lui.

— Quoi ?

— D’imaginer des choses. (Il fit un geste de la main.) Ou est-ce que tu as un problème avec les durées ?

— Je n’ai rien imaginé du tout ! Et je sais lire l’heure, abruti.

— Alors je ne sais pas quoi te dire.

Il fit un pas avant. Vu la taille du rocher, il ne pouvait pas aller bien loin.

— Ce n’est pas moi qui prétends être resté sous l’eau dix minutes alors que ça n’a pas pu durer plus de deux. Tu sais quoi ? Je t’achèterai une montre la prochaine fois que j’irai en ville, quand j’aurai récupéré mes clés.

Pour une raison qui m’échappait, j’avais oublié le véritable motif de notre présence ici. J’avais sans doute perdu la tête entre le moment où je l’avais vu à moitié nu et celui où je l’avais cru mort.

— Ne t’inquiète pas, je dirai à Dee qu’on a passé un merveilleux après-midi et elle te rendra tes satanées clés, lui dis-je en le fusillant du regard. Comme ça, on ne sera pas obligés de réitérer l’expérience.

Il eut un sourire satisfait.

— La balle est dans ton camp, Kitten. Je suis sûr qu’elle t’appellera tout à l’heure pour t’interroger.

— Tu les auras, tes clés. On peut...

Mon pied glissa sur la pierre humide. Pour compenser la perte d’équilibre, je me mis à battre des bras.

Bougeant à la vitesse de l’éclair, il m’attrapa par la main et m’attira vers lui. Sans comprendre ce qui se passait, je me retrouvai pressée contre son torse mouillé et chaud, avec son bras autour de ma taille.

— Attention, Kitten. Dee m’en voudrait si tu t’ouvrais le crâne et que tu te noies.

Compréhensible. Elle penserait sûrement qu’il l’avait fait exprès. J’aurais voulu lui répondre, mais j’en étais incapable. Il y avait très peu de vêtements entre nous. Mon sang circulait bien trop vite dans mes veines. C’était sûrement à cause du fait que j’avais failli me noyer.

Une étrange nervosité m’envahit tandis qu’on se dévisageait. Une légère brise soufflait sur ma peau qui n’était pas collée à la sienne, amplifiant la sensation de chaleur.

Aucun de nous ne parlait.

Son torse se soulevait contre ma poitrine. La teinte verte de ses yeux s’était intensifiée. Une décharge électrique me traversa, comme pour répondre à quelque chose en lui.

C’était étrange, un peu fou, illogique. Il me détestait.

Daemon me lâcha et fit un pas en arrière en se raclant la gorge.

— Je crois qu’on ferait mieux de rentrer, dit-il d’une voix rauque.

Déçue, je hochai la tête. Je ne savais même pas pourquoi je ressentais tout ça. Ses changements d’humeur me faisaient l’effet de montagnes russes interminables, mais... il y avait quelque chose chez lui qui m’attirait.

On se sécha et s’habilla en silence avant de rentrer à la maison. Aucun de nous deux ne semblait avoir quoi que ce soit à dire. C’était mieux ainsi. Je le préférais muet.

Quand on arriva dans l’allée devant chez lui, il se mit à jurer dans sa barbe. L’air sembla se glacer autour de nous. Je suivis son regard courroucé. Il y avait une voiture que je ne connaissais pas garée devant sa maison, une de ces Audi qui coûtent le salaire annuel de ma mère. Je me demandai soudain s’il s’agissait de ses parents et si j’allais encore me faire traiter de Kat-mageddon.

Daemon serra la mâchoire.

— Kat, je...

Tout à coup, une porte s’ouvrit et se referma sur le côté de la maison et un homme d’une trentaine d’années apparut sous le porche. Ses cheveux châtains ne ressemblaient en rien aux boucles brunes de Daemon et de Dee. J’ignorais qui il était, mais il était très beau et bien habillé.

Il avait également l’air très en colère.

L’homme descendit les marches deux à deux. Il ne m’adressa pas le moindre regard.

— Qu’est-ce qui se passe ici ?

— Absolument rien. (Daemon croisa les bras.) Puisque ma sœur n’est pas là, je suis curieux de savoir ce que tu fous chez moi.

Bon, d’accord. Il ne faisait pas partie de la famille.

— Je me suis permis d’entrer, rétorqua-t-il. Je ne pensais pas que ça te dérangerait. — Eh bien si, Matthew.

Matthew. Je me souvenais de ce prénom. C’était à lui que Dee devait parler au téléphone. Quand l’homme finit par se tourner vers moi, ses yeux s’agrandirent légèrement. Ils étaient d’un bleu clair intense. Il m’examina de la tête aux pieds avec une moue méprisante.

— Étant donné la situation, j’aurais cru que tu te montrerais plus prudent que n’importe qui, Daemon.

C’était reparti ! Je commençais à me demander si j’avais le mot « anormal » tatoué sur le front. De la tension crépitait dans l’air, tout ça à cause de moi. Ça n’avait aucun sens. Je ne connaissais même pas ce type.

Daemon plissa les yeux.

— Matthew, si tu tiens à partir d’ici sur tes deux jambes, je te déconseille d’aborder le sujet.

Mal à l’aise, je fis un pas de côté pour m’éloigner d’eux.

— Je crois que je ferais mieux de rentrer.

— Et moi, je pense que c’est à Matthew de partir, rétorqua Daemon en se plaçant devant moi. Sauf s’il est là pour autre chose que pour mettre son nez dans ce qui ne le regarde pas.

Malgré le corps de Daemon qui m’obstruait la vue, je remarquai tout de même le dégoût dans le regard de l’autre homme.

— Je suis désolée, dis-je d’une voix tremblante, mais je ne comprends pas ce qui se passe ici. On s’est baignés, c’est tout.

Matthew reporta son attention sur Daemon qui carra les épaules.

— Ce n’est pas ce que tu crois. Je ne suis pas aussi stupide que ça. Dee a caché mes clés pour me forcer à l’emmener quelque part.

Je me sentis une nouvelle fois rougir. Était-il obligé de dire à ce type qu’il sortait avec moi par pitié ?

L’homme éclata de rire.

— Alors c’est elle, l’amie de Dee.

— Oui, c’est moi, rétorquai-je en croisant les bras.

— Je croyais que tu avais la situation sous contrôle, dit-il en me désignant d’un geste de la main. (On aurait dit qu’il parlait d’un clown psychopathe.) Que tu allais faire entendre raison à ta sœur.

— Pourquoi est-ce que tu n’essaies pas toi-même ? répondit Daemon. Pour l’instant, je n’ai pas encore réussi.

— Vous êtes pourtant mieux placés que n’importe qui pour savoir que ça ne marche pas comme ça, fit Matthew, les lèvres pincées.

Tandis qu’ils se jaugeaient du regard, un grondement de tonnerre retentit. Je sursautai. Un éclair fendit le ciel au-dessus de nous, m’aveuglant un instant, avant de laisser place à

d’énormes nuages noirs. De l’énergie crépita autour de moi et se répandit sur ma peau.

Puis, Matthew se retourna, jeta un dernier coup d’œil assassin dans ma direction et se dirigea vers la maison de Daemon. Lorsque la porte se referma derrière lui, les nuages se dispersèrent. Bouche bée, je dévisageai Daemon.

— Que... Qu’est-ce que c’était ? demandai-je.

Mais il s’éloignait déjà. Le claquement de la porte résonna comme un coup de feu. Je restai immobile, sans comprendre ce qui venait de se passer. Quand je levai la tête vers le ciel dégagé, il n’y avait plus aucune trace d’un orage violent. J’avais déjà vu ce genre de choses en Floride, mais l’atmosphère avait été différente. En repensant à l’épisode du lac, je me rendis compte que je ne comprenais pas non plus ce qui s’y était passé. Tout ce que je savais, c’était que Daemon était resté bien trop longtemps sous l’eau. J’étais persuadée que quelque chose clochait chez lui.

Chez eux, en général.

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Extrait ajouté par Freg07 2022-03-03T10:33:03+01:00

Chapitre 5

Lorsque les premiers rayons du soleil filtrèrent à travers la fenêtre, je roulai sur le côté, encore à moitié endormie.

Je grognai.

J’allais devoir supporter Daemon aujourd’hui. J’avais passé la nuit à me tourner et me retourner dans mon lit en rêvant d’un garçon aux yeux d’un vert détonnant et d’un bikini qui n’arrêtait pas de se défaire. J’attrapai le dernier roman dont je voulais faire la critique sur la table de chevet et passai la matinée à lire, en essayant désespérément de penser à autre chose qu’à notre petite sortie.

Lorsque le soleil eut presque atteint son zénith, je posai le livre, soulevai les couvertures et me dirigeai vers la salle de bains.

Quelques minutes plus tard, enroulée dans une serviette, je passai en revue les différents maillots à ma disposition. Une sensation d’horreur m’envahit. Daemon avait raison. La seule idée de me retrouver à moitié nue devant lui me donnait envie de vomir. Je ne supportais pas ce mec. C’était sans doute la première personne que je détestais vraiment... Pourtant, physiquement, c’était un dieu. Qui sait quel genre de filles il avait l’habitude de voir en maillot de bain.

Même si je ne l’aurais pas touché pour tout l’or du monde, j’étais assez mature pour admettre qu’une part de moi désirait qu’il me trouve attirante.

Seuls trois de mes maillots auraient pu faire l’affaire : un maillot une pièce, tout ce qu’il y avait de plus banal, un deux-pièces avec un short et un simple bikini rouge.

Quoi que je choisisse, je savais que j’allais être gênée.

Après avoir rangé le premier dans mon placard, j’attrapai les deux autres. J’observai attentivement mon reflet dans le miroir, un maillot de chaque côté. Mes cheveux châtains m’arrivaient au milieu du dos. J’avais toujours eu peur de les couper. Mes yeux étaient gris. Ils n’avaient rien de magnétique ou de séduisant comme ceux de Dee. Et mes lèvres étaient pulpeuses, sans être aussi expressives que celles de ma mère.

Je jetai un coup d’œil au bikini rouge. J’avais toujours été réservée et prudente. Ce maillot était tout le contraire : aguicheur et sexy. Ce n’était pas moi. Ça me perturbait. La Katy timide et pragmatique avait un côté rassurant. C’était ma personnalité. Ma mère me laissait seule à la maison parce qu’elle avait une confiance aveugle en moi.

Je faisais sûrement partie de ces filles que Daemon pensait pouvoir contrôler et intimider. Il s’attendait probablement à ce que je porte un maillot une pièce et à ce que je refuse de retirer mon tee-shirt et mon short à cause de ses taquineries. Que m’avait-il dit lors de notre première rencontre ? Que j’avais l’air d’avoir treize ans ?

Cette pensée me mit hors de moi.

Qu’il aille se faire foutre.

J’avais envie d’oser et de m’amuser. Je voulais peut-être même surprendre Daemon et lui montrer qu’il avait tort. Sans y réfléchir à deux fois, je posai le maillot le plus simple dans un coin et étalai le bikini rouge sur mon petit bureau.

J’avais pris ma décision.

J’enfilai les bouts de tissu en un temps record puis passai un short en jean et un joli top à fleurs pour masquer mon audace. Après avoir trouvé mes baskets, j’attrapai une serviette et descendis au rez-de-chaussée.

Ma mère était dans la cuisine, son éternelle tasse de café à la main.

— Tu te lèves tard. Tu as bien dormi ? s’enquit-elle d’un air inquiet.

Parfois, je me demandais si ma mère ne lisait pas dans mes pensées. Haussant les

épaules, je la dépassai pour prendre la bouteille de jus d’orange. Pendant que je me concentrais pour faire griller mes toasts, elle continua de fixer mon dos.

— J’étais en train de lire.

— Katy ? fit-elle au bout d’un moment qui me parut une éternité.

Mes mains tremblaient légèrement tandis que je beurrais mes tartines.

— Oui ?

— Tout... se passe bien ici pour toi ? Ça te plaît ?

Je hochai la tête.

— Oui, c’est sympa.

— Parfait. (Elle prit une grande inspiration.) Tu es excitée pour aujourd’hui ?

En me tournant vers elle, je sentis mon estomac se serrer. Une partie de moi aurait voulu m’énerver contre elle parce qu’elle m’avait forcée à rentrer dans les combines de Daemon... mais elle n’en avait pas conscience. Elle craignait que je ne la déteste pour avoir insisté d’emménager ici, loin de tout ce que j’aimais.

— Oui, je suppose, mentis-je.

— Je suis sûre que tu vas bien t’amuser, dit-elle. Fais attention, c’est tout. Je lui adressai un regard entendu.

— Je doute qu’il m’arrivera grand-chose en allant me baigner.

— Où est-ce que vous allez ?

— Aucune idée. Il ne me l’a pas dit. Sûrement pas très loin.

Ma mère se dirigea vers la porte.

— Tu as très bien compris ce que je voulais dire. Il est très mignon.

Avant de partir, elle m’adressa un regard qui signifiait clairement « je suis déjà passée par là, alors pas d’entourloupe ».

Soupirant de soulagement, je nettoyai sa tasse. Je n’avais vraiment pas envie qu’elle m’explique comment on faisait les bébés. Surtout pas maintenant. La première fois m’avait suffisamment traumatisée.

Ce simple souvenir me fit frissonner.

J’étais tellement absorbé par ce terrifiant moment entre mère et fille que je sursautai en entendant un coup sur la porte. Je regardai l’heure. Mon cœur s’emballa.

11 h 46.

J’inspirai profondément pour me calmer, puis me précipitai pour ouvrir. Daemon se tenait là, une serviette négligemment posée sur son épaule.

— Je suis un peu en avance.

— Je vois ça, répondis-je d’une voix monocorde. Tu n’as pas changé d’avis ? Il n’est pas encore trop tard pour inventer un bobard.

Il haussa un sourcil.

— Je ne suis pas un menteur.

Je le dévisageai.

— Accorde-moi une seconde. Je vais chercher mes affaires.

Sans attendre sa réponse, je lui refermai la porte au nez. C’était une réaction de gamine, mais j’avais l’impression d’avoir remporté une petite victoire. Je me dirigeai vers la cuisine et attrapai mes baskets avant de retourner dehors.

Daemon n’avait pas bougé de l’endroit où je l’avais laissé.

Un mélange d’excitation et de nervosité m’envahit tandis que je verrouillais la porte d’entrée et suivais Daemon le long de l’allée.

— Bon. Où est-ce que tu m’emmènes ?

— Si je te le dis, ce n’est pas drôle, rétorqua-t-il. Ça gâchera la surprise.

— Je viens d’arriver en ville, tu sais ? Tout sera nouveau pour moi.

— Alors pourquoi est-ce que tu me poses la question ? demanda-t-il d’un air suffisant. Je levai les yeux au ciel.

— On n’y va pas en voiture ?

Il rit.

— Non, on ne peut pas y accéder en voiture. Ce n’est pas un endroit très connu. Peu de gens du coin y sont déjà allés.

— Oh, je suis spéciale, alors.

— Tu sais ce que je crois, Kat ?

Je jetai un coup d’œil dans sa direction. Il me regardait avec un tel sérieux que je rougis aussitôt.

— Je ne suis pas certaine de vouloir le savoir.

— Je crois que ma sœur, elle, te trouve spéciale. Je commence sérieusement à me demander si elle ne se drogue pas.

J’eus un sourire moqueur.

— « Spéciale », ça veut dire beaucoup de choses, pas vrai, Daemon ?

Le fait que j’utilise son prénom sembla le surprendre. Au bout d’un moment, son regard perdit de son intensité et il me guida jusqu’à la route que l’on traversa. Quand on pénétra dans la forêt dense de l’autre côté de la rue, je sentis ma curiosité se réveiller.

— Tu essaies de me perdre dans les bois ? demandai-je, en plaisantant à moitié. Il tourna la tête. Ses longs cils cachaient ses yeux.

— Et qu’est-ce que je pourrais bien te faire ici, Kitten ?

Je frissonnai.

— Les possibilités sont infinies.

— N’est-ce pas ?

Il avançait avec agilité parmi les buissons et les ronces enchevêtrés les uns aux autres, alors que moi, je me démenais pour ne pas trébucher sur les racines et les pierres couvertes de mousse et me briser la nuque.

— On ne peut pas faire semblant d’y être allés ?

— Crois-moi. Je préférerais être ailleurs, moi aussi. (Il sauta par-dessus un arbre abattu.) Mais se plaindre ne rendra pas les choses plus faciles.

— C’est toujours un plaisir de discuter avec toi.

Il se retourna et me tendit la main.

Pendant un instant, j’hésitai à la prendre, mais je finis par accepter. Un courant

électrique me traversa. Je me mordis les lèvres. Il m’aida à enjamber le tronc avant de me libérer.

— Merci.

Daemon se remit en chemin.

— Tu as hâte de reprendre les cours ?

Ce n’était pas comme s’il s’en souciait vraiment.

— Ce n’est jamais agréable d’être la petite nouvelle. Tu sais, d’être celle que tout le monde remarque. Ça devient fatigant, au bout d’un moment. — Je comprends.

— Ah bon ?

— Oui. On est bientôt arrivés.

J’aurais voulu lui poser davantage de questions, mais je savais que mes efforts seraient vains. Il continuerait de me répondre vaguement ou avec des sous-entendus.

— Bientôt ? On marche depuis combien de temps ?

— Une vingtaine de minutes. Peut-être un peu plus. Je t’ai dit que c’était un endroit caché.

Après avoir escaladé un deuxième arbre déraciné, j’aperçus une clairière devant nous. — Bienvenue dans notre petit coin de paradis.

Il y avait quelque chose de moqueur dans sa voix. J’avançai sans lui prêter la moindre attention. J’étais impressionnée.

— Waouh. Cet endroit est vraiment magnifique.

— Oui, c’est vrai.

Il se plaça près de moi et mit sa main en visière pour observer le rayonnement du soleil sur la surface lisse de l’eau.

En voyant ses épaules tendues, je compris que cet endroit était spécial pour lui. Cette idée fit naître des papillons dans mon ventre. Je posai une main sur son bras. Il se tourna vers moi.

— Merci de m’avoir amenée ici.

Sans lui laisser le temps d’ouvrir la bouche et de gâcher le moment, je me dégageai et regardai ailleurs.

La clairière était séparée en deux par un ruisseau qui se jetait dans un petit lac naturel. La légère brise faisait onduler sa surface. Des rochers plats qui paraissaient doux au toucher en sortaient et la terre formait un cercle parfait tout autour. L’herbe et les fleurs étaient baignées de lumière. C’était paisible.

Je m’approchai de l’eau.

— C’est profond ?

— Environ trois mètres, mais ça tombe à six de l’autre côté des rochers.

Il se trouvait juste derrière moi. Je ne l’avais encore pas entendu avancer. C’était effrayant.

— Dee adore venir ici. Avant ton arrivée, elle passait presque tout son temps ici.

Pour Daemon, le jour de mon emménagement semblait avoir marqué le début de la fin.

L’apocalypse. Kat-mageddon.

— Tu sais, je ne compte pas causer des ennuis à ta sœur.

— On verra bien.

— Je ne suis pas une mauvaise fréquentation, continuai-je. (Les choses seraient plus simples si on arrivait à s’entendre.) Je n’ai jamais trempé dans des trucs louches. Il se glissa sur le côté, les yeux rivés sur l’eau.

— Elle n’a pas besoin d’une amie comme toi.

— Je ne vois pas ce qui cloche chez moi, rétorquai-je. Tu sais quoi ? Oublie ce que je viens de te dire.

Il soupira.

— Pourquoi est-ce que tu jardines ?

Surprise, je serrai les poings.

— Quoi ?

— Pourquoi est-ce que tu jardines ? répéta-t-il sans quitter le lac des yeux. Dee m’a expliqué que ça te permettait de te vider la tête. À quoi est-ce que tu ne veux pas penser ? C’était le moment où on se confiait l’un à l’autre, c’est ça ?

— Ça ne te regarde pas.

Daemon haussa les épaules.

— Alors, on n’a qu’à aller se baigner.

Nager était la dernière chose dont j’avais envie. Le noyer, en revanche, je n’étais pas contre. Il retira ses baskets et son jean. Il portait un caleçon de bain dessous. D’un geste vif, il enleva également son tee-shirt. Waouh. J’avais déjà vu des mecs torse nu avant. Après tout, j’avais habité en Floride où les hommes passaient leur temps à moitié à poil, alors ça n’aurait pas dû être un tel choc... Surtout que, lui aussi, je l’avais déjà aperçu sans tee-shirt.

Eh bien, j’avais tort.

Il était bien bâti. Il n’était pas bodybuildé, mais il avait quand même plus de muscles que l’adolescent moyen. Daemon avança vers l’eau avec grâce, contractant et détendant ses muscles à chaque pas.

J’ignore combien de temps je passai à l’observer ainsi avant qu’il plonge dans l’eau. J’avais le feu aux joues. Exhalant, je me rendis compte que j’avais retenu mon souffle. Il fallait que je me reprenne. Ou que je coure chercher une caméra pour immortaliser ce moment. J’aurais pu me faire beaucoup d’argent en vendant une vidéo de lui. Je pouvais devenir millionnaire... du moment qu’il n’ouvrait pas la bouche.

Daemon réapparut à la surface de l’eau, à deux mètres de l’endroit où il avait sauté. De l’eau scintillait dans ses cheveux et au bout de ses cils. Ses cheveux noirs rejetés en arrière faisaient ressortir ses yeux verts si singuliers.

— Tu viens ?

En me souvenant du bikini rouge que j’avais choisi de porter, je voulus soudain m’enfuir loin d’ici. Ma confiance en moi s’était évaporée. J’ôtai lentement mes chaussures en faisant semblant d’admirer le paysage, alors qu’en réalité mon cœur essayait de s’échapper de ma poitrine.

Curieux, il m’observa pendant un long moment. — Tu es vraiment timide, hein, Kitten ?

Je me figeai.

— Pourquoi est-ce que tu m’appelles comme ça ?

— Parce que ça te hérisse le poil, comme les chats.

Daemon se moquait de moi. Quand il se laissa aller en arrière, l’eau vint caresser son torse.

— Alors, tu viens ?

Mon Dieu. Il ne comptait même pas se retourner. Pire : il soutenait mon regard comme s’il s’attendait à ce que je me défile. Peut-être était-ce ce qu’il avait souhaité depuis le début. Il ne faisait aucun doute qu’il savait l’effet qu’il produisait sur les filles.

La Katy réservée et pragmatique serait entrée dans l’eau tout habillée.

Je ne voulais pas lui ressembler. C’est pour ça que j’avais choisi le maillot rouge. Je voulais prouver à Daemon qu’il ne m’intimidait pas. J’étais déterminée à gagner cette bataille.

Dans l’eau, Daemon avait l’air de s’ennuyer.

— Je te donne une minute pour me rejoindre.

Inspirant profondément, je résistai à l’envie de lui faire un doigt d’honneur. Après tout, ce n’était pas comme si je me déshabillais entièrement. Pas tout à fait. — Sinon, quoi ?

Il se rapprocha de la rive.

— Sinon, je viens te chercher.

Je grimaçai.

— Tu peux toujours essayer.

— Quarante secondes.

Il m’observa d’un regard intense et perçant en se rapprochant de moi.

Je me passai la main sur le visage et soupirai.

— Trente secondes, s’exclama-t-il de plus en plus proche.

— C’est pas vrai, marmonnai-je en soulevant vivement mon haut.

Je mourais d’envie de le lui jeter à la figure. Tandis qu’il égrenait les secondes, je me dépêchai de retirer mon short.

Les mains sur les hanches, je me postai au bord de l’eau.

— Content ?

En m’examinant, Daemon perdit son sourire.

— Je ne suis jamais content de te voir.

— Qu’est-ce que tu as dit ?

Son expression dénuée d’émotions me fit plisser les yeux. Il n’avait pas pu dire ce que je pensais avoir entendu !

— Rien. Tu ferais mieux d’entrer dans l’eau avant de rougir jusqu’aux orteils.

Son regard sur moi ne fit rien pour calmer le feu de mes joues. Je me tournai et me dirigeai du côté le moins profond du lac. L’eau me fit le plus grand bien. Elle apaisa la sensation désagréable de la chaleur sur ma peau.

Tout en avançant, je cherchais désespérément quelque chose à dire.

— C’est vraiment joli dans les parages.

Daemon m’étudia un instant avant de s’immerger complètement. Lorsqu’il refit surface, de l’eau coula le long de son visage. Comme j’avais besoin de me rafraîchir les idées, je plongeai à mon tour. La fraîcheur qui m’envahit me revigora, remit de l’ordre dans mes pensées. Quand je sortis la tête de l’eau, je repoussai les mèches humides qui me tombaient devant les yeux.

Non loin de là, Daemon m’observait, le nez au ras de l’eau. De temps en temps, son souffle formait des bulles à la surface. Il y avait quelque chose dans son regard qui m’incitait à le rejoindre.

— Quoi ? demandai-je pour briser le silence.

— Pourquoi tu ne viens pas plus près ?

Il était hors de question que je m’approche de lui. Il aurait très bien pu m’appâter avec un cookie, ça n’aurait rien changé. Je ne lui faisais pas confiance. Me retournant, je me mis à nager en direction des rochers que j’avais vus au milieu du lac.

Je les atteignis en quelques brassées et sortis de l’eau pour me hisser sur leur surface dure et chaude. J’essorai mes cheveux. Daemon se mit à décrire des cercles au milieu du lac.

— On dirait que tu es déçu.

Il ne répondit pas. Il avait l’air curieux, presque perplexe.

— Voilà qui est étonnant... marmonna-t-il.

Je me trempai les pieds en grimaçant.

— Qu’est-ce que tu racontes, encore ?

— Rien du tout.

Il se rapprocha.

— Tu as dit quelque chose.

— Oui, sûrement.

— Tu es bizarre.

— Tu n’es pas celle que j’avais imaginée, murmura-t-il.

— Qu’est-ce que tu veux dire par là ? demandai-je tandis qu’il essayait de m’attraper la cheville. (J’éloignai la jambe pour l’en empêcher.) Que je ne suis pas assez bien pour être l’amie de ta sœur ?

— Tu n’as rien en commun avec elle.

— Comment tu le sais ?

On recommença le même manège avec mon autre pied.

— Je le sais, c’est tout.

— On a beaucoup de choses en commun. Et je l’aime bien. Elle est gentille. Je m’amuse

énormément avec elle. (Je reculai pour être complètement hors de sa portée.) Tu devrais arrêter de te conduire comme ça et de faire fuir tous ses amis.

Daemon resta un instant silencieux avant d’éclater de rire.

— Tu n’es vraiment pas comme eux.

— Comme qui ?

Un long moment passa. Lorsqu’il se laissa aller en arrière, l’eau qui lui caressait les

épaules se mit à onduler contre son torse.

Secouant la tête, je le regardai disparaître de nouveau sous l’eau. Puis, je m’allongeai et fermai les paupières. La chaleur du soleil sur mon visage orienté vers le ciel et celle des rochers qui s’insinuait dans ma peau me rappelaient les journées que j’avais passées à lézarder sur la plage. Si Daemon n’avait pas été là, tout aurait été parfait.

J’ignorais ce que cela signifiait quand il disait que je n’étais pas comme eux et que Dee n’avait pas besoin d’une amie comme moi, mais il y avait sûrement une autre explication que son côté frère surprotecteur un peu psychopathe sur les bords. Quand je me redressai, je m’attendais à l’apercevoir en train de flotter sur le dos, mais il avait disparu. Je ne le voyais nulle part. Je me levai, en prenant garde à ne pas glisser sur les rochers, et inspectai la surface du lac, à la recherche de ses cheveux noirs ondulés.

Je fis une deuxième fois le tour du rocher. Un sentiment de malaise commençait à s’éveiller en moi. M’avait-il abandonnée ici pour rire ? Ne l’aurais-je pas entendu partir ?

J’attendis, espérant le voir sortir de l’eau pour reprendre sa respiration. Mais les secondes se transformèrent en minutes. De plus en plus inquiète, je continuai de sonder la surface paisible, en quête d’un signe de Daemon.

Je recoiffai mes cheveux derrière mes oreilles et posai la main sur mon front pour me protéger de la luminosité. Personne ne pouvait retenir sa respiration aussi longtemps. C’était impossible.

J’avais du mal à respirer. Une sensation de froid envahit ma poitrine comprimée. Quelque chose clochait. Je me mis à quatre pattes sur le rocher pour observer les profondeurs du lac.

S’était-il blessé ?

— Daemon ! criai-je.

Je ne reçus aucune réponse.

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Extrait ajouté par Freg07 2022-03-03T10:30:50+01:00

Chapitre 4

Le lundi suivant, contrairement à mes habitudes, je n’écrivis pas d’article sur mon blog. C’était le jour où je parlais de mes lectures en cours et, en ce moment, je ne lisais rien du tout. En revanche, ma voiture, elle, avait besoin d’un bon récurage. Ma mère serait fière de voir que je ne passais pas mon été derrière mon ordinateur. À part pour le jardinage, j’étais une vraie casanière.

Le ciel était bleu. L’air charriait une légère odeur de musc et de pin chaud. Je nettoyai d’abord l’habitacle. J’y trouvai un nombre de stylos et d’élastiques à cheveux impressionnant. Je grimaçai en apercevant mon sac de cours posé sur la banquette arrière. Dans deux semaines, j’allais faire ma rentrée dans une nouvelle école où Dee serait entourée de tous ses amis. Des amis que Daemon acceptait, alors que moi, il me traitait comme une dealeuse de crack.

Après avoir attrapé un seau et le tuyau d’arrosage, je savonnai la quasi-totalité de la voiture... sauf le toit. Peu importait de quel côté je m’y prenais : ça ne marchait pas. J’étais trempée et l’éponge n’arrêtait pas de tomber.

Je retirai en jurant les morceaux de gravier et d’herbe collés dessus. J’avais envie de la balancer dans la forêt. Faute de mieux, je la jetai dans le seau.

— On dirait que tu as besoin d’aide.

Je sursautai. Daemon se tenait à quelques mètres de moi, les mains enfoncées dans les poches de son jean délavé. Ses yeux étincelaient dans la lumière du soleil.

Son apparition soudaine m’avait prise par surprise. Je ne l’avais pas entendu arriver. Comment quelqu’un d’aussi imposant pouvait-il se déplacer aussi silencieusement ? Pour une fois, il portait un tee-shirt. Je ne savais pas si ce que je ressentais était du soulagement ou de la déception. Après tout, quand il n’ouvrait pas la bouche, il était à tomber. Je sortis de mes pensées et me préparai pour l’inévitable joute verbale.

Il ne souriait pas mais, au moins, il n’avait pas l’air de vouloir me tuer. Il semblait avoir accepté ma présence à contrecœur. C’était sûrement le genre de tête que je faisais quand je devais écrire une mauvaise critique pour un livre que j’avais attendu avec impatience.

— Tu avais l’air d’avoir envie de la balancer encore une fois. (Il désigna le seau où l’éponge flottait dans la mousse.) Alors, je me suis dit que j’allais faire ma BA de la journée et intervenir avant qu’une innocente éponge y perde la vie.

Incapable de répondre, je repoussai quelques mèches humides qui me tombaient devant la figure.

Daemon se baissa sans attendre pour attraper l’éponge et la pressa pour en retirer l’excès d’eau.

— C’est toi qui as pris un bain ou ta voiture ? Je n’aurais jamais cru que nettoyer une bagnole pouvait être aussi laborieux. Mais après t’avoir observée pendant un quart d’heure, je suis convaincu qu’on devrait en faire une discipline olympique.

— Tu m’observais ?

C’était un peu inquiétant. Et excitant. Qu’est-ce que tu racontes ? C’est pas excitant du tout !

Il haussa les épaules.

— Tu aurais très bien pu l’emmener au lavage automatique. Ça aurait été plus simple. — C’est une perte d’argent.

— Je suis d’accord, répondit-il lentement.

Il s’agenouilla pour nettoyer une tache que j’avais manquée sur le pare-chocs, puis s’occupa du toit.

— Il faut que tu changes tes pneus. Ils sont presque lisses et on a des hivers de dingue, ici.

Je me moquais de mes pneus. Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’il faisait là, ni pourquoi il m’adressait la parole. La dernière fois qu’il m’avait parlé, j’avais eu l’impression d’être l’Antéchrist et il m’avait coincée contre un arbre en m’expliquant qu’il y avait des façons de se salir plus agréables que d’autres. Non, mais pourquoi ne m’étais-je pas brossé les cheveux, ce matin ?

— En tout cas, je suis content de t’avoir vue dehors.

Il termina de nettoyer le toit en un temps record et attrapa le tuyau d’arrosage. Pendant qu’il rinçait le tout, il m’adressa un semblant de sourire. La mousse se déversa sur les côtés comme si elle débordait d’une tasse.

— Je crois que je suis censé m’excuser.

— Tu crois ?

Daemon se tourna vers moi. Il avait les yeux plissés à cause de la lumière du soleil. Il tira le tuyau d’arrosage de l’autre côté de la voiture. J’évitai le jet d’eau de justesse.

— Ouais. Dee m’a demandé de venir te voir pour faire la paix. Apparemment, je serais en train de gâcher ses chances de se faire une amie « normale ».

— Une amie normale ? Comment sont ses autres amis, au juste ? — Pas normaux, répondit-il.

C’était ce qu’il voulait pour sa sœur ?

— Demander pardon sans vraiment le penser va à l’encontre du principe même de l’excuse, tu sais ?

Il émit un grognement comme pour acquiescer. — C’est vrai.

Je le dévisageai.

— Tu es sérieux ?

— Ouais, répondit-il d’une voix traînante. (Il longea la voiture pour continuer de retirer les traces de savon.) Pour tout te dire, je n’ai pas le choix. Je suis obligé de faire la paix avec toi.

— Tu n’as pas l’air d’être le genre de mec qui se laisse commander, pourtant.

— Non, pas en règle générale, c’est vrai. (Il arriva au coffre.) Mais ma sœur refuse de me rendre mes clés de voiture tant que je n’aurai pas arrangé les choses avec toi. Et je n’ai pas envie de m’embêter à refaire faire des doubles.

Malgré toute ma bonne volonté, je fus incapable de m’empêcher d’éclater de rire. — Elle t’a confisqué tes clés ?

Il revint vers moi avec un air renfrogné.

— Ce n’est pas drôle.

— Non, tu as raison. (Je ris.) C’est hilarant.

Daemon me lorgna de travers.

Je croisai les bras.

— Désolée. Je n’accepte pas tes excuses. Elles ne sont pas sincères. — Je viens de laver ta voiture, je te signale !

— Eh oui. (Je souris en le voyant plisser les paupières.) Tu ne reverras peut-être jamais la couleur de tes clés.

— Mince, mon plan tombe à l’eau. (Ses lèvres s’étirèrent en un sourire taquin.) Je m’étais dit que même si le cœur n’y était pas, je pouvais au moins essayer de me racheter.

Une partie de moi était agacée, l’autre trouvait la situation très amusante... ce que je n’aurais jamais admis à voix haute.

— Tu es toujours aussi agréable avec les gens ?

Il passa devant moi pour aller fermer l’arrivée d’eau.

— Toujours. Et toi, tu reluques toujours les mecs auxquels tu demandes ton chemin ? — Tu ouvres toujours ta porte à moitié nu ?

— Toujours. Et tu n’as pas répondu à ma question. Tu reluques toujours les mecs comme ça ?

Je sentis mes joues s’échauffer. — Je ne t’ai pas reluqué.

— Ah bon ? (Le semblant de sourire était de retour, laissant imaginer la naissance de ses fossettes.) Si tu veux tout savoir, tu m’as réveillé. Je ne suis pas du matin.

— Il n’était pas si tôt que ça, lui fis-je remarquer.

— Je faisais la grasse matinée. C’est les vacances d’été. Ça ne t’arrive jamais ?

Je repoussai une mèche de cheveux qui s’était échappée de ma queue de cheval.

— Non. J’ai l’habitude de me lever tôt.

Il grogna.

— On dirait ma sœur. Ça ne m’étonne pas qu’elle se soit aussi vite attachée à toi.

— Dee a bon goût... contrairement à d’autres, lui dis-je. (Ses lèvres se retroussèrent.)

C’est une fille super. Je l’aime beaucoup. Alors si tu es venu pour jouer au méchant grand frère, tu peux arrêter tout de suite.

— Je ne suis pas là pour ça.

Il ramassa le seau et les divers produits d’entretien posés par terre. J’aurais sûrement dû l’aider, mais le regarder prendre en charge le nettoyage de ma voiture avait quelque chose de fascinant. Même s’il m’adressait un sourire de temps en temps, il était évident que la situation le mettait mal à l’aise. Parfait.

— Alors pourquoi tu es là, si ce n’est pas pour me faire des excuses bidon ?

Je ne pouvais m’empêcher d’observer sa bouche tandis qu’il parlait. J’étais certaine qu’il embrassait bien. Ses baisers étaient sûrement parfaits, ni trop humides, ni écœurants, le genre qui donnait des frissons partout.

Il fallait vraiment que j’arrête de le regarder.

Daemon déposa tout le matériel sur les marches du perron et se redressa. Quand il étira ses bras au-dessus de sa tête, son tee-shirt se souleva, révélant des muscles appétissants. Ses yeux s’attardèrent sur mon visage. Je sentis une douce chaleur s’insinuer dans mon ventre.

— Peut-être parce que je me demande pourquoi elle s’est aussi vite attachée à toi. Dee se méfie des étrangers, d’habitude. Comme nous tous.

— Je vois. J’avais un chien qui n’aimait pas les inconnus, lui non plus.

Daemon me dévisagea un instant avant d’éclater de rire. C’était un rire rauque et puissant. Agréable. Sexy. Oh, mon Dieu. Je détournai la tête. C’était le genre de mec qui devait briser des cœurs à la pelle. Il ne m’apporterait que des ennuis. Même si c’était tentant, je ne devais pas oublier qu’il était un connard. Et je ne sortais pas avec les types de son espèce. Je ne sortais pas avec qui que ce soit...

Je m’éclaircis la voix.

— Eh bien, merci pour la voiture.

Il se matérialisa soudain devant moi. Il était si proche que ses pieds touchaient presque les miens. Je pris une profonde inspiration. Mon instinct me criait de reculer. Il fallait qu’il arrête de me surprendre comme ça.

— Comment tu fais pour te déplacer si vite ?

Il ne prit pas la peine de répondre à ma question.

— Ma petite sœur semble t’apprécier, dit-il comme s’il n’arrivait pas à comprendre pourquoi.

Agacée, je relevai la tête, mais fixai obstinément son épaule.

— Ta petite sœur ? Vous êtes jumeaux !

— Sache que je suis né exactement quatre minutes et trente secondes avant elle, se vanta-t-il en me regardant dans les yeux. Alors, techniquement, c’est ma petite sœur. J’avais la gorge sèche.

— C’est le bébé de la famille ?

— Exactement. C’est pour ça que je cherche à tout prix à me faire remarquer.

— Ça explique ton sale caractère, rétorquai-je.

— Peut-être, mais la plupart des gens me trouvent charmant.

Alors que je m’apprêtais à lui répondre, je fis l’erreur de croiser son regard. La couleur extraordinaire de ses yeux m’interpella aussitôt. Elle me rappelait la beauté de la nature dans les parties les plus reculées du parc des Everglades.

— J’ai... du mal à le croire.

— Tu ne devrais pas, Kat. (Il enroula autour de son doigt l’une de mes mèches rebelles.) C’est quelle couleur ? Ce n’est ni brun ni blond.

Les joues en feu, je m’éloignai pour me libérer.

— On appelle ça châtain.

— Si tu le dis, fit-il en hochant la tête. Il faut qu’on se mette d’accord, tous les deux.

Je fis un pas de côté pour mettre de la distance entre nous et inspirai profondément.

Mon cœur battait à tout rompre.

— D’accord sur quoi ?

Daemon s’assit sur les marches, étira ses longues jambes et s’appuya sur ses coudes.

— Ça va ? Tu es à l’aise ? demandai-je d’un ton sec.

— Très. Donc, je disais... (Je restai debout.) Tu te souviens quand je t’ai dit que j’étais venu ici pour faire la paix ? Et pour récupérer mes clés de voiture ? (Il croisa les jambes au niveau de ses chevilles et se tourna vers les arbres.) Je compte bien y arriver.

— Il va falloir que tu m’expliques un peu mieux, parce que je ne comprends rien.

— Bien sûr. (Il soupira.) Dee a caché mes clés. Elle est très douée pour ce genre de choses. J’ai déjà mis la maison sens dessus dessous, sans succès.

— Alors, demande-lui de te dire où elles sont.

Dieu merci, je n’avais pas de frères et sœurs !

— C’est ce que je ferais si elle était là, mais elle a quitté la ville et elle ne sera pas de retour avant dimanche. — Quoi ?

Elle ne m’en avait pas parlé. J’ignorais qu’elle avait de la famille dans les environs.

— Je ne le savais pas.

— Ça s’est décidé à la dernière minute. (Il décroisa les jambes et se mit à taper du pied en rythme.) Et pour qu’elle me dise où les clés sont cachées, il va falloir que je gagne des bons points. Ma sœur adore ça. Elle fait une fixation là-dessus depuis l’école primaire.

Je retrouvai le sourire.

— OK... ?

— Il faut donc que je gagne des points, expliqua-t-il. Et la seule façon d’y arriver, c’est de faire quelque chose de gentil pour toi.

J’éclatai de rire. Son expression valait le coup d’œil.

— Je suis désolée, mais tu dois avouer que c’est hilarant.

Daemon soupira d’un air écœuré.

— Ouais, très drôle.

Je me renfrognai.

— Qu’est-ce que tu dois faire, alors ?

— Je suis censé t’emmener nager demain. Si je m’exécute, ma sœur me dira où sont cachées mes clés. Bien sûr, il faut que je me montre sympa avec toi.

Au départ, je crus qu’il plaisantait. Puis, à mesure que je l’observais, je me rendis compte qu’il était parfaitement sérieux. Je le dévisageai, bouche bée.

— Si je comprends bien, la seule façon pour toi de récupérer tes clés est de m’emmener me baigner et de te montrer gentil avec moi ? — Waouh ! Tu piges vite.

Je ris de nouveau.

— Tu peux dire adieu à tes clés.

Il parut sincèrement surpris.

— Pourquoi ?

— Parce que je n’irai nulle part en ta compagnie, répondis-je.

— On n’a pas vraiment le choix.

— Faux. Tu n’as pas le choix. Moi si. (Je jetai un coup d’œil à la porte derrière lui en me demandant si ma mère écoutait secrètement.) Ce ne sont pas mes clés qui ont disparu. Daemon me dévisagea un instant avant de me décocher un grand sourire.

— Tu ne veux pas te retrouver seule avec moi, c’est ça ?

— Euh. Non.

— Pourquoi pas ?

Je levai les yeux au ciel.

— Pour commencer, tu es un crétin. Il hocha la tête.

— Ça m’arrive.

— Et je refuse de passer du temps avec un mec parce que sa sœur l’y force. Je ne suis pas si désespérée que ça.

— Ah bon ?

Une vague de colère me submergea. Je fis un pas en avant.

— Dégage de chez moi.

Il sembla y réfléchir un instant.

— Non.

— Quoi ? bafouillai-je. Comment ça, « non » ?

— Je ne partirai pas avant que tu aies accepté de venir te baigner avec moi.

À présent, de la fumée sortait sûrement de mes oreilles.

— Comme tu veux, mais je te préviens : tu risques d’attendre longtemps. Je préférerais avaler des éclats de verre plutôt que de passer du temps avec toi. Il rit.

— C’est plutôt radical.

— Je ne trouve pas, rétorquai-je en montant les marches.

Daemon se retourna et m’attrapa par la cheville. Il ne me serrait pas vraiment, mais sa main était incroyablement chaude. Je baissai la tête vers lui. Il me sourit d’un air innocent. — Je resterai ici toute la journée et toute la nuit. Je camperai sous ton porche s’il le faut, mais je ne partirai pas. J’ai toute la semaine, Kitten. Si tu n’acceptes pas de faire ça demain, je ne te lâcherai pas tant que tu n’auras pas accepté. Et tu ne pourras plus sortir de chez toi.

Je le regardai, bouche bée.

— Tu plaisantes ?

— Pas du tout.

— Dis-lui qu’on y est allés et qu’on s’est bien amusés. (J’essayai de libérer mon pied, en vain.) Mens.

— Elle s’en rendra tout de suite compte. On est jumeaux. On ne peut rien se cacher. (Il marqua une pause.) À moins que tu ne sois trop timide pour venir nager avec moi ? L’idée de te retrouver à moitié nue devant moi te met mal à l’aise, c’est ça ?

Je pris appui sur la rambarde pour tirer ma jambe. La prise de ce salaud était légère, et pourtant je n’arrivais pas à me dégager.

— J’ai grandi en Floride, idiot. J’ai passé la moitié de ma vie en maillot de bain.

— Alors, quel est le problème ?

— Je ne t’aime pas.

J’arrêtai de me débattre. J’avais l’impression que sa peau vibrait contre la mienne.

C’était la sensation la plus étrange qui soit. — Lâche-moi.

Il souleva chaque doigt très lentement en soutenant mon regard.

— Je ne partirai pas, Kitten. Que tu le veuilles ou non, on ira.

Au moment où j’allais répondre, la porte s’ouvrit derrière nous. L’estomac dans les talons, je me retournai et vis ma mère qui se tenait là, vêtue d’un pyjama à lapins. Et merde.

Elle nous observa tour à tour, interprétant la situation de travers. La joie que je lis sur son visage me donna envie de vomir sur Daemon.

— Tu es le voisin d’à côté ?

Daemon lui fit face et lui sourit. Il avait des dents blanches parfaites.

— Je m’appelle Daemon Black.

Ma mère lui rendit son sourire.

— Kellie Swartz. Ravie de te rencontrer. (Elle jeta un coup d’œil dans ma direction.)

Vous pouvez entrer, si vous voulez. Vous n’êtes pas obligés de rester en plein soleil.

— C’est très gentil à vous de me le proposer. (Il se leva et me décocha un coup de coude au passage.) On devrait rentrer pour terminer de planifier notre petite sortie.

— Non, rétorquai-je avec un regard noir. Ce n’est pas la peine.

— Quelle sortie ? demanda ma mère, tout sourire. Je suis pour les sorties.

— J’essaie de convaincre votre charmante fille de venir se baigner avec moi demain, mais je crois qu’elle a peur que vous n’approuviez pas. (Quand il me donna une tape sur l’épaule, je faillis tomber contre la rambarde.) Je pense qu’elle fait sa timide.

— Quoi ? (Ma mère secoua la tête.) Ça ne me dérange pas qu’elle aille nager avec toi. Au contraire, c’est une très bonne idée. Je n’arrête pas de lui répéter qu’il faut qu’elle s’amuse. Sortir avec ta sœur, c’est bien, mais...

— Maman. (Je fronçai les sourcils.) Ce n’est pas...

— C’est exactement ce que j’étais en train de dire à Katy ! (Daemon me passa le bras autour des épaules.) Ma sœur est partie pour une semaine, alors je me suis dit qu’on pouvait aller se promener tous les deux.

Ma mère sourit, visiblement ravie.

— Comme c’est gentil de ta part !

J’étreignis sa taille étroite pour le pincer discrètement.

— Oui, c’est vraiment très gentil de ta part, Daemon.

Il prit une grande inspiration et souffla lentement.

— Oh vous savez, entre voisins...

— Je sais surtout que Katy n’a rien de prévu demain.

Quand elle se tourna vers moi, je compris qu’elle s’imaginait déjà grand-mère. Il fallait vraiment qu’elle aille se faire soigner. — Elle est libre d’aller se baigner. Résignée, je m’éloignai de Daemon. — Maman...

— Ça ne me dérange pas, ma chérie. (Elle fit mine de rentrer avant de faire un clin d’œil à Daemon.) C’était un plaisir de te rencontrer enfin.

Il sourit.

— Pareillement.

Dès que ma mère referma la porte derrière elle, je me retournai vivement et tentai de repousser Daemon. Autant essayer de faire bouger un mur. — Tu es vraiment un connard.

Le sourire aux lèvres, il descendit les marches.

— Je te vois à midi, Kitten.

— Je te déteste, crachai-je.

— Idem. (Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.) Je te parie vingt dollars que tu portes un maillot une pièce.

Il était vraiment insupportable.

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Extrait ajouté par Freg07 2022-03-03T10:28:03+01:00

Chapitre 3

Le jour où Internet fut installé à la maison, je fus encore plus contente que si un mec canon m’avait demandé mon numéro de téléphone après avoir maté mes fesses. Comme on était mercredi, je rédigeai rapidement un article pour ma rubrique « Les Merveilles du mercredi » sur un roman pour ados à propos d’un joli garçon qui tuait les gens rien qu’en les touchant, sachant qu’il plairait à la majorité. Je m’excusai également pour mon absence prolongée, répondis à plusieurs commentaires et visitai quelques-uns de mes blogs préférés. J’avais l’impression d’être de retour à la maison.

— Katy ? m’appela ma mère dans l’escalier. Ton amie Dee est là.

— J’arrive ! criai-je en refermant mon ordinateur portable.

Je descendis les marches deux à deux pour rejoindre Dee, puis, ensemble, on se rendit au magasin de bricolage. Soit dit en passant, il ne se trouvait pas du tout à l’endroit que Daemon m’avait indiqué. Ils avaient tout le matériel nécessaire pour me permettre d’arranger le parterre de fleurs à l’abandon devant chez nous.

Une fois de retour à la maison, on attrapa chacune un sac pour les sortir du coffre. Ils étaient si lourds qu’on ne tarda pas à être couvertes de sueur.

— Tu veux aller boire quelque chose avant de tirer ces sacs jusqu’au parterre de fleurs ? lui proposai-je.

J’avais mal au bras. Elle se frotta les mains l’une contre l’autre en hochant la tête.

— Il faut que je fasse des haltères. J’ai toujours du mal à soulever du poids.

On entra dans la maison et on se servit du thé glacé.

— Fais-moi penser à t’accompagner à la salle de gym, plaisantai-je en tâtant mes maigres muscles.

Dee éclata de rire et décolla de sa nuque ses cheveux trempés de sueur. Malgré la fatigue et la rougeur de ses joues, elle était toujours aussi belle. Moi, par contre, je ressemblais probablement à un serial killer... trop fatigué pour tuer qui que ce soit.

— Hmm. On est à Ketterman. Notre conception de la gym, c’est de tirer sa poubelle jusqu’au bout du chemin de terre ou de soulever des bottes de foin.

Je lui tendis un élastique en me plaignant parce que la vie dans une petite ville n’était vraiment pas cool. On n’était restées à l’intérieur qu’une dizaine de minutes, pourtant, quand on ressortit, les sacs de terreau et d’engrais étaient entassés près du perron.

Surprise, je relevai la tête vers Dee.

— Comment sont-ils arrivés là ?

Tombant à genoux, elle se mit à retirer les mauvaises herbes.

— Sûrement grâce à mon frère.

— Daemon ?

Elle hocha la tête.

— Il joue toujours au héros de l’ombre.

— Tu parles, marmonnai-je.

J’en doutais. Je préférais encore croire que les sacs s’étaient déplacés tout seuls.

Nous nous attaquâmes aux mauvaises herbes avec beaucoup plus d’énergie que je ne nous en serais crues capables. Pour moi, le désherbage avait toujours été un moyen d’évacuer mes tensions. Alors, à en croire les mouvements vifs de Dee, elle devait être très nerveuse. Avec un frère comme le sien, ça n’avait rien de surprenant.

Un peu plus tard, Dee examina son vernis écaillé. — Ma manucure est foutue.

Je souris.

— Je t’avais dit de mettre des gants.

— Mais tu n’en as pas non plus, me fit-elle remarquer.

En levant mes mains pleines de terre, je grimaçai. La vérité, c’était que mes ongles étaient toujours dans cet état.

— Oui, mais j’y suis habituée.

Dee haussa les épaules et alla chercher un râteau. Elle me faisait rire avec sa jupe et ses sandales à talons compensés. D’après elle, c’était le summum de la haute couture de jardinage. Elle tira l’outil vers moi.

— En tout cas, je m’amuse bien.

— Plus que si tu avais fait du shopping ? lui demandai-je d’un air taquin.

Elle sembla réfléchir sérieusement à la question, le nez froncé.

— Oui. C’est plus... relaxant.

— C’est vrai. Quand je fais ce genre de choses, je ne pense plus à rien d’autre.

— C’est ce qui me plaît. (Elle se mit à étendre le terreau.) Tu jardines pour éviter de trop réfléchir ?

Je m’assis pour ouvrir un autre sac de terreau. Je ne savais pas comment répondre à

cette question.

— Mon père... il adorait travailler la terre. Il avait la main verte. Dans notre ancien appartement, nous n’avions pas de jardin, seulement un balcon, et pourtant nous y avons créé un jardin ensemble.

— Que lui est-il arrivé ? Tes parents ont divorcé ?

Je pinçai les lèvres. Je ne parlais pas souvent de lui. Voire jamais. Il avait été un homme bien, un bon père. Il n’avait pas mérité ce qui lui était arrivé. Dee se reprit.

— Je suis désolée. Ce ne sont pas mes affaires.

— Non, ce n’est pas grave.

Je me redressai et époussetai la terre de mon tee-shirt. Lorsque je relevai la tête, je la vis appuyée sur le râteau, contre le perron. Son bras gauche était flou. Je pouvais voir la rambarde blanche au travers. Je clignai les yeux. Je ne rêvais pas.

— Katy ? Tout va bien ?

Le cœur battant, je me forçai à quitter des yeux son bras transparent pour observer son visage, puis à redescendre de nouveau. Il était entier. Parfait. Je secouai la tête.

— Oui, ça va. Euh... Mon père est tombé malade. Il a eu un cancer. Au cerveau. On n’a rien pu faire. Il avait mal à la tête et il avait des hallucinations. (Je détournai le regard, la gorge serrée. Des hallucinations, comme les miennes ?) Mais à part ça, jusqu’au diagnostic, il allait très bien. Ils ont commencé la chimio et la radio, mais tout... s’est emballé rapidement. Il est mort en deux mois.

— Oh, mon Dieu, Katy. Je suis vraiment désolée. (Son visage était blême, sa voix douce.) C’est terrible.

— Ça va. (Je me forçai à sourire alors que je n’en avais pas la moindre envie.) C’était il y a trois ans. C’est pour ça que ma mère voulait déménager, pour commencer une nouvelle vie et tout le tralala.

Ses yeux se mirent à briller dans la lumière du soleil.

— Je peux comprendre. Quand on perd quelqu’un, on ne s’en remet jamais vraiment, hein ?

— Non.

Visiblement, elle connaissait bien le sujet, mais avant que j’aie pu lui poser la question, la porte de sa maison s’ouvrit. Je sentis une boule se former dans mon estomac.

— Oh non, murmurai-je.

Dee se retourna en soupirant.

— Regarde qui est là.

Il était plus de 13 heures, pourtant Daemon avait l’air de sortir du lit. Son jean était froissé et il avait les cheveux en bataille. Il était au téléphone. Il parlait tout en se frottant la mâchoire.

Et il était torse nu.

— Il n’a pas de tee-shirt ? demandai-je en attrapant une bêche.

— Malheureusement, je ne crois pas. Il se promène toujours à moitié nu, même en hiver. (Elle grogna.) C’est agaçant de toujours voir autant de... peau. Beurk.

Écœurant pour elle, peut-être. Moi, je trouvais ça plutôt sexy. Je me mis à creuser des trous dans la terre à des endroits stratégiques. J’avais la gorge sèche. Beau visage. Corps parfait. Caractère de cochon. C’était un peu la sainte trinité du mec canon.

Daemon resta au téléphone pendant une trentaine de minutes. Sa présence accaparait toute mon attention. Je ne pouvais pas l’ignorer. Même quand je lui tournais le dos, je sentais ses yeux sur moi. Mes omoplates me chatouillaient sous l’effet de son regard appuyé. Lorsque je reportai mon attention vers lui, il avait disparu. Il revint quelques secondes plus tard avec un tee-shirt sur le dos. Mince. La vue me manquait.

J’étais en train d’aplanir la terre lorsqu’il s’approcha d’un air nonchalant et posa lourdement un bras sur les épaules de sa sœur. Elle essaya de se dégager, mais il la serra un peu plus contre lui.

— Salut, sœurette.

Elle leva les yeux au ciel, mais elle souriait. Elle le regardait comme s’il était son héros. — Merci d’avoir déplacé les sacs pour nous.

— Moi ? Je n’ai rien fait.

Dee eut l’air exaspéré.

— Si tu le dis, tête de mule.

— Ce n’est pas très gentil.

Il l’attira à lui en souriant. Sincèrement. Ça lui allait bien. Il aurait dû essayer plus souvent. Puis, il jeta un coup d’œil dans ma direction et plissa les yeux, comme s’il venait de se rendre compte de ma présence, dans mon propre jardin. Son sourire avait complètement disparu.

— Qu’est-ce que tu fais ?

J’observai ma tenue. Ce que je faisais était plutôt clair étant donné que j’étais couverte de terre et que j’avais des morceaux de plantes accrochés à moi.

— Je m’occupe du...

— Je ne m’adressais pas à toi. (Il se tourna vers sa sœur, qui s’était soudain empourprée.) Qu’est-ce que tu fais ?

Il était hors de question que je laisse son attitude m’atteindre encore une fois. Haussant les épaules, j’attrapai une plante et la sortis de son pot. Je tirai tellement fort dessus que je lui arrachai ses racines au passage.

— Je l’aide avec son parterre de fleurs. Alors, sois gentil. (Dee le frappa au ventre avant de se libérer.) Regarde ce qu’on a fait ! Je crois que j’ai un talent caché.

Daemon observa notre œuvre. Si je devais choisir le travail de mes rêves, il aurait sûrement un rapport avec le paysagisme et l’extérieur. J’étais à la ramasse en pleine nature, mais le moment où je me sentais le mieux, c’était quand j’avais les mains dans la terre.

J’adorais ça : la sensation de calme que ça m’apportait, l’odeur puissante de la terre et l’idée qu’un peu d’eau et de terre fraîche puisse redonner vie à un organisme flétri et à moitié mort.

En plus, j’étais plutôt douée. Je regardais toutes les émissions sur le sujet à la télévision. Je savais où placer les plantes qui avaient besoin de soleil et celles qui se développaient dans l’ombre. Tout était dans l’agencement : les plus touffues et les plus grandes au fond, les fleurs à l’avant. Il suffisait simplement d’ajouter du terreau et voilà !

Daemon haussa un sourcil. Je me crispai.

— Quoi ?

Il haussa les épaules.

— C’est pas mal, je suppose.

— Pas mal ? (Dee paraissait aussi offensée que moi.) C’est mieux que ça. On a cassé la baraque. Enfin, Katy, surtout. Moi, je lui ai juste tendu le matériel.

— C’est ce que tu fais quand tu as du temps libre ? me demanda-t-il sans prêter attention à ce que disait sa sœur.

— Pardon ? Tu as décidé de me parler, maintenant ?

Avec un sourire forcé, j’attrapai une poignée de terreau et la jetai par terre. J’aplanis le tout et recommençai.

— Oui. On peut appeler ça un hobby. C’est quoi, le tien ? Martyriser les bébés chiens ?

— Je ne suis pas sûr de pouvoir le révéler devant ma sœur, rétorqua-t-il avec un regard de tombeur.

— Je ne veux pas le savoir ! s’exclama Dee en grimaçant.

Les images qui me traversèrent l’esprit auraient été interdites aux moins de dix-huit ans. Et à son expression, il était clair qu’il le savait. J’attrapai une poignée de terreau.

— C’est moins ennuyeux que ça, ajouta-t-il.

Je me figeai. Des morceaux de cèdre rouge tombèrent de mes doigts.

— Pourquoi est-ce que ce serait ennuyeux ?

Il m’adressa un regard qui signifiait clairement : « Je dois vraiment te l’expliquer ? » OK, le jardinage n’était pas ce qu’on pouvait qualifier de cool. Je le savais. Mais ce n’était pas ennuyeux. Comme j’aimais bien Dee, je me tus et étalai le terreau.

Dee poussa son frère, mais il ne bougea pas. — Ne sois pas désagréable, s’il te plaît.

— Je n’ai rien fait, s’offusqua-t-il.

Je haussai les sourcils.

— Quoi ? demanda Daemon. Tu as quelque chose à dire, Kitten ? — À part que j’aimerais que tu arrêtes de m’appeler Kitten ? Non.

J’aplanis le terreau avant de me lever pour admirer notre travail. Tout sourire, je jetai un coup d’œil à Dee.

— Je crois qu’on s’est bien débrouillées.

— Oui.

Elle poussa de nouveau son frère en direction de leur maison. Il ne bougea pas d’un millimètre.

— Ennuyeux ou pas, on a fait du bon boulot. Alors, tu sais quoi ? Ça me plaît d’être ennuyeuse.

Daemon examina les fleurs fraîchement plantées comme s’il les disséquait pour une expérience scientifique.

— Et je crois qu’il faut que j’étende cet ennui jusqu’au parterre devant chez nous, poursuivit-elle, avec une lueur enthousiaste dans les prunelles. On pourrait retourner au magasin pour acheter du matériel et tu...

— Elle n’est pas la bienvenue chez nous, intervint Daemon d’une voix cassante en se tournant vers sa sœur. Je ne rigole pas.

Surprise par le venin qui transparaissait dans ses paroles, j’eus un pas de recul.

Dee, en revanche, tint sa position, les poings serrés.

— Je parlais de s’occuper du massif de fleurs qui est devant la maison, pas dedans. Du moins, la dernière fois que j’ai vérifié.

— Je m’en moque. Je ne veux pas qu’elle vienne.

— Daemon, ne fais pas ça, murmura-t-elle, les larmes aux yeux. Je t’en prie. Je l’aime bien.

L’impossible se produisit alors. L’expression de Daemon se radoucit.

— Dee...

— S’il te plaît ! répéta-t-elle en sautillant comme une petite fille qui réclame son jouet préféré.

Vu sa taille, ça faisait un effet plutôt étrange. J’avais envie de frapper Daemon pour laisser sa sœur souffrir d’un tel manque affectif.

Jurant dans sa barbe, il croisa les bras.

— Dee, tu as déjà des amis.

— Ce n’est pas la même chose et tu le sais parfaitement. (Elle imita sa posture.) C’est différent.

Daemon regarda dans ma direction en retroussant les lèvres. Si j’avais eu la bêche entre les mains, je la lui aurais probablement jetée à la tête.

— Ce sont tes amis, Dee. Ils sont comme toi. Tu n’as pas besoin de te lier d’amitié

avec... quelqu’un comme elle.

J’étais restée silencieuse jusqu’à présent parce que je n’avais pas la moindre idée de ce qui se passait et que je ne voulais rien dire qui aurait pu blesser Dee. Ce connard était son frère, après tout. Mais cette fois, il avait dépassé les bornes. — Qu’est-ce que ça veut dire, quelqu’un comme moi ?

Il pencha la tête sur le côté et soupira longuement.

Sa sœur nous observa l’un après l’autre d’un air nerveux. — Il ne voulait rien dire en particulier.

— N’importe quoi, marmonna-t-il.

Je serrai les poings.

— C’est quoi, ton problème, au juste ?

Daemon me fit face. Il avait une drôle d’expression.

— Toi.

— Je suis ton problème ? (Je fis un pas en avant.) Je ne te connais même pas. Tu ne sais rien de moi.

— Vous êtes tous les mêmes. (Les muscles de ses joues se crispèrent.) Je n’ai pas besoin d’apprendre à te connaître. Et je n’en ai pas la moindre envie.

Je levai les mains en l’air d’énervement.

— Alors c’est parfait, mon gros, parce que je n’ai pas envie d’en apprendre plus sur toi non plus.

— Daemon, intervint Dee en le prenant par le bras. Ça suffit.

Il me dévisagea avec un sourire mauvais.

— Je n’aime pas l’idée que tu sois amie avec ma sœur.

Je dis alors la première chose qui me passa par l’esprit. Ce n’était sûrement pas la repartie la plus intelligente, en général je ne répliquais même pas, mais ce type avait le chic pour me faire sortir de mes gonds.

— Et moi, je me fous complètement de ce que tu aimes.

Tout à coup, il se retrouva en face de moi. Je veux dire : juste devant moi. Comment s’était-il déplacé si vite ? C’était physiquement impossible. Pourtant, il était bien là, en train de me regarder de haut, comme s’il avait disparu d’un endroit pour réapparaître ailleurs.

— Comment... as-tu bougé... ?

Je reculai. Les mots me manquaient. L’intensité de son regard me donnait la chair de poule. Oh merde...

— Écoute-moi bien, dit-il en faisant un pas vers moi.

Je reculai de nouveau et il me suivit jusqu’à ce que mon dos rencontre un tronc d’arbre. Daemon baissa la tête. Ses yeux d’un vert irréel emplirent mon champ de vision. Mon corps était en feu.

— Je ne me répéterai pas. S’il arrive quoi que ce soit à ma sœur...

Il s’arrêta. Je pris une grande inspiration tandis que son regard se posait sur mes lèvres entrouvertes. J’en eus le souffle coupé. Quelque chose passa dans ses yeux. Pourtant, il reprit aussitôt sa moue agacée, comme si de rien n’était.

Des images avaient recommencé à affluer dans mon esprit. Nous deux. En sueur. Je me mordis les lèvres et fis de mon mieux pour ne pas laisser transparaître mon embarras. Malheureusement, à son air suffisant, je compris qu’il savait à quoi je pensais.

— Tu es une petite cochonne, Kitten.

Je clignai des paupières. Nie en bloc. Nie en bloc.

— Qu’est-ce que tu as dit ?

— Une cochonne, murmura-t-il d’une voix si basse que Dee ne pouvait pas l’avoir entendue. Tu es couverte de terre. Qu’est-ce que tu croyais que je voulais dire ?

— Rien, répondis-je en souhaitant de tout mon cœur qu’il recule. (Avoir Daemon aussi proche n’était pas vraiment rassurant.) Je suis en train de jardiner. On se salit forcément quand on fait ça.

Il eut un semblant de sourire.

— Il y a des manières beaucoup plus agréables de... se salir. Enfin, ce n’est pas comme si je comptais te les montrer un jour.

J’avais le sentiment qu’il avait de l’expérience en la matière. Mes joues s’empourprèrent, leur rougeur s’étendant à ma gorge.

— Je préférerais me rouler dans le purin plutôt que coucher avec toi.

Daemon haussa un sourcil avant de se retourner d’un coup.

— Il faut que tu rappelles Matthew, dit-il à sa sœur. Tout de suite. Ça ne peut pas attendre.

Je restai figée contre l’arbre, les yeux écarquillés, jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’intérieur de leur maison et que la porte claque derrière lui. La gorge serrée, j’observai Dee qui avait l’air bouleversé.

— Bon, fis-je. Ce fut... intense.

Dee se laissa tomber sur les marches et se prit la tête entre les mains.

— Je l’aime vraiment. C’est mon frère. Le seul... (Elle s’interrompit et releva la tête.)

Mais il se comporte comme un goujat. Je le sais. Il n’a pas toujours été comme ça.

Je la dévisageai, sans voix. Mon cœur battait toujours la chamade, faisant circuler mon sang à toute vitesse. Quand je finis par m’éloigner de l’arbre pour me diriger vers elle, je fus incapable de déterminer si c’était la peur ou l’adrénaline qui me faisait tourner la tête. Et si je n’avais pas peur, j’aurais peut-être dû.

— C’est difficile de me faire des amis avec lui, murmura-t-elle en contemplant fixement ses mains. Il les fait tous fuir.

— Pas possible ! Je me demande bien pourquoi ?

La vérité, c’était que je me posais réellement la question. Son côté possessif me paraissait excessif. J’avais toujours des frissons plein les bras alors qu’il était parti. Je le sentais toujours contre moi. Sa chaleur était toujours là. L’expérience avait été... excitante. À mon grand regret.

— Je suis vraiment désolée. (Elle sauta à terre, en ouvrant et refermant les poings.) Il est juste surprotecteur.

— J’avais bien compris, mais ce n’est pas comme si j’étais un mec qui risquait de te violer.

Elle eut un léger sourire.

— Je sais, mais il s’inquiète pour un rien. Je suis persuadée qu’il... se calmera quand il aura appris à te connaître.

Personnellement, j’en doutais.

— Je t’en prie, dis-moi qu’il ne t’a pas fait fuir, toi aussi. (Elle se plaça devant moi, les sourcils froncés.) Je sais que tu penses sûrement qu’être amie avec moi ne vaut pas la peine de...

— Non, ne t’en fais pas. (Je me passai la main dans les cheveux.) Il n’a pas réussi à me faire fuir et il n’y arrivera pas.

Elle semblait tellement rassurée que j’eus l’impression qu’elle allait s’évanouir. — Super. Il faut que je file, mais je vais arranger les choses. Je te le promets. Je haussai les épaules.

— Il n’y a rien à arranger. Ce n’est pas ton problème.

Une expression étrange glissa sur son visage.

— Si, justement. À plus tard, d’accord ?

Hochant la tête, je l’observai rentrer chez elle, puis je ramassai les sacs vides. Que venait-il de se passer ? C’était la première fois que quelqu’un me haïssait avec une telle force. Et comment avait-il fait pour se déplacer si vite ? Secouant le chef, je jetai les ordures à la poubelle.

Daemon était sexy, mais c’était un abruti. Un vrai tyran. Je pensais ce que j’avais dit à Dee. Il ne réussirait pas à m’empêcher d’être amie avec sa sœur. Il allait devoir se faire une raison. Car je ne comptais pas reculer.

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