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Ce soir-là, alors que je me levais pour uriner, le garde, qui surveillait depuis le poste collé à ma caleta, m'insulta :
- Je vais vous enlever l'envie de vous lever la nuit. Je vais vous loger une balle dans la chatte !
J'avais souvent dû faire face à leur vulgarité. J'avais essayé maintes tactiques pour les remettre à leur place, mais toute réaction de ma part ne faisait qu'exciter leur impertinence. C’était idiot, j'aurais dû les mépriser. Au lieu de cela,je me sentais blessée.
- Qui était de garde à coté de moi hier soir? demandai-je au guérillero qui faisait la ronde, le matin, pour ouvrir les cadenas.
- C'était moi.
Je le regardai, incrédule. Jairo était un jeune gars, toujours souriant et toujours courtois.
-Savez-vous qui m'a crié des obscénité hier soir?
Il gonfla les poumons, se déhancha comme pour me défier et, tout fier, répondit :
-Oui, c'était moi !
Il n'y eut aucune réflexion de ma part. Je le pris par le cou et le poussai en lui crachant au visage :
-Espèce de taré, tu te sens bien fort derrière ton fusil ? C'est moi qui vais t'apprendre à te conduire comme un homme. Je te préviens, tu recommences et je te tue.
Afficher en entierComment une fille comme elle pouvait-elle rester dans un endroit pareil ?
- J'aurais voulu être reine de beauté, me confessa-t-elle. Ou mannequin, ajouta-t-telle, l'air rêveur.
Ses paroles me déchirèrent. Elle portait son AK-47, comme d'autres portent un livre et un crayon.
Afficher en entierSur notre droite, un homme assis comme nous contre un arbre me regardait de loin. L'homme, probablement un commandant, se leva, il marcha de long en large, puis, prenant de l'élan, il se rapprocha.
— ¿ Ingrid ? ¿ Eres Ingrid ?
C'était un homme mûr, une barbe plus sel que poivre lui couvrant le visage, de grands cernes noirs encadrant des yeux gonflés et humides comme si les larmes allaient lui échapper. Son émotion me secoua. Qui était ce guérillero ? L'avais-je déjà vu auparavant quelque part ?
— Soy Luis Eladio, Luis Eladio Pérez. Fuimos senadores al mismo tiempo...
J'avais compris avant qu'il finisse sa phrase. Celui que j'avais pris pour un vieux guérillero n'était autre que mon collègue, Luis Eladio Pérez, capturé par la guérilla six mois avant moi.
Afficher en entierPour quelques heures, ces jeunes se transformèrent comme par enchantement. Ce n'étaient plus ni des gardes, ni des terroristes, ni des tueurs. C'étaient des jeunes, de l'âge de ma fille, qui s'amusaient. Ils dansaient divinement, comme s'ils n'avaient fait que cela leur vie durant. Ils étaient parfaitement synchronisés l'un avec l'autre, transformant cette baraque en salle de bal, tournant sur eux-mêmes avec coquetterie et élégance. Le spectacle était saisissant. Jessica, avec ses longs cheveux noirs et bouclés, se savait belle et observée. Elle jouait des hanches et des épaules, juste le nécessaire pour mettre en valeur l'harmonie de ses formes. El Mico, pourtant assez laid, semblait métamorphosé. Le monde lui appartenait. J'aurais tellement aimé que mes enfants soient là ! C'était bien la première fois qu'une telle pensée me venait. J'aurais voulu qu'ils connaissent ces jeunes, qu'ils découvrent leur mode de vie étrange, si différent, et pourtant si proche car tous les adolescents du monde se ressemblent. Ces jeunes, je les avais connus cruels, despotiques, humiliants. Je ne pouvais que me demander en les regardant danser si mes enfants, dans les mêmes conditions qu'eux, auraient pu agir de la même façon.
J'ai pris conscience, ce jour-là, que nous ne sommes pas si différents les uns des autres.
Afficher en entier23 mars 2009. Je suis seule. Personne ne me regarde. Enfin seule avec moi-même. Dans ces heures de silence que je chéris, je me parle et me remémore. Le passé, figé dans le temps, immobile et infini, s'est volatilisé. Il n'en reste rien. Pourquoi alors ai-je si mal ? J'ai fais la route que je m'étais fixée, et j'ai pardonné. Je ne veux pas être enchaînée à la haine, ni à la rancœur. Je veux avoir le droit de vivre en paix. Je suis redevenue maîtresse de moi-même. Je me lève la nuit et marche pieds nus. Il n'y a personne pour m'aveugler avec une torche électrique, personne. Et je suis seule. Mon bruit ne gêne pas, ma démarche n'intrigue personne. Je n'ai pas à demander la permission, je n'ai pas à demander. Je suis une rescapée ! La jungle est restée dans ma tête, même s'il n'y a rien autour de moi pour en témoigner, hormis la soif avec laquelle je bois la vie.
Je reste longtemps sous la douche. L'eau est brûlante, à la limite du tolérable. La vapeur envahit l'espace. Je peux prendre de l'eau dans ma bouche et la laisser couler lentement, tiède sur mon visage et mon cou. Personne n'en est dégoûté, pas de regards de travers. Je tourne le robinet. Je la veux froide, cette eau, maintenant. Mon corps accepte sans se raidir. Il a l'entraînement de trop longues années d'eau froide, souvent glacée.
Aujourd'hui, cela fait sept ans que Papa est mort.
Afficher en entiernouvel Les minutes s’égrenaient avec une lenteur infinie. Une radio au loin nous faisait parvenir les échos d’une musique joyeuse. Le vent continuait de souffler mais le tonnerre s’était tu. De temps à autre, un éclair traversait la muraille végétale et ma rétine imprimait dans mon cerveau l’image du campement en négatif. Il faisait frais, presque froid. Je sentais l’électricité traverser l’espace et hérisser ma peau. Peu à peu, mes yeux se gonflaient à force de scruter l’obscurité, mes paupières devenaient pesantes. « Il ne va pas pleuvoir ce soir. » J’avais la tête lourde. Clara s’était enroulée dans son coin, gagnée par l’assoupissement, et je me sentais moi-même aspirée dans un sommeil profond
Afficher en entiernouvel Cela nous laissait le temps nécessaire pour prendre de la distance et nous cacher pendant la journée. Les équipes lancées à notre recherche iraient beaucoup plus vite que nous, parce qu’elles étaient bien plus entraînées et qu’elles bénéficieraient de la lumière du jour. Mais si nous réussissions à sortir sans laisser de traces, plus nous nous éloignerions, plus le périmètre de leur recherche s’étendrait.
Afficher en entiernouvel Je regardais cette agitation, le ventre noué par l’angoisse, priant Dieu de me donner la force d’aller jusqu’au bout. « Ce soir, je serai libre. » Je me répétais cette phrase sans cesse, pour ne pas penser à la peur qui me tendait les muscles et les vidait de leur sang, pendant que je faisais difficilement les gestes mille fois prévus dans mes insomnies : attendre qu’il fasse nuit pour construire mon leurre, plier le grand plastique noir et le glisser à l’intérieur de ma botte, déplier le petit plastique gris qui me servirait de poncho imperméable, vérifier que ma compagne soit prête. Attendre que l’orage éclate
Afficher en entiernouvel C’était alors l’occasion de jeter un coup d’œil dans le trou aux ordures avec l’espoir d’y découvrir des éléments précieux. Je revins un soir avec un vieux sac à provisions qui avait baigné dans les restes de nourriture en décomposition et des morceaux de carton ; l’idéal pour fabriquer notre leurre. Ma démarche énervait le garde. Ne sachant pas s’il fallait m’interdire de récupérer ce qui avait été bazardé, il me somma de me presser en appuyant son invective d’un mouvement du canon de son arme. Quant à Clara, dégoûtée par mon précieux butin, elle ne comprenait pas à quoi il pourrait nous servir
Afficher en entiernouvel Je passais ainsi mes journées à cogiter, repensant vingt fois au parcours à suivre une fois sorties du cagibi. J’évaluais toutes sortes de paramètres : où devait se trouver la rivière, combien de jours il nous faudrait pour obtenir de l’aide. J’imaginais avec horreur l’attaque d’un anaconda dans l’eau, ou celle d’un énorme caïman comme ceux dont j’avais vu les yeux rouges et brillants sous la torche d’un garde lorsque nous descendions le fleuve.
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